Lucullus crut d'abord que la victoire allait lui être disputée; mais la cavalerie légère des ennemis prit bientôt la fuite, et sa grosse cavalerie, commandée par Tigrane en personne, ne tint pas long-temps. Les trois rois prirent la fuite, et ce fut Mithridate qui donna l'exemple. Cette victoire eût amené, sans doute, la conquête de l'Arménie, sans la mauvaise volonté des légions Fimbrianes qui refusèrent de faire le siège d'Artaxate. Rien ne put vaincre leur indocilité, et Lucullus fut contraint de renoncer à une entreprise dont le succès CCCCXXVI. Hostes aut obpressi aut delapsi fo rent. CCCCXXVI. Aurait ou taillé en pièces ou mis en déroute les ennemis 547. Les deux rois, ayant rallié leurs forces, occupèrent les hauteurs, et harcelèrent l'armée romaine. Ici se placent quelques opérations qui n'eurent rien de décisif. A la fin, CCCCXXVII. Præceps æstas. CCCCXXVII. La saison avancée 548 força les deux rois à abandonner leurs positions. Lucullus voulut s'attacher à la poursuite de Tigrane, qui gagnait l'Arménie intérieure. Le froid devint si vif, et la gelée si forte, qu'à peine trouvait-on de quoi faire boire les chevaux. Dans leur mécontentement, les soldats romains refusèrent d'aller plus loin. Lucullus se vit donc obligé de renoncer à la poursuite de Tigrane, comme il avait été contraint de renoncer au siège d'Artaxate: juste récompense du peu de soin que ce général prenait de se faire aimer du soldat. Après la journée de Dia, le sénat crétois songea bientôt aux conséquences d'une victoire remportée sur un peuple aussi redoutable que les Romains. Et d'abord, il ordonna que, pour ne pas paraître faire trophées des dépouilles prises dans le combat, elles seraient déposées dans le temple de Jupiter Idéen, temple vénérable par son antiquité: car CCCCXXVIII. Primos Cretenses constat invenisse religionem. CCCCXXVIII. Il est certain que les Crétois sont les premiers inventeurs du culte religieux 549. En effet, tout porte à croire CCCCXXIX. Curetes, quia principes intelligendi divina fuerunt, vetustatem uti cetera in majus componentem, altores Jovis celebravisse. CCCCXXIX. Que, comme les Curètes ont les premiers introduit la science des choses sacrées, l'antiquité, accoutumée à tout exagérer, les a célébrés comme les pères nourriciers de Jupiter 550. Trente députés crétois furent donc envoyés à Rome pour faire amende honorable de la victoire sur Marc Antoine : ils furent reçus avec dédain. Alors les Crétois, excités par Lasthène, prennent la résolution de résister à l'oppression. Le sénat déclare donc la guerre aux Crétois, et l'on en charge le consul Metellus. ccccxxx. Sed ubi tempore anni mare classibus patefactum est. ccccxxx. Or, dès que le retour de la belle saison eut rendu la mer praticable aux flottes 554, il mit à la voile, délivra, chemin faisant, le port de Syracuse, assiégé par Pyrganion, pirate cilicien, puis débarqua en Crète, au port de Cydonie. Une première victoire sur Lasthène, dans la plaine cydoniate, le rendit maître de la campagne. Après avoir pris Cydonie, Metellus marcha sur Gnosse, qu'à son approche Lasthène évacua, après avoir brûlé cette ville. Enfin la conquête de toute la partie septentrionale de l'île signala la première année du commandement de Metellus. FRAGMENS Du ve LIVRE DE L'HISTOIRE DE SALLUSTE. PENDANT que Metellus achevait la conquête de l'île de Crète, le tribun Gabinius proposa de donner à Pompée le proconsulat de toutes les mers de la domination romaine, et la conduite de la guerre contre les pirates. Pompée, bien que CCCCXXXI. Cupientissumus legis. CCCCXXXI. Désirant cette loi avec ardeur 552, crut devoir se parer d'une feinte modestie; mais comme on connaissait à quel point il était CCCCXXXII. Immodicus animi. CCCCXXx. Immodéré dans ses désirs 553, personne ne fut dupe de ce manège. Le jour que la loi fut portée au peuple, Catulus s'efforça de la combattre. Loin d'attaquer le caractère de Pompée, il fit son éloge le plus complet. Remontant au contraire aux premiers exploits de ce général, lequel, à peine sorti de l'adolescence, s'était élevé à la hauteur des plus illustres capitaines, il ajouta CCCCXXXIII. « Quibus de caussis Sullam in victoria dictatorem, sibi uni equo descendere, adsurgere de sella, caput aperire solitum. CCCCXXXΙΙΙ. « Que, en considération de ces exploits, on avait vu Sylla, dictateur de Rome vaincue, descendre de cheval, se lever de son siège, se découvrir, pour le seul Pompée 554. << Tant de gloire doit lui suffire, ajoutait Catulus; car CCCCXXXIV. << Sæpe celebritatem nominis intellego timentem. CCCCXXXIV. << Je vois bien des gens craindre l'éclat d'un nom fameux 555, non que de sa part il y ait aucun péril à redouter, mais il faut craindre l'enthousiasme irréfléchi de ses partisans, que nous voyons CCCCXXXV. CCCCXXXV. « Diu noctuque laborare festinare. << Jour et nuit travailler, se fatiguer 556, « pour capter, en faveur de Pompée, le suffrage des tribuns : << Video ingentia dona quæsitum « Je vois, empressé d'arracher ire properantem. d'immenses concessions 557 << au peuple, le tribun Gabinius, qui ne songe qu'à rétablir sa fortune personnelle à la faveur de l'élévation de Pompée. Enfin, Romains, ce grand général a bien assez payé sa dette à la patrie; craignez d'exposer, dans toutes les guerres, une tête si précieuse: CCCCXXXVII. « Nam si Pompeio quid humani evenisset. CCCCXXXVII. « Car s'il arrivait à Pompée quelqu'évènement dans l'ordre des choses humaines 558, « si vous veniez à le perdre, qui mettriez-vous à la place? -Vous, Catulus! >> s'écria le peuple tout d'une voix. A ces mots si flatteurs, Catulus ne put que se taire et se retirer. Après lui, Hortensius parla dans le même sens, mais avec aussi peu de succès. Deux tribuns, Tremellius et Roscius, voulurent s'opposer à la loi de Gabinius; mais le peuple les réduisit au silence par des cris, des menaces, et toutes les manifestations tumultueuses que CCCCXXXVIII. Vulgus amat fieri. CCCCXXXVIII. Le vulgaire se plaît à employer 559. La loi passa, et l'on sait que Pompée, revêtu du proconsulat des mers, justifia la loi Gabinia par le succès avec lequel, en soixante-dix jours, il détruisit les pirates sur toutes les mers de la domination romaine. Ici se place la tentative du tribun Cornelius pour ôter au sénat le privilège d'exempter de la loi commune tout magistrat investi d'un pouvoir extraordinaire. Cette proposition émut pro-fondément le sénat. Le consul Pison suscita contre Cornelius le tribun Globulus, homme modéré, et par conséquent ennemi des innovations. Les chefs du sénat s'attachaient alors à opposer tribuns à tribuns pour arrêter, au profit de l'aristocratie, le nouvel essor de la puissance tribunitienne. En s'ouvrant à Globulus, Pison se garda bien de lui laisser entrevoir le fond de sa pensée ; CCCCXXXΙΧ. Nam talia incepta non consultorem vertissent, rerum pestem fac tura. CCCCXXXΙΧ. Car de tels projets, faits pour bouleverser la république, n'auraient pas mis de son côté celui qu'il consultait 560. Grâce à la division mise ainsi entre les tribuns, l'affaire se termina à l'avantage du sénat, et Cornelius, accusé du crime de lèse-majesté, ne dut son salut qu'à l'éloquence de Cicéron. Au retour du printemps, Lucullus mit le siège devant Nisibe, forteresse importante qui était la clef de la Mésopotamie. Quoiqu'elle fût d'un abord difficile CCCCXL. Atque edita, undique tribus tamen cum muris, et magnis turribus. CCCCXL. Par sa situation élevée, on l'avait fortifiée de tous côtés d'une triple enceinte de murailles garnies de hautes tours 561. Nisibe arrêta les Romains sous ses murs pendant toute la campagne; mais enfin, elle ne put tenir contre une attaque imprévue et nocturne de Lucullus, et cette place devint désormais le boulevard de la domination romaine du côté de la Mésopotamie. Mithridate, rentré dans le Pont après la bataille d'Arsanias, remporta en personne deux avantages successifs sur Fabius, lieutenant de Lucullus. Dans la dernière de ces deux actions, le roi fut atteint de deux pierres, dont l'une le blessa au genou ; par l'autre, Luxo pede. ÇCCCXLI. CCCCXLI. Ayant le pied démis 562, il n'en continua pas moins de combattre, et donna le temps à ses soldats de le retirer de la mêlée. On ne saurait exprimer l'enthousiasme avec lequel Mithridate fut reçu dans son royaume: CCCCXLII. Adeo illis ingenita est sanctitas nominis regii. CCCCXLII. Tant est inné chez ces peuples le respect superstitieux pour le nom de roi 563! |