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pour les travaux guerriers. Non, je ne crois pas qu'il ait jamais existé sur la terre un homme qui offrît un assemblage aussi monstrueux de passions et de goûts si divers, si contraires, et plus faits pour se combattre. Qui plus que lui, durant un temps, sut se rendre agréable aux personnages les plus illustres? qui fut plus étroitement lié avec les plus infâmes? Quel citoyen a joué quelquefois un rôle plus honorable? Rome eut-elle jamais d'ennemi plus cruel? Qui se montra plus dissolu dans ses plaisirs, plus patient dans ses travaux, plus avide dans ses rapines, plus prodigue dans ses largesses? Mais ce qu'il y avait, juges, de plus merveilleux chez cet homme, c'était son talent de s'attirer une foule d'amis, de se les attacher par des complaisances, de leur faire part à tous de ce qu'il possédait; de servir les intérêts de tous par son argent, son crédit, ses fatigues, par le crime même, et l'audace au besoin; de maîtriser son naturel, de l'accommoder aux circonstances, de le plier, de le façonner dans tous les sens sérieux avec les hommes austères, enjoué avec les personnes gaies, grave avec les vieillards, aimable avec les jeunes gens, audacieux avec les scélérats, dissolu avec les débauchés. Grâce à ce caractère variable et flexible, il avait réuni autour de lui, de tous les pays du monde, des hommes pervers et audacieux, en même temps qu'il s'était attaché nombre de citoyens vertueux et fermes, par les faux semblans d'une vertu affectée. Et jamais de sa part n'eût existé une tentative si coupable pour le renversement de cet empire, si cet assemblage de vices si monstrueux n'eût été soutenu par tant de souplesse et d'énergie; ainsi, juges, que cette allégation disparaisse de la cause, et qu'on ne fasse plus à Célius un reproche de

ses liaisons avec Catilina: ce crime lui serait commun avec beaucoup d'autres, et même avec de très-honnêtes gens. Moi-même, oui moi, le dirai-je? j'ai autrefois manqué d'être trompé par Catilina je crus voir en lui un bon citoyen, partisan zélé des hommes les plus honorables, ami dévoué et fidèle.» (Discours pour Célius Rufus, tome xiv de notre Cicéron *.)

Après avoir lu ce portrait de Catilina, monument remarquable de la prodigieuse flexibilité d'esprit de Cicéron, qui osera nier que chacun de ses traits ne puisse s'appliquer à Sylla, et surtout à César? Il n'en est pas un qui ne peigne avec la dernière exactitude le vainqueur de Pharsale et de Thapsus. Eh! qu'a-t-il manqué à Catilina pour devenir un grand homme, un empereur, un dieu; pour avoir à son service la phraséologie adulatrice des harangues pour Marcellus et pour Ligarius, et la plume approbative du correspondant de César? Il lui a manqué de n'être pas vaincu à Pistoie. En fait de conspiration, le succès seul fait la moralité de l'homme et de la chose.

Saint-Évremont, Saint-Réal, Mably, Gordon, Montesquieu, La Harpe, etc., ont fait sur la conspiration de Catilina des observations qui sont citées partout: je n'en grossirai pas cette préface.

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L'histoire de la conjuration de Catilina était le coup d'essai de Salluste aussi y a-t-il plus d'apprêt dans le style que dans ses autres écrits. Le début offre un lieu commun fort long et d'autant plus déplacé, que l'évènement qu'il avait à raconter était plus dramatique, et

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Qu'on lise dans Salluste la lettre noble et touchante de Catilina à Catulus, en faveur de son épouse: y reconnaîtra-t-on le langage d'un scélérat aussi profond qu'on nous le représente?

offrait en lui-même une plus haute vérité morale. « Je veux, dit Mably, que l'historien soit en état de faire un traité de morale, de politique et de droit naturel; mais je ne veux pas qu'il le fasse. » Déjà bien avant Mably, La Mothe Levayer, dans son Jugement sur Salluste, avait fait ressortir ce défaut : « Pour le regard de la première (des pièces de Salluste), toute petite qu'elle est, dit-il, elle a deux avant-propos, dont celuy qui précède, qui est une très-belle déclamation contre l'oisiveté, peut estre néantmoins nommé une vraye selle à touts chevaux. »

Ces moralités de Salluste ont engagé l'auteur assez obscur d'une Histoire de Catilina, tirée de Plutarque, de Cicéron, de Dion, de Salluste, etc., à décider péremptoirement que Salluste, bel-esprit d'ailleurs, était un historien défectueux, un politique superficiel; mais en récompense, il fait de Salluste un grand moraliste, et voilà pourquoi il n'a pas dédaigné de l'employer dans sa compilation. Cet auteur est Seran de Latour, qui n'a pas encore fait oublier Salluste. A côté de ce jugement absurde se trouve une observation assez juste : « Si Salluste a écrit la conjuration sans parler de Cicéron que lorsqu'il n'a pu s'en dispenser, Middleton, ce biographe enthousiaste de l'orateur romain, a écrit la même conjuration sans parler davantage de Salluste; tous ses matériaux sont tirés de Cicéron. »

L'ouvrage de Seran de Latour parut en 1749. Trois ans après, un compilateur anonyme, qui n'était pas non plus le partisan de Salluste, publia un ouvrage analogue c'est l'Histoire de la conjuration de Catilina, où l'on a inséré les Catilinaires de Cicéron. Cette production, fort inférieure au livre de Seran de Latour, n'a de curieux que la préface, dans laquelle l'auteur, pour

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OBSERV. SUR LA CONJUR. DE CATILINA.

faire sa cour au pouvoir, compare Catilina et ses com plices aux philosophes du dix-huitième siècle : « Vile espèce de beaux-esprits, dit-il, qui vont de cercle en cercle briller, séduire, corrompre par d'indécentes saillies contre la divinité. >>

On sent comment un critique de cette force est capable de lutter contre des modèles comme Salluste et Cicéron. Enfin il est un traducteur qui a publié, en 1795, une version assez prolixe de la Conjuration, tout exprès pour avoir le plaisir de comparer Catilina à Robespierre, et de déclamer contre l'un et l'autre. C'est M. Billecocq, mort il y a peu d'années, emportant dans la tombe la renommée d'un excellent avocat, d'un homme vertueux, ce qui peut fort bien se concilier avec des contre-sens en traduisant Salluste.

Il serait trop long d'entrer dans le détail des nombreux traducteurs de la Conjuration de Catilina: quel intérêt auraient ici les noms de ceux qui sont oubliés ; et qu'apprendrais-je au lecteur en lui citant les noms de ceux qu'il connaît?

De même n'entrerai-je dans aucun détail sur les tragédies de Crébillon et de Voltaire, qui ont pour héros Catilina. En Angleterre, Ben-Johnson a mis avec succès ce sujet sur la scène. Enfin il existe en Italie une excellente parodie de cet évènement tragique : c'est la CONGIURA DI CATILINA, dramma per musica de l'abbé Casti : ce n'est qu'un libretto d'opéra, fort rare par parenthèse; mais quel génie! quelle fougue de bonnes plaisanteries! quelle hardiesse d'allusions! Il y a là de quoi faire pâlir tous les Cicérons en politique, même avec leur vixerunt!

CH. DU ROZOIR.

SALLUSTE.

CONJURATION DE CATILINA.

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