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Cette solution ainsi établie par les textes, ii nous reste à la justifier en montrant qu'elle est conforme à l'esprit de la constitution romaine.

Tout d'abord, on peut nous objecter que la lex curiata de imperio intervient après le vote, tandis que la loi Maenia au Ve siècle porte que l'auctoritas précède le vote. Becker a déjà refuté cette objection en indiquant la véritable portée de cette loi (1). En matière électorale, il était impossible que la lex curiata précédât l'élection, car l'imperium ne peut être conféré que nominativement (2); il était donc nécessaire que le vote des centuries eût désigné l'élu. Dès lors, la loi Maenia a eu tout simplement pour effet de rendre, pour les patriciens, le vote de la lex curiata obligatoire; en d'autres termes; les patriciens ont dû renoncer pour l'avenir à s'opposer à l'élection du magistrat désigné par les comices centuriates. En fait, depuis la loi Maenia, on ne pourrait citer un seul exemple de menace d'annulation d'une élection faute de lex curiata (3). Peut-être, en matière législative, en était-il autrement et la lex curiata intervenait-elle avant le vote des comices. Nous n'avons aucun renseignement sur la manière dont cet acte s'accomplissait. Le passage où Tite-Live nous parle de l'auctoritas en usage de son temps n'établit aucune distinction

(1) 2, 1 p. 330.

(2) Fest. epit. p. 50: Cum imperio est dicebtaur apud antiquos cui nominatim a populo dabatur imperium.

(3) Cic de leg. agr. 2, 10, 12. ad Att. 1, 9, 25. Dion 39, 19. On ne conteste pas au magistrat privé de la loi curiate sa qualité de magistrat, mais seulement telle ou telle de ses attributions. Il est probable, comme le pense Pelham (op. laud. Transactions of Oxford, Soc. 1884-1885) que c'était là une pure chicane de la part des tribuns et que le seul défaut que l'on dût reprocher sérieusement ici au consul, c'était de ne pouvoir présider les élections, parce qu'il n'était pas régulièrement investi des auspices,

entre la loi et l'élection (1). Ce qui nous amène à admettre qu'il en existait une réellement, c'est que nous voyons, à la fin de la République, les tribuns opposer leur veto à la lex curiata, tandis qu'il n'est jamais question de leur opposition à l'auctoritas en matière législative. Ne serait-ce pas parce que cette auctoritas précède le vote de la loi? C'est là, croyons-nous, la seule explication que l'on puisse donner de la conduite des tribuns en cette circonstance.

Soit, dira-t-on peut-être, admettons que toute loi, toute élection soit soumise à la ratification des curies patriciennes ; comment peut-on justifier cette procé dure étrange du double vote des comices?

J'avoue que les partisans du système que je défends ont échoué dans leurs tentatives de donner de ces doubles comices une explication raisonnable. L'un se tire d'affaire en comparant les comices curiates à la Chambre des lords, les comices des centuries étant une chambre des communes ; l'autre voit, dans les comices des curies, une sorte de Sénat conservateur chargé de ratifier les changements apportés à la constitution (2). A ce compte, le gouvernement représentatif avec les deux chambres remonterait bien loin.

Laissons là ces rapprochements ingénieux entre nos gouvernements modernes et le gouvernement de l'ancienne Rome, et voyons si une étude attentive de la constitution romaine ne nous livrera pas le secret que nous cherchons à découvrir.

Le caractère de la constitution romulienne qui n'admettait

(1) 1, 17.

(2) Soltau (Entstehung, p. 121) ne manque pas l'occasion qui lui est offerte de montrer combien ces solutions de ses adversaires sont contradictoires et erronées. Mais de ce que ceux-ci tirent de leur système des conséquences manifestement fausses, il ne s'ensuit pas nécessairement que leur système doive être condamné pour cela seul. Au surplus, le même reproche ne peut-il pas être adressé aux partisans de la théorie qu'il défend et qui aboutit, on l'a vu, à reconnaître que les sénateurs patriciens constituent un corps politique qui domine le peuple et les magistrats? La vérité est qu'on n'a donné jusqu'ici aucune explication acceptable ni de l'auctoritas, ni de la lex curiata de imperia.

parmi les citoyens que des patriciens, ainsi qu'on l'a vu plus haut, était comme celui de toutes les sociétés primitives profondément religieux. La curie, comme la tribu, était un groupement religieux en même temps que politique; chacune avait ses prêtres el son culte. Comme toute religion est, par essence, immuable, il en était résulté que la constitution romaine ne pouvait subir aucune modification. En effet l'histoire nous montre qu'elle n'a jamais été ni abrogée, ni changée, et la tradition s'est conservée jusqu'à nous de la tentative infructueuse à laquelle se livra Tarquin l'Ancien pour opérer certaines réformes. L'obstacle religieux, personnifié dans la légende sous les traits de l'augure Attus Navius, le fit échouer. Telle était cette première constitution édifiée par les patriciens de concert avec les dieux avec lesquels ils étaient en relations étroites. Voilà pourquoi ces patriciens constituent et constitueront jusqu'à la fin une véritable association religieuse et seront les véritables intermédiaires entre la cité et la divinité qui ne connaît pas les nouveaux venus, les plébéiens

Dans cette société primitive ainsi organisée, il est une institution qu'il importe de bien connaître, car, sans elle, on risquerait de ne rien comprendre à la constitution romaine: je veux parler des auspices.

C'était à Rome un principe fondamental, une règle de droit public, que le gouvernement ne pouvait rien entreprendre sans obtenir l'approbation de la divinité. De là l'impor tance attribuée aux auspices, c'est-à-dire aux signes extérieurs par lesquels les dieux faisaient connaitre leur volonté. Aussi tout ce qui touche à cette importante question des auspices, les rites de l'auspication, la transmission du jus auspiciorum avait-il été soumis de bonne heure à des règles inflexibles qui ont été religieusement observées, sans aucune modification, pendant de longs siècles.

Ces règles, les auteurs anciens les énumèrent à propos de l'élection des rois. A la mort du roi, les auspices faisaient retour aux patres; ceux-ci les transmettaient auspicato au

premier interroi lequel les transmettait de la même façon à son successeur jusqu'à ce que le dernier interroi eût procédé à l'élection du nouveau roi. On sait que celui-ci recevait à son tour les auspices de l'interroi, après le vote favorable des comices par curies. Nous verrons plus tard qu'il n'y avait pas d'autre formalité, car l'auctoritas patrum, la lex de imperio dont parlent les auteurs anciens sont, à notre avis, des innovations qui datent de la république. Ainsi, sous la royauté, le chef de l'État était donc investi des auspices par le fait de sa désignation aux comices des curies présidés par un personnage les ayant lui-même reçus régulièrement et après la proclamation du vote favorable faite par le président. Il était du plus grand intérêt, pour l'État tout entier, que son chef fût nommé conformément aux règles prescrites, car la moindre irrégularité dans la forme pouvait être cause des plus grands malheurs, puisqu'elle avait pour effet de rendre l'élu inhabile à consulter la divinité (1). C'est pourquoi, sous la république, le Sénat exige, en pareille circonstance, l'abdication du consul ou du dictateur afin de renouveler les auspices.

Dans une société ainsi organisée, on ne comprend pas qu'il puisse se produire ce que nous appelons aujourd'hui une révolution. Cependant Rome en a connu au moins une : celle qui a substitué le gouvernement des consuls à celui des rois. Or, malgré la haine constante des Romains, sans distinction de classe, contre la royauté, regnum, malgré leur enthousiasme pour le nouveau régime, libertas, ils n'ont jamais avoué que l'établissement du consulat était le résultat d'une révolution. Tout au contraire, les auteurs anciens essayent de nous démontrer que les choses se seraient faites le plus régulièrement du monde. Il est vrai que leurs explications ne concordent guère entre elles. Tacite fait présider les conices consulaires par Brutus en qualité de tribun des

(1) Cic. de divin. 1, 40, 89. Liv. 8, 30; 21, 1; 26, 41; 38, 48: ego in ea civitale (sc. causam ago) quae ideo omnibus rebus incipiendis gerendisque deos adhibet, quia nullius calomniae subjecit ea, quae dii comprobaverunt.

celeres, et Tite-Live par Lucretius praefectus urbis, tandis que Cicéron reconnait franchement que Brutus quoique simple privatus n'a pas hésité à prendre en main les rênes du gouvernement (1). Il y aurait beaucoup à dire sur ces divers récits; il est probable que nos auteurs n'ignoraient pas plus que nous que le seul moyen régulier de gouverner, après l'expulsion de Tarquin, c'était de recourir à l'interrègne. Et pourtant ils ne disent rien de l'interrègne, ce qui me fait supposer qu'on ne pouvait légalement y recourir, parce que le roi vivait encore et avait été investi des auspices pour la vie.

Mais peu importe la valeur de ces explications. Ce que nous voulions montrer, c'est un trait de mœurs qui distingue la société romaine de la nôtre; c'est qu'à Rome on préférait nier l'évidence même plutôt que d'avouer que l'on devait un régime politique aimé à une révolution. La raison d'une pareille conduite n'est pas difficile à découvrir; les Romains, à cause de leurs croyances, ne pouvaient reconnaître que la chaîne des auspices eût été rompue à ce moment précis de leur histoire où s'est fondée la libertas. Un pareil aveu de leur part eût jeté la déconsidération sur le gouvernement qui avait toutes leurs sympathies.

Reprenons maintenant l'histoire de la transmission des auspices au point où nous l'avons laissée. On a vu comment elle se faisait sous la royauté. Survient la réforme de Servius Tullius. Quels sont les changements qu'elle apporte à la constitution primitive?

Un point qui ne me paraît pas contestable, c'est que nous sommes ici en présence, non d'une révolution violente, mais d'une réforme pacifique. Ce qui le prouve, c'est qu'après Servius toutes les institutions antérieures, les curies, le Sénat,. le roi sont maintenues. On crée, il est vrai, un autre groupement du peuple par classes et centuries, mais on ne supprime point l'ancien. On concède des droits aux

(1) Tac. Ann., 11, 2 et Pomponius L. 2, § 3, Dig. 1, 2. Liv. 1, 59. 60. Cic de rep. 2, 25.

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