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OBSERVATIONS

SUR

LA CONJURATION DE CATILINA.

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AUJOURD'HUI (22 mars 1822) l'empereur lisait dans l'histoire romaine la Conjuration de Catilina; il ne pouvait la comprendre telle qu'elle est tracée. Quelque scélérat que fût Catilina, observait-il, il devait avoir un objet : ce ne pouvait être celui de gouverner Rome, puisqu'on lui reprochait d'avoir voulu y mettre le feu aux quatre coins. L'empereur pensait que c'était plutôt quelque nouvelle faction à la façon de Marius et de Sylla, qui, ayant échoué, avait accumulé sur son chef toutes les accusations banales dont on les accable en pareil cas. Quelqu'un observa à l'empereur que c'est ce qui lui serait infailliblement arrivé à lui-même, s'il eût succombé en vendémiaire, en fructidor ou en brumaire, etc. »

Cette anecdote, tirée du Mémorial de Sainte-Hélène, en dit plus sur la conjuration de Catilina, que ne pourrait le faire une longue apologie de ce chef de parti. Or, le dirai-je? je fus toujours porté à croire que Catilina a été calomnié par Salluste comme par Cicéron, et qu'il ne fut pas un homme aussi atroce qu'on l'a prétendu. Avec son œil d'aigle, Napoléon a entrevu le vrai, qu'aucun historien n'avait encore exprimé sur la conjuration; et,

en ce point, M. Michelet, qui a jeté des traits de lumière sur l'histoire romaine, se rapproche de notre opinion.

Mais comment se fait-il que, sur ce conspirateur, nous trouvions entre Cicéron et Salluste une conformité de jugement d'autant plus surprenante que ces deux écrivains étaient ennemis déclarés? Cette objection est grave, mais elle n'est pas décisive: Salluste, partisan et flatteur de César, qui avait réussi dans sa conspiration contre la vieille république romaine, était, comme Cicéron, dans une position à dénigrer Catilina, dont le plus grand crime était d'avoir échoué là où César, perdu de dettes et de débauches, avait conquis l'empire.

Quelque chose de semblable n'est-il pas arrivé de nos jours? Durant les troubles de notre première révolution, quels traits sanglans ne se sont pas mutuellement renvoyés les écrivains de chaque parti? Voyez les pamphlets que se décochaient entre eux les Girondins et les Montagnards. Qu'on lise enfin les historiens pensionnés de Napoléon : le papier gémit sous les invectives qu'ils ont accumulées sur la tête de conspirateurs moins heureux que celui du 18 brumaire; et quand cet homme est tombé sous l'effort de l'Europe entière, n'ont-ils pas été les premiers à salir de leur encre prostituée l'idole qu'ils avaient encensée, et à faire du vainqueur de Marengo et d'Austerlitz un autre Catilina?

C'est en présence de pareils écarts de la part de l'histoire écrite, lorsqu'un évènement analogue est encore palpitant, qu'il nous appartient de montrer que Salluste, historien gagé de l'heureux César, ne pouvait se montrer plus impartial que Cicéron, intéressé à donner de l'importance à la conjuration de Catilina, d'abord pour s'en donner à lui-même, en second lieu pour détourner de sa

tête le châtiment qu'il avait encouru en faisant mourir illégalement quatre des principaux complices de Catilina. Aussi bien que Salluste, Cicéron mérite d'autant moins de confiance dans ses assertions contre Catilina, qu'avant de devenir son ennemi il avait été son ami, son complice pour la brigue éhontée du consulat, enfin son défenseur dans deux occasions.

Les vices de Catilina, que je ne prétends pas nier, étaient, à vrai dire, les mœurs de son temps pour s'en convaincre on n'a qu'à lire les plaidoyers de Cicéron, les biographies de Suétone et de Plutarque, les poésies de Tibulle et de Catulle, les anecdotes de Valère-Maxime, enfin tous les auteurs qui sont entrés dans le détail des mœurs romaines, et qui, à chaque page, nous révèlent les plus révoltantes turpitudes avec un sang-froid qui indique de la part de ces écrivains l'habitude de voir et même de ne pas improuver de semblables excès: on y verra que les César, les Pison, les Gabinius, les Lucullus, les Salluste, les Mécène, les Metellus-Scipion, les Plancus, les Clodius, les Célius, tous personnages appartenant à la haute société romaine, n'étaient pas moins dissolus, et la plupart moins endettés que Catilina. Les hommes de mœurs plus régulières, comme Pompée, comme Cicéron étaient alors de rares exceptions dans Rome; et d'ailleurs, dans leurs relations sociales, en étaient-ils plus honnêtes gens? Et, pour ne parler que du dernier, si l'on n'a pas, grâce aux lacunes de l'histoire, la preuve matérielle, du moins on a la preuve morale tirée de ses lettres à Atticus, que, lorsque Catilina eut à se défendre de l'accusation de péculat, Cicéron exécuta le dessein qu'il avait formé de plaider contre sa conscience en faveur de ce candidat au consulat; mais on sait que Cati

lina fut absous, et que les démarches de Cicéron ne furent pas étrangères à ce résultat. « La conduite de Cicéron, dans cette affaire, ne doit pas nous étonner, dit un critique moderne; lui-même nous apprend qu'à cette époque il refusa de soutenir la cause d'un de ses amis contre un débiteur de mauvaise foi, parce que cet infâme débiteur était en état de le servir dans sa brigue du consulat. >>

L'immoralité était alors si répandue dans Rome, que les hommes sages n'osaient la blâmer, de peur de se singulariser. Et pour citer encore Cicéron, qui, en présence du monstre conspirateur Catilina, est le type des honnêtes gens de son temps, ne le voit-on pas défendre, en les représentant comme une chose permise, reçue, les coupables dérèglemens de Célius, fort mauvais sujet, qui, après avoir mis à contribution la lubrique Claudia, tenta de l'empoisonner, pour se débarrasser à la fois d'une vieille maîtresse, et d'une créancière incommode?

ne soit

C'est encore dans ce plaidoyer que Cicéron fournit des armes puissantes à ceux qui veulent que Catilina tout-à-fait un monstre. On y trouve, dans pas l'intérêt de Célius, qui avait été lié avec ce chef de parti, une sorte d'apologie de Catilina: le portrait que l'orateur fait de ce héros de sédition, est vraiment digne d'être mis à côté de celui qu'a tracé le burin énergique et concis de Salluste : « Ce Catilina, vous n'avez pu l'oublier je pense, avait si non la réalité, du moins l'apparence des plus grandes vertus. Il faisait sa société d'une foule d'hommes pervers; mais il affectait d'être dévoué aux hommes les plus estimables. Si pour lui la débauche avait de puissans attraits, il ne se portait pas avec moins d'ardeur au travail et aux affaires. Le feu des passions dévorait son coeur, mais il avait aussi du goût

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