renfort qui lui arrivait bien à propos permit enfin au commandant de prendre des mesures énergiques. A la tête de ses Housas il partit à bord du Royal pour aller délivrer Yvata. Quand le steamer arriva à Ibako, on se disposait déjà à manger le prisonnier, et les femmes d'Ipeko, chez lequel il se trouvait, étaient en train de préparer les chicaongas et le malafon pour le festin, lorsque le commandant se présenta à Impanza. N'y trouvant pas Yvata, il s'adressa immédiatement au grand chef du district, le vieux Ignamalembé, le prévenant que, s'il ne rendait pas sur-le-champ la liberté au prisonnier, il en subirait les conséquences. Ignamalembé, tremblant comme une feuille, fit aussitôt relàcher Yvata, que le commandant ramena à la station. Le 21 septembre, le steamer descendait à l'Équateur pour chercher nos provisions. Nous fimes commencer les travaux nécessaires à notre installation, et notre premier soin fut de nous munir d'un toit en argile réfractaire, afin de nous garantir du feu. Le 28, le vapeur était de retour avec nos approvisionnements, et le 30 il repartait pour Léopoldville. Mais aussitôt après le départ du Royal, les noirs commencèrent à se montrer insolents, disant qu'ils étaient bien bons de nous laisser ainsi maîtres de la place; mais que nous devions y prendre garde, et que si nous nous montrions trop exigeants ils nous massacreraient tous jusqu'au dernier. M. Coquilhat fit aussitôt venir le sergent Pedro. «Pedro, lui dit-il, donnez aux Housas l'ordre de faire peur aux indigènes. >>> Ces mots étaient à peine prononcés qu'une vingtaine d'hommes couraient au village, criant, chantant, brisant les lances des habitants qu'ils rencontraient et frappant avec leurs bâtons sur les toits. Aussitôt l'interprète Stambouli, l'ami des indigènes et un vrai brigand, du reste, accourut chez le chef de la station en s'écriant: << Maître maître les Housas maltraitent les indigènes. - - Ont-ils peur maintenant ? demanda M. Coquilhat. quel se elo zak Impazz au stat Oui, certes, répondit Stambouli, espérant mettre fin à ces démêlés qui auraient pu lui causer des ennuis de la part des cannibales. Car il est bon d'ajouter qu'aussitôt qu'il se produit un différend quelconque entre les Européens et les habitants du pays, c'est toujours l'interprète sur lequel retombe toute la responsabilité. En outre, c'est également à lui que s'adresse tout indigène qui a des cadeaux à recevoir, le pressant de faire de son mieux pour qu'ils soient riches et nombreux et lui en promettant une part. En raison des explications données par Stambouli, M. Coquilhat fit aussitôt rentrer les Housas. Une heure s'était à peine écoulée depuis cet incident, lorsque j'entendis un bruit étrange derrière les palissades. Je m'y rendis aussitôt, et je trouvai le commandant aux prises avec les indigènes. Au même instant il fut atteint d'un formidable coup de baton. Je courus en toute hâte chercher mon fusil et mon revolver; cependant je ne voulus pas faire feu sans prévenir le commandant, et je lui criai que j'étais armé. Il me demanda alors mon revolver et, s'approchant des indigènes, il tira six coups, dont l'un blessa Mompata, le chef des N'Gombis. Aussitôt, nous fûmes assaillis par une grêle de javelots et le commandant faillit être tué. « Prenez garde, M. Westmark! s'écria-t-il; ne voyez-vous pas de toutes parts les traits qui nous menacent ? » En effet, le sol en était jonché, et c'était un miracle que je n'eusse pas été touché. Après avoir tranquillisé le vieux Matamaike, auquel nous n'avions rien à reprocher, je partis avec quelques Housas pour brûler le village dont les habitants nous avaient attaqués. Ceuxci s'empressèrent de fuir à notre approche. La cause de ce combat était due à une question de femmes, comme cela arrive souvent dans ces parages. Depuis l'arrivée des blancs, les indigènes avaient toujours loué leurs femmes, filles ou esclaves, au personnel de la station pour s'occuper de la cuisine et du ménage moyennant un prix minime. Or Mompata, qui avait loué sa fille au Housas Belo, n'ayant pas été payé, avait exigé la somme convenue. Belo, ne l'ayant pas, avait prié l'indigène de revenir plus tard. Mompata, mécontent du délai, avait voulu s'emparer à titre de gage d'un pantalon d'uni forme appartenant à Belo. Sur ces entrefaites, M. Coquilhat, étant survenu, avait refusé net de céder le pantalon. La paix fut conclue peu de temps après, mais à condition que Mompata et son frère Biangala, tous deux hostiles aux blancs, ne reviendraient plus dans le pays. Quelques jours plus tard, un des principaux chefs nommé Monamcoula tomba malade, empoisonné, disait-on, par les indigènes, qui le trouvaient trop favorable aux blancs. Pour se guérir, il alla passer quelque temps chez un féticheur renommé. Malheureusement et contrairement aux espérances que le sorcier lui avait données, son état empira de plus en plus, et quelques jours après, le malheureux chef passa de vie à trépas. Ici se placèrent des difficultés d'enterrement assez sérieuses. Les indigènes chez lesquels Monamcoula était mort voulaient conserver son corps, afin de bénéficier des fêtes lugubres usitées en pareil cas et pendant lesquelles des sacrifices d'esclaves ayant appartenu au défunt leur faisaient espérer de plantureux festins. D'autre part, les Ibakos, dans le territoire desquels Monamcoula avait habité, protestaient énergiquement, ne voulant pas, eux non plus, perdre une si bonne aubaine, et la question menaçait de s'éterniser. Enfin, après de nombreux et bruyants palabres, on tomba d'accord, et il fut décidé que le défunt serait transporté à son ancien domicile et qu'on inviterait aux fêtes de l'enterrement ceux chez lesquels il était mort. En effet, un beau matin on vit arriver la pirogue contenant sa dépouille mortelle. A l'avant, se tenait un homme frappant sur un gong, comme cela se pratique d'habitude dans les grandes cérémonies. Au milieu du bateau était placé le corps, revêtu hefs o par les ta. de ses plus précieuses étoffes et paré de perles. Les femmes, agenouillées sur le corps même, se livraient aux lamentations usitées en pareil cas. Elles étaient vêtues, non de leurs franges ordinaires, mais couvertes chacune d'une feuille de bananier et avaient le visage tout enduit de farine de manioc. A l'arrivée du défunt à Bangala, des coups de fusil furent tirés en signe de deuil et d'honneur par tous ses amis. Dès que le corps eût été transporté à terre, les femmes, quittant la pirogue, se traînèrent sur les genoux jusqu'à la maison du mort, qu'elles ne quittèrent plus qu'au moment même de l'enterre ment. Le soir, eurent lieu des danses accompagnées de tambours assourdissants, et auxquelles prirent part tous les notables du pays. Nous-mêmes, M. Coquilhat et moi, nous fùmes en quelque sorte obligés de nous y mêler. On peut se faire une idée de la singulière figure que nous faisions, imitant leurs sauts désordonnés d'une manière si parfaite, paraît-il, que nous reçûmes de frénétiques applaudissements après le pas de deux que nous exécutâmes à leur grande satisfaction. En somme, ces danses n'avaient rien de funèbre et ressemblaient bien plutôt à un divertissement. Les véritables funérailles n'eurent lieu que deux jours après. On creusa une fosse d'un mètre au plus de profondeur dans la case même de Monamcoula, et on l'y ensevelit. On mit sur un petit tertre, devant sa maison, une quantité considérable de manioc, de maïs et autres provisions qui devaient lui servir pendant le dernier voyage, et l'on y joignit quelques étoffes pour son habillement. D'après la croyance des indigènes, dès que le manioc et les étoffes ont été dévorés par les insectes, le défunt est arrivé à sa destination. Le matin de l'enterrement, de jeunes femmes et de tout jeunes gens apparurent attachés les uns aux autres. Chaque esclave destiné à être sacrifié était lié à une femme libre qui, heureusement pour elle, ne devait pas contribuer au repas. Le lendemain on procéda définitivement aux sacrifices humains, qui devaient constituer la partie principale de la fête. Dès le matin, on fit partir une pirogue dans laquelle se trouvaient les victimes, le corps enduit d'une couleur rouge uniforme appelée N'Goula. Pour éviter que nous fussions informés de ce qui se passait, les indigènes eurent soin de célébrer leur affreuse cérémonie dans un village assez éloigné du nôtre, et comme toujours cette mort fut pour eux le prétexte de monstrueuses orgies de chair humaine et de malafon. Les travaux de la station avançaient rapidement, et en peu de temps nous eûmes terminé l'agencement de la grande maison. Nous nous occupâmes alors à créer un jardin potager, et grâce au sol, qui à Bangala est d'une fertilité extraordinaire, nous eùmes bientôt d'excellents et très beaux légumes d'Europe. On peut affirmer sans crainte de se tromper que le cacao, le caféier, la vanille et le tabac pousseraient ici on ne peut mieux. Un jour viendra où toutes ces cultures prospéreront certainement dans cette partie du Congo, et seront une source de fortune pour ceux qui s'y adonneront. Il se fait en outre à Bangala un commerce assez important de poteries en argile fabriquées dans le pays. Dans les environs d'Iabinga et de Uambala, les indigènes, qui occupent un petit espace de terrain d'à peu près 10 à 12 mèt. sur les bords du Congo, vivent exclusivement de la pêche et de la fabrication de poteries. Les femmes de cette partie du pays travaillent à diffé. rentes espèces de marmites qu'elles échangent contre du manioc et autres produits indigènes. Il n'est pas rare de voir des canots chargés exclusivement de poteries descendre le fleuve et le remonter quelques heures plus tard surchargés jusqu'aux bords de manioc. Ces embarcations sont manœuvrées avec une adresse merveilleuse, car elles sont tellement remplies que plus petit faux mouvement les ferait chavirer. Toutes sont faites de gros troncs d'arbres creusés et élargis le plus possible. le Les indigènes chargent ces canots de marchandises et montent ou descendent le fleuve à la recherche d'acheteurs. |