Immagini della pagina
PDF
ePub

essaya de manger la laine de son matelas. Les restes de ces deux infortunés furent dispersés de manière à pouvoir à peine être recueillis.

LV. Tibère s'était associé, outre ses anciens amis et ses familiers, une vingtaine des principaux citoyens de Rome, à titre de conseillers pour les affaires d'État. Excepté deux ou trois, illes fit tous périr, sous différents prétextes, entre autres Élius Séjan, qui entraîna dans sa ruine un grand nombre de personnes, et qu'il avait élevé au plus haut degré de puissance, non pas tant par amitié que pour s'en faire un complice, dont la politique artificieuse le délivrât des enfants de Germanicus et assurât l'empire à celui de Drusus, à son petit-fils selon la nature.

נן

LVI. Il n'épargna pas davantage les rhéteurs grees, qui vivaient ses hôtes et dont l'entretien lui plaisait le plus. Il demanda, un jour, à un certain Zénon, qui affectait un langage plein de recherche, « quel était le déplaisant dialecte dont il se servait; » et celui-ci ayant répondu que c'était le dorien, il le relégua dans l'île de Cinaria (1), parce qu'il crut voir dans cette réponse une allusion blessante à son ancien séjour à Rhodes, où le dorien est parlé. Il avait coutume de soulever à table des questions puisées dans ses lectures de la journée apprenant que le grammairien Séleucus s'informait chaque jour à ses esclaves du livre qu'il avait lu, et venait ainsi tout préparé, il commença par l'éloigner de sa personne, et it le fit ensuite mourir.

LVII. Son naturel féroce et dissimulé se révéla dès son enfance. Théodore de Gadarée, son maître de rhétorique, paraît l'avoir deviné le pre(1) Une des Sporades.

uncos ostenlaret; Druso autem adeo alimenta subducta, ut tomentum e culcita tentaverit mandere: amborum sic reliquias dispersas, ut vix quandoque colligi possent.

LV. Super veteres amicos ac familiares, viginti sibi e numero principum civitatis depoposcerat, velut consilia. rios in negotiis publicis. Horum omnium vix duos aut tres incolumes præstitit : ceteros, alium alia de causa, perculit. Inter quos cum plurimorum clade Ælium Sejanum, quem ad summam poteutiam non tam benevolentia provexerat, quam ut esset, cujus ministerio ac frau. dibus liberos Germanici circumveniret, nepotemque suum ex Druso filio naturalem ad successionem imperii confirmaret.

[ocr errors][merged small]

mier, et le caractérisa parfaitement en disant de lui, dans un langage énergique, « que c'était de la boue détrempée dans du sang. » Mais ce caractère éclata surtout dans l'empereur, et même au commencement de son règne, quand il cherchait encore à se concilier la faveur du peuple par des apparences de modération. Un plaisant, voyant passer un convoi funèbre, dit à haute voix au mort d'annoncer à Auguste « qu'on n'avait pas encore payé les legs faits par lui au peuple romain » Tibère se le fit amener, lui paya ce qui lui était dû, et l'envoya au supplice, en lui recommandant de dire la vérité à Auguste. Peu de temps après, un chevalier romain, nommé Pompée, ayant combattu, dans le sénat, l'avis de Tibère, celui-ci le menaça de la prison, et de lui faire changer son nom de Pompée en celui de Pompéien; » atroce allusion au sort cruel des partisans vaincus de cette famille (1).

"

LVIII. Vers le même temps, un préteur lui ayant demandé s'il voulait qu'on poursuivît les crimes de lèse-majesté, il répondit qu'il fallait exécuter les lois ; et il les exécuta, en effet, avec barbarie. Un citoyen avait enlevé la tête d'une statue d'Auguste, pour en mettre une autre à la place. L'affaire fut portée devant le sénat; et comme le fait n'était pas prouvé, l'accusé fut mis à la question et condamné. On en vint insensiblement, dans ce genre d'accusation, point de faire un crime capital d'avoir battu un esclave ou changé de vêtement devant la statue d'Auguste, d'avoir été aux latrines ou dans un lieu de débauche avec le portrait d'Auguste gravé

au

(1) Les Pompéiens avaient été mis à mort par les triumvirs, et leurs biens confisqués.

LVII. Sæva ac lenta natura ne in puero quidem latuit : quam Theodorus Gadareus, rhetoricæ præceptor, et perspexisse primus sagaciter, et assimulasse aptissime visus est, subinde in objurgando appellans eum λòv aïμati Tepupuέvov. Sed aliquanto magis in principe eluxit, etiam inter initia, quum adhuc favorem hominum moderationis simulatione captaret. Scurram, qui, prætereunte funere, clare mortuo mandarat, ut nunciaret Augusto, « nondum reddi legata, quæ plebi reliquisset,» attrac tum ad se, recipere debitum, ducique ad supplicium imperavit, et patri suo verum referre. Nec multo post in senatu Pompeio cuidam, equiti romano, quiddam perneganti, dum vincula minatur, affirmavit fore, « ut ex Pompeio Pom. peianus fieret ; » acerba cavillatione simul hominis nomen incessens, veteremque partium fortunam.

LVIII. Sub idem tempus, consulente prætore, an judicia majestatis cogi juberet, exercendas esse leges respondit, et atrocissime exercuit. Statuæ quidam Augusti caput demserat, ut alterius imponeret. Acta res in senatu, et quia ambigebatur, per tormenta quæsita est. Damnato reo, paulatim hoc genus calumniæ eo processit, ut hæc quoque capitalia essent circa Augusti simulacrum servum cecidisse, vestimenta mutasse, nummo vel anulo effigiem impressam latrinæ aut lupanari intulisse, dictum ullum factumve ejus existimatione aliqua læsisse.

sur un anneau ou sur une pièce de monnaie, d'avoir osé blâmer une seule des paroles ou des actions d'Auguste. Enfin un citoyen fut mis à mort pour avoir souffert qu'on lui rendît des honneurs dans sa province, le même jour qu'on en avait rendu jadis à Auguste.

LIX. Outre ces actes de cruauté gratuite, Tibère en commit tous les jours d'épouvantables, sous le prétexte d'exercer la justice et de corriger les mœurs; mais, en effet, pour obéir à sa nature. Aussi fit-on bientôt courir des vers où on

[ocr errors]

comme l'expression d'une haine aveugle plutôt que d'une opinion raisonnée; et il disait souvent: Qu'on me haïsse, pourvu qu'on m'estime : » mais il fit bientôt voir lui-même combien ces reproches étaient vrais et fondés.

LX. Peu de jours après son arrivée à Caprée, un pêcheur l'aborda tout à coup dans un moment où il était seul, et lui présenta un surmulet d'une grandeur extraordinaire. Tibère, effrayé à la vue de cet homme, qui s'était glissé jusqu'à lui en gravissant les rochers à pic dont l'île est en

lui reprochait les maux présents, où on le dénon-tourée, lui fit frotter le visage avec son poisson. çait comme l'auteur de maux futurs :

Je te peindrai d'un mot: inhumain, sanguinaire,
En horreur aux mortels, tu l'es même à ta mère.
Tu te dis chevalier! mais ton bien, quel est-il (1)?
Tu n'es qu'un criminel, échappé de l'exil (2).

L'âge d'or autrefois fut un présent des dieux :
L'âge d'airain commence à ton règne odieux.

[ocr errors]

Le pêcheur s'étant félicité, au milieu même de ce supplice, de ne lui avoir pas offert aussi une grosse langouste qu'il avait prise, Tibère se la fit apporter, et ordonna qu'on lui en déchirât la figure. Il punit de mort un soldat prétorien qui avait dérobé un paon dans un verger. Pendant un de ses voyages, la litière dans laquelle on le

Le vin n'est plus pour lui qu'un breuvage insipide (3), portait s'étant embarrassée dans des buissons, il
Et c'est du sang qu'il faut à cette bête avide.

Rome, rappelle-toi ce passé plein d'horreur :
Sylla, grand par le crime, heureux par ton malheur;
Marius, contre toi déployant sa furie,
Et des torts de Sylla punissant sa patrie;
Antoine, saisissant dans ses sanglantes mains
Les restes mutilés des plus nobles Romains,
Et vantant de ces jeux la volupté barbare.
Rome, tels sont encor les maux qu'on te prépare :
Quiconque, de l'exil, parvient au premier rang
Règne par la terreur et s'abreuve de sang.
Tibère voulut d'abord que ces vers fussent re-
gardés comme l'œuvre de quelques mécontents
attaqués dans leurs vices par ses réformes, et

(1) Il fallait, pour être chevalier, posséder 40,000 sesterces (77,500 fr) et le texte dit que Tibère n'avait pas même en propre 100,000 sesterces, c. à.-d.-le quart du cens. — (2) Allusion à son séjour forcé à Rhodes. (3) Il a été question, au ch. 42, de sa passion pour le vin. Pline (XIV, 22) dit que Tibère fut très-sobre de vin dans sa vieillesse, tandis qu'il l'aimait beaucoup dans sa jeunesse.

Periit denique et is, qui honorem in colonia sua eodem die
decerni sibi passus est, quo decreti et Augusto olim erant.
LIX. Multa præterea, specie gravitatis ac morum cor- ¦
rigendorum, sed et magis naturæ obtemperans, ita sæve
el atrociter factitavit, ut nonnulli versiculis quoque et
præsentia exprobrarent, et futura denunciarent mala :
Asper et immitis, breviter vis omnia dicam?
Dispeream, si te mater amare potest.

Non es eques. Quare? non sunt tibi millia centum :
Omnia si quæras, et Rhodos exsilium est.
Aurea mutasti Saturni secula, Cæsar :
Incolumi nam te ferrea semper erunt.
Fastidit vinum, quia jam sitit iste cruorem:
Tam bibit hunc avide, quam bibit ante merum.
Aspice felicem sibi, non tibi, Romule, Sullam :
Et Marium, si vis, aspice, sed reducem :
Nec non Antoni, civilia bella moventis,
Nec semel infectas aspice cæde manus :
Et dic, Roma perit: regnabit sanguine multo,
Ad regnum quisquis venit ab exsilio.

Quæ primo, quasi ab impatientibus remediorum, ac non
tam ex animi sententia, quam bile et stomacho, finge.
rentur, volebat accipi; dicebatque identidem : « Oderint,

se jeta sur le centurion de l'avant-garde, chargé de reconnaître le chemin, le terrassa, et pensa le faire mourir sous les coups.

LXI. Cessant enfin de se contenir, il épuisa tous les genres de cruauté. Les victimes ne lui manquèrent jamais il poursuivit tour à tour les amis de sa mère, de ses petits-fils, de sa bellefille, de Séjan, et même leurs simples connaissances. Mais c'est après la mort de Séjan qu'il se montra le plus cruel; ce qui fit bien voir que le rôle de ce ministre était moins encore de l'exciter au crime, que de lui en fournir les occasions et les prétextes. Toutefois, dans les mémoires abrégés qu'il a écrits sur sa vie, il a osé dire qu'il ne punit dans Séjan que le persécuteur des enfants de son fils Germanicus »; mais Séjan lui

[ocr errors]
[blocks in formation]

LX. In paucis diebus, quam Capreas attigit, piscatori, qui sibi secretum agenti grandem mullum inopinanter obtulerat, perfricari eodem pisce faciem jussit, territus, quod is a tergo insulæ per aspera et devia erepsisset ad se. Gratulanti autem inter pœnam, quod non et locustam, quam prægrandem ceperat, obtulisset, locusta quoque lacerari os imperavit. Militem prætorianum, ob surreptum e viridario pavonem, capite puniit. In quodam itinere, lectica, qua vehebatur, vepribus impedita, exploratorem viæ, primarum cohortium centurionem, stratum humi pæne ad necem verberavit.

LXI. Mox in omne genus crudentatis erupit, nunquam deficiente materia : quum primo matris, deinde nepotum et nurus, postremo Sejani familiares atque etiam notos persequeretur. Post cujus interitum vel sævissimus exsti tit; quo maxime apparuit, non tam ipsum a Sejano concitari solitum, quam Sejanum quærenti occasiones subministrasse. Etsi commentario, quem de vita sua summatim breviterque composuit, ausus est scribere,

[ocr errors]

Sejanum se punisse, quod comperisset, furere adversus liberos Germanici filii sui » quorum ipse alterum, suspecto jam,

[ocr errors]

était déjà suspect quand il fit périr l'un, et était déjà mort quand il tua l'autre. Il serait trop long de raconter en détail toutes ses barbaries : je me contenterai d'en donner une idée générale et quelques exemples. Il ne se passa pas un seul jour qui ne fût marqué par des exécutions, sans en excepter même ceux que la religion a consacrés, ni le premier jour de l'année. Il.envelop pait dans la même condamnation les femmes et les enfants des accusés; et il était défendu à leurs proches de les pleurer. Les plus grandes récompenses étaient décernées aux accusateurs, quelquefois même aux témoins. Tout délateur était cru sur parole. Toute accusation entraînait la mort; un simple mot était un crime. On accusa un poëte d'avoir injurié Agamemnon, dans une tragédie on accusa un historien d'avoir appelé Brutus et Cassius, « les derniers des Romains. >> Ces auteurs furent punis et leurs écrits supprimés, quoiqu'ils les eussent publiés plusieurs années auparavant, avec l'approbation d'Auguste, qui en avait entendu la lecture., Parmi les prisonniers, il y en eut à qui l'on refusa nonseulement la consolation de l'étude, mais aussi la douceur de s'entretenir ensemble. Sûrs d'être condamnés, plusieurs de ceux qui étaient cités en justice se frappèrent eux-mêmes chez eux, pour éviter les tourments et l'ignominie; d'autres avalèrent du poison en plein sénat; mais on bandait les plaies des blessés, et on les emportait, demimorts et palpitants, dans les prisons publiques. Pas un supplicié qui ne fût aussi traîné avec un croc par la ville et jeté aux Gémonies. On en compta jusqu'à vingt dans un jour, et il y avait parmi eux des femmes et des enfants. Quant aux

alterum, oppresso demum Sejano, interemit. Singillatim crudeliter facta ejus exsequi, longum est. genera, velut exemplaria, sævitiæ enumerare, sat erit. Nullus a pœna hominum cessavit dies, ne religiosus quidem ac sacer. Animadversum in quosdam ineunte anno novo accusati damnatique multi cum liberis atque etiam uxoribus suis. Interdictum, ne capite damnatos propinqui lugerent decreta accusatoribus præcipua præmia, nonnunquam et testibus. Nemini delatorum fides abrogata. Omne crimen pro capitali receptum, etiam paucorum simpliciumque verborum. Objectum est poetæ, quod in tragœdia Aga. memnonem probris lacessisset: objectum et historico, quod a Brutum Cassiumque ultimos Romanorum » dixisset: animadversum est statim in auctores, scriptaque abolita, quamvis probarentur ante aliquot annos, etiam Augusto audiente, recitata. Quibusdam, custodiæ traditis, non modo studendi solatium ademtum, sed etiam sermonis et colloquii usus. Citati ad causam dicendam partim se domi vulneraverunt, certi damnationis, sed ad vexationem ignominiamque vitandam; partim in media curia venenum hauserunt, et tamen colligatis vulneribus, ac semianimes palpitantesque in carcerem rapti. Nemo punitorum non et in Gemonias abjectus, uncoque tractus; viginti uno die, [abjecti tractique sunt] inter cos feminæ

SUÉTONE.

vierges, comme une ancienne coutume défendait de les étrangler, le bourreau les violait d'abord, et les étranglait ensuite. On forçait de vivre ceux qui voulaient mourir; car il regardait la mort comme une peine si légère, qu'un accusé, du nom de Carnulius, ayant prévenu son exécution, il s'écria, dès qu'il l'apprit : « Ce Carnulius m'a échappé. » Un jour qu'il visitait les prisons, il répondit à un condamné, qui le conjurait de hâter son supplice: « Je ne sache pas que nous soyons réconciliés. » Un consulaire rapporte, dans ses annales, qu'à un grand repas auquel il assistait lui-même, un nain qui se tenait près de la table, avec d'autres bouffons, demanda tout haut à Tibère, après maintes facéties, pourquoi Paconius, accusé de lèse-majesté, vivait si longtemps; que le prince réprima aussitôt la liberté de sa langue, mais que, peu de jours après, il écrivit au sénat de statuer sans délai sur la peine due à Paconius.

LXII. Sa cruauté ne connut plus ni frein ni bornes, lorsqu'il eut enfin appris que son fils Drusus, qu'il croyait lui avoir été enlevé par une maladie, suite de son intempérance, était mort empoisonné par Livilla, sa femme, et par Séjan. Alors il multiplia sans pitié, contre tout le monde indifféremment, les tortures et les supplices; et, durant des jours entiers, l'instruction de cette seule affaire absorba tellement toute son attention, qu'un Rhodien, son hôte, étant, dans l'entrefaite, arrivé à Rome, où l'avaient appelé des lettres amicales de Tibère, celui-ci, quand on vint lui annoncer sa présence, ordonna de l'appliquer de suite à la question, persuadé qu'on venait de lui amener un de ceux qu'attendait la

et pueri. Immaturæ puellæ, quia more tradito nefas esset virgines strangulari, vitiatæ prius a carnifice, dein stran gulatæ. Mori volentibus vis adhibita vivendi. Nam mortem adeo leve supplicium putabat, ut, quum audisset, unum e reis, Carnulium nomine, anticipasse eam, excla. maverit : « Carnulius me evasit. » Et in recognoscendis custodiis, precanti cuidam pœnæ maturitatem respondit : << Nondum tecum in gratiam redii. » Annalibus suis vir consularis inseruit, frequenti quondam convivio, cui et ipse affuerit, interrogatum eum subito et clare a quodam nano, adstante mensæ inter copreas, cur Paconius majestatis reus tam diu viveret, statim quidem petulantiam linguæ objurgasse, ceterum post paucos dies scripsisse senatui, ut de pœna Paconii quamprimum statueret.

LXII. Auxit intenditque sævitiam, exacerbatus indicio de morte filii sui Drusi : quem quum morbo et intemperantia perisse existimaret, ut tandem veneno interemtum fraude Livillæ uxoris atque Sejani cognovit, neque tormentis neque supplicio cujusquam pepercit; soli huic cognitioni adeo per totos dies deditus et intentus, ut Rhodiensem hospitem, quem familiaribus literis Romam evocarat, advenisse sibi nunciatum, torqueri sine mora jusserit, quasi aliquis ex necessariis quæstioni adesset; deinde, errore detecto, et occidi, ne divulgaret injuriam.

7

torture. Quand l'erreur fut découverte, il le fit tuer, pour en étouffer le bruit. On montre encore à Caprée le lieu des exécutions: c'est un rocher d'où les condamnés, après des tortures aussi longues qu'inouïes, étaient, devant lui et sur un signe de sa main, précipités dans la mer. Des matelots les attendaient en bas, et frappaient encore leurs cadavres à coups de rames et d'avirons, de peur que le moindre souffle n'y fût resté. Il avait imaginé, entre autres inventions atroces, de faire boire à quelques convives, à force d'instances perfides, une grande quantité de vin; et ensuite il leur faisait lier la verge, pour qu'ils souffrissent à la fois de la douleur des ligatures et de l'ardent besoin d'uriner. Si la mort ne l'eût prévenu, et si Thrasyllus, prévoyant, dit-on, cet événement, ne l'eût décidé, par l'espérance d'une plus longue vie, à différer quelques-unes de ses vengeances, il eût fait périr beaucoup plus de monde encore, et n'eût sans doute épargné aucun de ses autres petits-fils; Caïus lui étant suspect, et le jeune Tibère, comme enfant adultérin, ne lui inspirant que du mépris. Ce qui donne de la vraisemblance à une telle opinion, c'est qu'on l'entendit souvent envier à Priam, le bonheur d'avoir survécu à tous les siens. >> LXIII. Qu'au milieu de tant d'horreurs il ait été haï, execré universellement, et même poursuivi par les terreurs du crime et par les outrages de quelques hommes, c'est ce dont les preuves abondent. Il défendit de consulter en secret et sans témoin les aruspices. Il tenta de supprimer les oracles voisins de Rome; mais il y renonça, effrayé d'un prodige qui protégea les sorts de Préneste. Quoiqu'on les eût apportés cachetés à Rome, on ne les trouva pas dans le coffre où ils avaient été mis, et ils n'y reparurent

[ocr errors]

Carnificinæ ejus ostenditur locus Capreis, unde damnatos, post longa et exquisita tormenta, præcipitari coram se in mare jubebat, excipiente classiariorum manu, et contis atque remis elidente cadavera, ne cui residui spirilus quicquam inesset. Excogitaverat autem inter genera cruciatus etiam, ut larga meri potione per fallaciam one. ratos, repente veretris deligatis, fidicularum simul urinæque tormento distenderet. Quod nisi eum et mors præ. venisset, et Thrasyllus consulto, ut aiunt, differre quædam spe longioris vitæ compulisset; plures aliquanto necaturus, ac ne reliquis quidem nepotibus parsurus creditur; quum et Caium suspectum haberet, et Tiberium, ut ex adulterio conceptum, aspernaretur. Nec abhorret a vero : namque identidem « felicem Priamum vocabat, quod superstes omnium suorum exstitisset. »>

LXIII. Quam inter hæc non modo invisus ac detestabilis, sed prætrepidus quoque, atque etiam contumeliis obnoxius vixerit, multa indicia sunt. Haruspices secreto ac sine testibus consuli vetuit. Vicina vero Urbi oracula etiam disjicere conatus est: sed majestate Prænestinarum sortium territus, destitit, quum obsignatas devectasque Romam non reperisset in arca, nisi relata rursus ad tem

que quand ce coffre eut été replacé dans le temple. Il lui arriva de nommer des consulaires au gouvernement de quelques provinces, et de ne pas oser les y envoyer: il les retenait près de lui, et, au bout de quelques années, il leur donnait, eux présents, des successeurs. Mais comme il leur laissait à Rome le titre de leur charge, il leur transmettait quelques affaires, que ceux-ci faisaient conduire par leurs lieutenants et leurs délégués:

LXIV. Après la condamnation de sa belle-fille et de ses petits-fils, il ne les fit jamais changer de résidence qu'enchaînés et dans une litière bien fermée, avec une garde qui empêchait les voyageurs et les passants de regarder ou de s'arrêter.

LXV. Quand il se résolut à perdre Séjan, qui conspirait contre lui, et dont la puissance était si bien affermie que le jour de sa naissance était célébré publiquement, et qu'on révérait, comme celles des dieux, ses statues dorées, il employa l'astuce et la ruse, plutôt que l'autorité du pouvoir. D'abord, pour l'éloigner de lui sous un prétexte honorable, il le prit pour collègue dans son cinquième consulat, qu'il avait même demandé dans ce but, quoique absent, et à un long intervalle du précédent : ensuite il le leurra de l'espoir de son alliance et de la puissance tribunitienne, et tout à coup il l'accusa près du sénat. Mais sa lettre était vile et misérable: entre autres prières, il faisait aux sénateurs celle « de lui envoyer l'un des consuls, chargé de conduire en leur présence, avec une escorte militaire, leur vieil empereur, que tout le monde abandonnait. » Ces précautions ne suffirent pas pour le rassurer: craignant des troubles, il ordonna qu'en cas d'alarme on mit en liberté son petit-fils Drusus, toujours détenu en prison à Rome, et qu'on lui confiât le com

plum. Unum et alterum consulares, oblatis provinciis, non ausus a se dimittere, usque eo detinuit, donec successores post aliquot annos præsentibus daret: quum interim, manente officii titulo, etiam delegaret plurima assidue, quæ illi per legatos et adjutores suos exsequenda

curarent.

LXIV. Nurum ac nepotes nunquam aliter post damnationem, quam catenatos, obsutaque lectica, loco movit; prohibitis per militem obviis ac viatoribus respicere usquam, vel consistere.

LXV. Sejanum, res novas molientem, quamvis jam et natalem ejus publice celebrari, et imagines aureas coli passim videret, vix tandem, et astu magis ac dolo, quam principali auctoritate, subvertit. Nam primo, ut a se per speciem honoris dimitteret, collegam sibi assumsit in quinto consulatu, quem longo intervallo absens ob id ipsum susceperat. Deinde spe affinitatis ac tribuniciæ po testatis deceptum, inopinantem criminatus est pudenda miserandaque oratione; quum inter alia P. C. precaretur, « mitterent alterum e consulibus, qui se senem et solum in conspectum eorum cum aliquo militari præsidio per duceret. » Sic quoque diffidens, tumultumque metuens,

mandement des forces militaires. Il tenait aussi des vaisseaux tout prêts, pour se réfugier auprès de quelqu'une des armées; et il attendait, sur la cime d'un rocher, les signaux qu'il avait commandé de lui faire du plus loin possible, afin d'être averti promptement de tout ce qui se passait, des messages pouvant être interceptés. Quand la conjuration de Séjan fut étouffée, il ne fut ni plus tranquille ni plus confiant, et, pendant les neuf mois qui suivirent, il resta enfermé dans sa maison de campagne, appelée la maison de Jupiter.

Quelques auteurs ont pensé que la connaissance qu'il possédait de l'avenir lui avait révélé son sort, et qu'il savait, longtemps d'avance, quelle infamie et quelle amertume l'attendaient à cette époque. C'est, disaient-ils, dans cette prévision, qu'en prenant possession de l'empire il avait refusé si obstinément le titre de PÈRE DE LA PATRIE, et le privilége de voir jurer par ses actes. Il craignait que de si grands honneurs, dont il serait bientôt indigne, ne fissent ressortir davantage son avilissement. C'est du moins ce que l'on peut conclure du discours qu'il prononça dans cette circonstance, quand il dit « qu'il se

LXVI. A ses inquiétudes venait s'ajouter la rage d'être sans cesse injurié; car il n'y avaitrait toujours semblable à lui-même, et ne chanpas un condamné qui ne l'invectivât en face, ou dans des billets que l'on trouvait dans l'orchestre. Il en paraissait diversement affecté : tantôt la honte lui faisait désirer que tant d'outrages demeurassent ignorés; tantôt, feignant de les mépriser, il les répétait lui-même, et les rendait publics. Rien ne le piqua plus qu'une lettre d'Artaban, roi des Parthes, qui lui reprochait ses meurtres, sa lâcheté, ses débauches, et qui l'exhortait à satisfaire au plus tôt, par une mort volontaire, la juste et implacable haine de ses concitoyens.

[merged small][ocr errors]

Drusum nepotem, quem vinculis adhuc Romæ contine. bat, solvi, si res posceret, ducemque constitui præceperat. Aptatis etiam navibus, ad quascunque legiones meditabatur fugam, speculabundus ex altissima rupe identidem signa, quæ, ne nuncii morarentur, tolli procul, ut quidque factum foret, mandaverat. Verum, et oppressa conjuratione Sejani, nililo securior aut constantior, per novem proximos menses non egressus est villa, quæ Vocatur Jovis.

LXVI. Urebant insuper anxiam mentem varia undique convicia, nullo non damnatorum omne probri genus coram, vel per libellos in orchestra positos, ingerente. Quibus quidem diversissime afficiebatur: modo, ut præ pudore ignota et celata cuncta cuperet; nonnunquam eadem contemneret, et proferret ultro, atque vulgaret. Quin et Artabani, Parthorum regis, laceratus est literis, parricidia et cædes et ignaviam et luxuriam objicientis, monentisque, ut voluntaria morte maximo justissimoque civium odio quamprimum satisfaceret.

LXVII. Postremo semetipse pertæsus, tali epistolæ principio tantum non summam malorum suorum professus est: « Quid scribam vobis, patres conscripti, aut quomodo scribam, aut quid omnino non scribam, hoc yempore, dii me deæque pejus perdant, quam quotidie

gerait point ses mœurs, tant qu'il jouirait de sa saine raison; mais que le sénat ne devait pas donner le dangereux exemple de jurer obéissance aux actes de qui que ce fût, chacun étant sujet à changer; » ou quand il ajouta : « Si vous venez jamais à mettre en doute la pureté de mes mœurs et mon dévouement pour vous, (et puisse, avant ce malheur, arriver mon dernier jour!) ce nom de PÈRE DE LA PATRIE n'ajoutera rien à mon honneur ; et vous mériterez le reproche ou de me l'avoir donné légèrement, ou d'avoir ensuite pris de moi, sans raison, une opinion contraire à vos premiers sentiments. >>

LXVIII. Il était gros et robuste, d'une taille au-dessus de l'ordinaire, large des épaules et de la poitrine, bien fait et bien proportionné. Il était plus adroit et plus fort de la main gauche que de l'autre les articulations en étaient si vigoureuses, qu'il perçait du doigt une pomme encore verte, et que, d'une chiquenaude, il blessait à la tête un enfant et même un jeune homme. Il

perire sentio, si scio. » Existimant quidam, præscisse hæc eum peritia futurorum : ac multo ante, quanta se quandoque acerbitas et infamia maneret, prospexisse; ideoque, ut imperium inierit, et PATRIS PATRIÆ appellationem, et, ne in acta sua juraretur, obstinatissime recusasse, no mox majore dedecore impar tantis honoribus inveniretur. Quod sane et ex oratione ejus, quam de utraque re habuit, colligi potest : vel quum ait, « Similem se semper sui futurum, nec unquam mutaturum mores suos, quamdiu sanæ mentis fuisset: sed exempli causa cavendum esse, ne se senatus in acta cujusquam obligaret, qui aliquo casu mutari posset. » Et rursus : « Si quando autem, inquit, de moribus meis, devotoque vobis animo dubi taveritis (quod priusquam eveniat, opto, ut me supremus dies huic mutatæ vestræ de me opinioni eripiat), nihil honoris adjiciet mihi PATRIS PATRIE appellatio; vobis autem exprobrabit aut temeritatem delati mihi ejus cognominis, aut inconstantiam contrarii de me judicii. »

LXVIII. Corpore fuit amplo atque robusto statura, quæ justam excederet. Latus ab humeris et pectore : ce teris quoque membris usque ad imos pedes æqualis et congruens: sinistra manu agiliore ac validiore: articulis ita firmis, ut recens et integrum malum digito terebraret; caput pueri, vel etiam adolescentis, talitro vulneraret.

« IndietroContinua »