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duit les atterrissements. Les lagunes de Capestang et de Vendres, autrefois salées et faisant partie du Lacus, sont devenues peu à peu étangs d'eau douce; après y avoir affermé la production du sel, on y afferme aujourd'hui la pêche des carpes. De même, dans la baie de Triton, c'est le fleuve du même nom qui par ses apports a séparé de la mer le lac Kelbiah moderne, élevant son niveau et dessalant ses eaux.

Quels eussent donc été les avantages de la mer saharienne? Créer une immense nappe d'eau au sud de nos possessions barbaresques, c'était, suivant M. Roudaire, provoquer une évaporation considérable (3 à 4 millim. d'épaisseur par jour) sur une surface de 8,000 kilom. carrés (15 fois le lac de Genève); c'était, par suite de la condensation probable de ces vapeurs, faire monter la chute d'eau annuelle de 27 cent. (observations faites à Biskra) à une épaisseur plus que double; c'était aussi rendre plus humides les vents du sud et du sud est, dominant en été, vents qui brûlent tout jusque sur les hauts plateaux ; c'était, en un mot, modifier profondément le climat et l'agriculture du sud de la province de Constantine.

Dans d'autres ordres d'idées, la création de ports de mer au sud de l'Algérie devait attirer vers nos possessions un plus grand nombre de caravanes, et sous le rapport stratégique une frontière protégée par un bras de mer eût été plus facile à défendre.

A ces arguments optimistes et peu probants, il y avait beaucoup à répondre, et l'on a beaucoup répondu. Nous ne pouvons ici qu'effleurer la question; mais, comme pour les côtés historique et topographique, nous renverrons le lecteur à des travaux spéciaux, et principalement aux comptes rendus de la 13° session de l'Association française pour l'avancement des Sciences, tenue à Blois en 1884. Dans ce Congrès, aucune voix ne s'est élevée pour défendre le projet Roudaire; mais ont pris successivement la parole contre lui: MM. Cosson, membre de l'Institut, président de la Mission d'exploration scientifique de la Tunisie, DoûmetAdanson, membre de la Mission; Rolland, ingénieur des mines,

membre de la Mission; Letourneux, conseiller à la Cour d'Alger, membre de la Mission, et M. le D' Rouire, chargé d'une mission spéciale en Tunisie. Sur les lieux, nous n'avons entendu à peu près qu'une voix contre la mer intérieure. A Tunis, à Sousse, à Sfax, à Gafsa, à Tozeur même, où M. Roudaire a séjourné et n'a laissé que des souvenirs sympathiques, nous avons entendu traiter son projet de ruineuse chimère. Il a fallu arriver à Gabès pour trouver quelques défenseurs, tous propriétaires de terrains, des hommes rêvant pour leur ville naissante la prospérité des premiers moments de Port-Saïd.

Nous dirons tout d'abord que nous croyons, avec M. Rouire, que, le point de départ étant reconnu faux, l'échafaudage théorique que M. Roudaire a édifié s'écroule de lui-même. La baie de Triton, aux bords fertiles, n'ayant pas existé là où il croyait en découvrir des traces, sa demande de concession de 2 millions d'hectares, y compris des forêts dans l'Aurès, doit demeurer non avenue. Les textes anciens, mieux interprétés, se sont retournés contre celui qui les avait appelés à son aide. Salluste, que nous avons déjà cité, Hérodote, Diodore (de Sicile), Ptolomée, sont unanimes à mentionner la stérilité de la région, et ce n'est que lorsqu'ils parlent de la baie de Triton qu'ils parlent aussi de fertilité. Les rives du lac Triton étaient fertiles, nous le croyons sans peine, les environs de Sousse l'étant aussi, et le domaine de l'Enfida, dont on a beaucoup parlé, s'étendant jusque dans ces parages.

Mais M. Roudaire a en quelque sorte pressenti la découverte de M. Rouire, car il admet, chap. IV de son dernier travail (1883), que le projet est indépendant de la question historique. La dépression existe, dit-il; quelle qu'elle soit, il est utile de la remplir. A cela nous répondrons, avec M. Cosson, avec M. Doùmet, avec M. Rouire, avec tous les membres de la Mission, que le voisinage d'une mer intérieure n'amène pas toujours la fertilité: témoins les bords de la mer Rouge, du golfe Persiqué, de la mer d'Aral et d'une grande partie de la mer Caspienne. A cela, nous ajouterons que les produits des dattiers sont d'autant

plus rémunérateurs qu'ils sont éloignés de la mer. Nous rappellerons à ce sujet les paroles de M. Letourneux: Un pied de dattier vaut de 15 à 20 fr. sur la côte et 100 fr. dans le Djerid. Or, il ya dans ce pays plus d'un million de palmiers, nombre qui se répartit ainsi : 350,000 à Tozeur, 350,000 à Nefta et plus de 300,000 dans le groupe des oasis de l'Oudiane. Si la valeur de 100 fr. le pied est réduite à 20 fr., il y a d'abord à compter aux propriétaires, par ce seul fait, 80 millions d'indemnité. Mais, continuant à citer notre collègue, si compétent dans la question, nous verrons qu'à son avis les dattiers du Djerid ne seraient pas seulement dépréciés, mais complètement détruits. En effet, la nappe d'eau qui alimente les oasis étant à 40 mèt. d'altitude et la tranchée du canal qui coupera l'isthme de Tozeur devant descendre au-dessous du niveau de la mer, il en résultera que toutes les eaux de cette nappe seront drainées, tomberont dans le canal, et que les oasis seront ruinées: 100 millions d'indemnités à payer. A cette objection si sérieuse, développée à l'Académie des Sciences par M. Cosson, sur une lettre reçue de M. Letourneux, qu'a répondu M. de Lesseps? « Nous ferons le canal étanche », a-t-il dit1. Cette réponse est, à nos yeux, un des arguments les plus puissants qu'on puisse opposer au projet. Pour le chott Melrhir et son annexe le chott El Asloudj, c'est bien autre chose. Si nous jetons les yeux sur la carte annexée au travail de M. Roudaire, si nous comptons les oasis englobées dans la teinte bleue indiquant la submersion, nous pouvons éva luer à un million le nombre des dattiers inévitablement détruits. M. Rolland, membre de la Mission, géologue déjà cité, qui s'est fait créateur d'oasis dans le nord de l'oued Rhir, au-dessous du niveau de la mer, parle, seulement pour ce qui le concerne (Con grès de Blois), de 80,000 palmiers plantés et de 100,000 qui vont l'être. Un million de dattiers à 100 fr. l'un représentent 100 millions qui, joints aux 100 millions du Djerid et à la valeur des terres noyées, forment un total dépassant de beaucoup

1 Comptes rendus Acad. des Sciences, 30 juin 1884.

200 millions d'indemnités à payer. Et cela pour un travail qui, de l'aveu de M. Roudaire, demandera dix ans pour être exécuté ! Le remplissage seul, évaporation calculée, demanderait huit ans. Et la question de l'impôt, dont la source serait tarie: il faut bien la faire intervenir! M. Letourneux dit que, pour le Djerid seul, le Trésor tunisien serait privé d'un million de revenus. Si l'on estime à autant le déficit du Trésor français sur le territoire algérien, on voit que cette question de l'impôt se dresse, elle aussi, de toute sa hauteur et de toute sa puissance devant le projet de la mer saharienne.

Admettons pour un instant que du côté de l'exécution matérielle, avec les moyens puissants dont on dispose aujourd'hui et en dépensant plus d'un milliard, il soit possible de vaincre toutes les difficultés : nous n'en croyons pas moins que les dépenses seraient hors de proportion avec le but à atteindre. Mais le projet ne serait pas si facile que cela à mettre à exécution! Pour pratiquer plus de 100 kilom. de tranchée dans des abîmes de boue fluide, les difficultés seraient incalculables. « Par cette tranchée, dit M. Roudaire (pag. 92), nous drainerons le chott El Djerid et conduirons ses eaux dans le chott Rharsa; l'écoulement mème des eaux aidera à creuser le canal, et, une fois le chott desséché, nous aurons créé une surface cultivable de 500,000 hectares de terre végétale excellente. » On dirait ces lignes écrites par un homme ne connaissant pas le pays! Si pour un instant nous pouvions conduire le lecteur dans les solitudes des bords des chotts et lui montrer ces terrains, depuis des milliers d'années émergés, dessalés et pourtant stériles, il serait tenté de voir dans cet optimisme une amorce pour les actionnaires.

A qui persuadera-t-on que des boues de consistance fluide, débarrassées de leurs eaux par un drainage, ne se satureraient pas de nouveau au contact des eaux de la mer? Ici encore, reviendrait-on à l'idée d'un canal étanche, et cela sur une longueur de plus de 100 kilom.? Ce serait la conception d'un fou !

Selon

nous, si l'on tentait de drainer le chott, la boue ellemême coulerait dans la tranchée et le chott Rharsa en serait

peut-être comblé avant qu'on ait pu solidifier tant soit peu la masse du chott El Djerid.

Quels seraient les avantages que les caravanes venant du Sahara ou du Soudan trouveraient à rencontrer un port de mer au sud de l'Algérie ?

Il faut bien peu connaître les Arabes pour croire que cette créa tion serait pour eux une raison de modifier leurs itinéraires habituels. Il suffit de jeter les yeux sur une carte du nord de l'Afrique pour voir que l'Algérie et la Tunisie font saillie sur la Méditerranée. Tripoli ou Maroc sont à une latitude plus basse que notre Sahara algérien lui-même. Les caravanes venant du Soudan par le Fezzan ou le Hoggar prennent donc la direction de Tripoli, et celles qui viennent par le Touat se dirigent vers le Maroc. L'Algérie détournait, il est vrai, autrefois, par la ligne de l'oued Rhir, une partie de ce mouvement: Biskra, qui a 10,000 âmes, en a eu 100,000; mais c'était à l'époque où le commerce des esclaves était florissant dans toute la Barbarie. L'Arabe amène, de l'intérieur à la còte, de l'ivoire, de la poudre d'or, des plumes d'autruches et surtout des esclaves nègres. La conquête de l'Algérie et de la Tunisie par la France ayant coupé court à cet affreux trafic, le courant commercial a été rejeté du côté des États où les pauvres noirs se vendent encore. Tripoli, une fois par semaine, le mardi, a un marché aux esclaves. Biskra ne reçoit plus guère que les denrées du Sahara algérien, c'est-à-dire les dattes et les objets manufacturés du Mzab, tels que des tapis, de la maroquinerie, des armes, des bijoux, etc. Un port établi au sud de Biskra recevrait quelques marchandises à l'importation, mais ne chargerait pas deux navires par an. Nous pensons, avec M. Cosson (Congrès de Blois), que la ligne ferrée de Constantine, prolongée bientôt jusqu'à Biskra, sera d'une tout autre utilité.

Reste la question stratégique. Pourrait-on voir dans la création de la mer intérieure une défense contre les tribus sahariennes? Il faudrait d'abord, pour que la chose fût utile à ce point de vue, que ces tribus fussent dangereuses. Or, les populations

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