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vieillard courbé par le travail de la terre, a tenu à nous faire lui-même les honneurs de son arbre, dont il est très fier, paraîtil, et, faisant monter un de ses fils dans le dôme de feuillage, il nous a mis à même d'en goûter les fruits. Cette jujube, trois fois plus grosse que la nôtre, nous a paru d'une excellente qualité. Le commandant supérieur nous a fort aimablement interdit de camper. Nous obéissons à la consigne, de sorte que nous sommes logés à la kasbah, couchant dans des lits et partageant la table des officiers. Nous y gagnons sous tous les rapports, et ces Messieurs s'appliquent à nous faire connaître les spécialités culinaires du pays. On s'instruit de bien des façons! Sans parler du lagmi et des poissons sahariens déjà nommés, nous faisons connaissance avec le gigot de gazelle et le cœur de palmier, une façon de choux palmiste que l'on mange cru. Le premier fait penser au chevreuil, le second à la noix de coco. Ce régal arabe n'est bon et tendre que là où la croissance de l'arbre est très rapide, comme dans le Djerid proprement dit. A Gafsa, il est déjà moins estimé, et sur la côte il ne l'est plus du tout.

Nos deux soirées passées sur la terrasse de la kasbah sont de celles que l'on n'oublie pas. Hier surtout, nous y avions pris le repas du soir, les officiers du bureau arabe étaient des nôtres, et à chacun de nous il coûtait de se retirer.

La nuit était admirable, calme, tiède, et, bien que sans lune, ardemment lumineuse comme une nuit des tropiques. Partout dans la voûte étoilée le même scintillement, comme une lueur confuse, également répandue et se reflétant à l'horizon dans le miroir du chott. A droite, la ville paisible, baignant encore dans la nuée bleuâtre de la fumée du soir; de temps en temps le rythme lointain d'une darbouka' ou la note sonore de la chevèche partant de quelque minaret. A gauche, les sombres profondeurs de l'oasis, deux lieues de feuilles et de palmes ondoyantes. Vers onze heures, des éclairs silencieux, dont on ne

1 La darbouka est un petit tambour formé d'une peau tendue sur un manchon de terre cuite, et que l'on frappe avec les doigts pour accompagner le chant ou la

daase.

voyait que la lueur, ont illuminé l'horizon droit vers le Sud, sans doute au delà de Ghadamès. Peut-être l'orage éclatait-il sur les cimes sahariennes d'un de ces massifs montagneux aperçus par quelques voyageurs et jamais visités. Et voilà que plusieurs d'entre nous, réunis par la même pensée, s'élançant en esprit au cœur du continent mystérieux, ont vu pour un instant le pays qui, sans jamais rendre les dépouilles, a dévoré tant de victimes! Spontanément, en effet, la conversation est tombée sur Flatters et ses compagnons, des victimes choisies et qui n'ont pas été vengées !

D'où vient qu'on n'a pas osé? La France est puissante pourtant et les nobles courages ne lui feront jamais défaut. Le désert et ses Touaregs sont-ils des obstacles infranchissables ? Les uns le croient; d'autres, et le lieutenant L.... est de ceux-ci, sont d'un avis contraire. « Qu'on me laisse, disait-il, choisir 100 hommes, 50 cavaliers montés sur des mulets et 50 fantassins montés sur des chameaux; avec cela, 100 chameaux de charge, les bêtes triées avec autant de soin que les hommes; qu'on me laisse désigner le moment du départ, et j'irai à Tombouctou. » Nous croyons, avec le lieutenant L..., qu'en choisissant un hiver pluvieux, comme le dernier, on aurait pour six mois de pâturage devant soi, avec de l'eau dans tous les redirs ; autrement dit, l'entretien d'animaux sobres assuré et toutes leurs forces employées au service des hommes. Voilà pour le désert! Quant aux Touaregs, ils n'attaqueront jamais 100 hommes armés de fusils à tir rapide, et, dût-on doubler l'effectif, l'expédition serait plus facile que celle conduite par Stanley (1875-76) de Zanzibar à l'Atlantique. Le retour se ferait par Bamakou, notre nouveau poste sur le Haut-Niger. Mais l'année où le colonel Flatters est parti, il n'avait pas plu au désert, et la mission, à bout de vivres, a dû accepter des Touaregs des -dattes empoisonnées !

Ce matin, recherches dans la direction des sources de l'oued. Le site est bizarre: on dirait un cirque rempli de palmiers, entouré de dunes de 30 à 40 mètres d'élévation et réu

nissant dans un même thalweg l'éventail de cent sources différentes. Ces sources jaillissent impétueusement au-dessous du sable, sur un lit de poudingue, au milieu de blocs désagrégés. Elles proviennent d'une couche aquifère inépuisable qui se trouve partout dans l'isthme de Tozeur, à une profondeur de 20 à 50 mètres suivant la hauteur des dunes, et à une altitude d'environ 40 mètres au-dessus de la mer. Le courant de la nappe d'eau paraît venir du Nord, et celle-ci s'écoule sur le versant du chott El Djerid, donnant la vie aux belles oasis de Nefta, Tozeur, Degach, Kriz, Cededa, etc., c'est-à-dire à tout le Djerid.

L'oasis de Tozeur se déplace peu à peu du N.-O. au S.-E. On le voit d'un côté aux plantations abandonnées et envahies par le sable, de l'autre aux terrains récemment défrichés, irrigués et plantés. Entre le sable mouvant et les cultures, la lutte est en effet constante. Le niveau des sources semble également s'être un peu abaissé. C'est l'opinion de Doûmet'. On peut expliquer ainsi des restes de plantations isolés des cultures actuelles et plus élevés que le cours de l'oued, tels que celui des quatre palmiers au S.-O. de Tozeur. Nous croyons aussi, avec M. Barabaa, à la disparition de certaines sources par l'envahissement des sables mouvants. On n'a pas encore opéré de forages artésiens. Il serait intéressant de savoir si on pourrait faire jaillir de l'eau au-dessus de son niveau de sortie. L'extension des oasis serait alors illimitée, et le Djerid, de Nefta à l'Oudiane, pourrait devenir un immense jardin.

A midi, couscoussou plantureux au Dar el Rey chez le chef du bureau arabe, M. le lieutenant de F... La kasbah étant invitée, la fête était complète. A part l'amabilité, qui est bien française, tout est couleur locale dans la maison. Les caravanes des Touaregs, avons-nous dit, viennent jusqu'à Tozeur; on s'en aperçoit vite à la masse d'objets de cette provenance. Aux murs

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Doumet-Adanson; Congrès de Blois, 1884.

Happort de M. Baraban, inspecteur des forêts, sur les oasis du sud de la Régence. Bulletin des Missions officielles, 1885.

sont suspendues des panoplies composées d'épées, de poignards, de lances, de cornes d'antilopes, de chapeaux garnis de plumes d'autruches; sur les divans, des coussins de cuir transparent; sur le sol, des dépouilles de guépards et de bubales; et si, pendant le repas, un panka indou n'avait été balancé au-dessus de nos têtes, on se serait cru transporté dans un des ksours du Sahara indépendant. Un marchand touareg a laissé à M. de F... un dépôt de ces objets curieux et nous en profitons pour faire quelques emplettes. Les armes blanches diffèrent complètement de celles des Arabes, toujours plus ou moins recourbées. L'épée touareg rappelle celle des chevaliers du moyen-âge; la lame est droite et la garde en forme de croix'. Le poignard peut se comparer à la miséricorde de nos anciens preux. C'est une arme que l'on porte fixée au bras gauche au moyen d'un bracelet de cuir faisant corps avec le fourreau. La garde, également cruciforme, est en bois; elle est recouverte d'une armature de cuivre, maintenue en place par des rivets de fer et des fils de laiton.

On a dit que les Touaregs, autrefois chrétiens, avaient conservé la croix non seulement dans la garde de leurs épées, mais dans leurs ornements. C'est exact; mais ce signe se retrouve chez tous les Berbères, dont les Touaregs font partie. Nous l'avons vu, sur la côte, dans les arabesques dessinées sur les portes avec des clous de cuivre; nous l'avons revu à Gafsa dans les mêmes conditions et aussi dans les dessins que portent les tissus; nous l'avons même trouvé chez les Arabes de race pure, puisque nous l'avons signalé en parlant des tatouages des Ham

1 Certaines épées touaregs sont même des armes du moyen-âge authentiques, soigneusement conservées par des chefs de famille comme portant bonheur et transmises de père en fils. Il y a quelques années encore, il n'était pas impossible de trouver de ces rapières vénérables sur lesquelles étaient écrits les mots : Dieu et mon Roy, ou toute autre devise française; mais la contrefaçon s'en est mêlée (les Allemands excellent dans cet art), et aujourd'hui on peut se procurer facilement des épées de cette origine. Nous avons eu personnellement, à Tripoli, l'occasion de lire l'inscription sur une lame savamment rouillée, qui, pour nous, venait de Hambourg ou de Francfort.

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memas. On peut dire que la croix est employée comme dessin d'ornement par tous les peuples du nord de l'Afrique, mais spécialement par ceux d'origine berbère, qui n'ont eu qu'à la conserver. Si l'intérieur de Dar el Bey est un musée, les dépendances font penser à une succursale du Jardin d'Acclimatation. Dans la cour à arcades mauresques, fraternisant avec un slougui et une demi-douzaine de gazelles, se promènent deux jeunes fenneks (Canis zerda), ces minuscules renards du désert, à la robe couleur de sable' et aux oreilles démesurées. Nous remarquons aussi un hérisson très familier, aux épines noires et aux poils blancs. Parmi les gazelles, deux appartiennent à la petite espèce saharienne (Antilope ou Gazella minuta Ludwig), considérée par certains mammologistes comme une simple variété d'A. dorcas. La taille est d'un tiers plus petite et les cornes plus arrondies en forme de lyre. Une autre espèce d'antilope, dont nous ne voyons que la dépouille avec ses immenses cornes en spirale, se trouve aux environs du Djerid: c'est l'A. Mendes ou Addar nasomaculatus (Abou Addas des Arabes). Dans un enclos, se promène un cerf, amené, à travers les chotts, des montagnes de la Tripolitaine, nous dit M. de F... : c'est le cerf de Numidie, variété de petite taille de notre cerf d'Europe (Cer. vus elaphus), que nous avons déjà vu en deux exemplaires venant de Feriana, au cercle des officiers de Gafsa. Pour nous, le cerf est toujours un habitant des forêts. Dans les montagnes qui dominent Feriana, où de grandes étendues sont couvertes de pins d'Alep et de chênes, où M. Guérin a trouvé le lion et la panthère, animaux de forêts également, la présence de ce ruminant est expliquée; mais au sud de la Tripolitaine, des montagnes boisées seraient, au point de vue géographique, une chose

La robe couleur de sable est fréquente dans le désert. C'est ce que les naturalistes appellent du mimétisme. On peut citer les gazelles, le fennek, le lièvre, les alouettes, les outardes, les gangas, les vipères à cornes, plusieurs couleuvres, plusieurs lézards et beaucoup d'insectes. Les animaux domestiques, sélectionnés par Thomme ou la nature, semblent subir la même loi. Tels sont le slougui, l'âne et le chameau sahariens.

Karl Wogt; Les mammifères, 1884..

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