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nouveaux citoyens, les plébéiens, mais on n'enlève pas les leurs aux anciens, les patriciens. Ceux-ci obtiennent même dans la nouvelle organisation une situation privilégiée, car on leur réserve les six premières centuries équestres (sex suffragia) (1).

Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'insister davantage; ces observations suffisent, il me semble, à démontrer que l'œuvre attribuée à Servius est une réforme consentie par tous et non une révolution dont l'un des partis aurait seul bénéficié. Voilà donc les comices centuriates institués; que vont devenir les comices par curies?

Deux raisons principales s'opposaient à ce qu'ils fussent dépouillés purement et simplement de leurs anciennes attributions au profit des nouveaux comices: la première, c'est le caractère transactionnel de la réforme servienne; la seconde découle du rôle religieux qui appartenait aux curies, rôle qu'il n'était au pouvoir de personne de leur enlever. IĮ en résulta que les assemblées des curies continuèrent, comme par le passé, à voter en matière législative et électorale à côté des nouvelles assemblées centuriates. Pour chaque loi, pour chaque élection, il y eut donc désormais deux votes: celui des centuries d'abord, puis celui des curies, ce dernier ayant un caractère confirmatif par rapport au premier, parce qu'il émanait d'un corps organisé religieusement et dont la mission était de maintenir l'union étroite existant depuis l'origine entre les dieux et la cité.

Ce rôle nouveau des assemblées curiates, Cicéron le caractérise d'un mot en disant qu'elles n'ont été maintenues que pour cause d'auspices (2).

(1) Voyez Inst. polit. 1, § 9 et 11.

(2) De leg. agr. 2, 11. 12 Epist. ad. Att. 4,18.

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§ 6. Origine historique de l'auctoritas ;
son véritable caractère.

Ainsi l'auctoritas patrum n'est pas autre chose, dans notre opinion, que le vote des assemblées patriciennes des curies persistant après la réforme servienne et revêtant, à partir de ce moment, un caractère confirmatoire. C'est alors un acle d'ordre surtout religieux, ce qui ne veut pas dire que ceux qui avaient mission de l'accomplir n'aient point usé de leur privilège au profit de leurs intérêts politiques. Nous donnons ainsi aux mots auctor, auctoritas le sens des mots augur, augurium (1). On s'explique ainsi pourquoi les lois Publilia et Maenia n'ont pas purement et simplement supprimé l'auctoritas, au lieu de la réduire à une simple formalité que les patres ne pouvaient refuser d'accomplir. C'est que le législateur se trouvait en présence d'une institution primitive revêtue de ce caractère religieux que j'ai signalé et qui la rendait immuable. L'exemple du premier Tarquin le prouve bien.

Cette solution, il est vrai, n'est pas conforme aux témoignages des auteurs anciens. Nous avons vu, en effet, que Cicéron et Tite-Live font remonter l'auctoritas patrum à l'élection de Numa, c'est-à-dire à la fondation de Rome. Mais qui ajoute foi, de nos jours, à ces auteurs quand il s'agit de fixer l'origine des institutions primitives? On connaît leur méthode sur cette question des origines; elle consiste à attribuer à l'un des rois de Rome, à Romulus principalement, la création des institutions existant de leur temps et dont ils ignorent la véritable origine. Cicéron va même jusqu'à faire remonter au règne de Romulus l'existence des deux partis politiques de son temps, les optimates et les populares (2).

(1) Hartung. Die Religion der Roemer 1, p. 100. Voy. suprà, p. 91 et sq. (2) Cic. de rep. 2, 12: cum ille Romuli senatus, qui constabat ex optimalibus. Comp. 3, 14.

La même chose a dû évidemment se produire relativement à l'origine de l'auctoritas. Ne sachant où la placer, ils en ont fait honneur, selon l'usage, à Romulus. Ils ne se sont pas avisés qu'en la faisant remonter si loin, ils la rendaient inintelligible. Aussi, ne trouvons-nous, dans les anciens, aucune explication, aucune justification de cette institution. Cicéron cependant risque bien une interprétation dans son deuxième discours contre Rullus: il prétend que grâce à l'auctoritas - qu'il appelle, lui, lex curiata de imperio comme nous l'avons montré le peuple ayant à voler deux fois dans la mème élection pouvait dans l'intervalle se raviser et refuser, en fin de compte, son suffrage au candidat qu'il avait choisi la première fois. Mais c'est là plutôt un argument de tribune qu'un raisonnement historique. Pour l'écarter, il suffit de faire observer que ce n'est pas la même assemblée qui émet les deux votes à l'époque historique. Si la raison était bonne, il s'ensuivait que, depuis Servius, le double vote devrait émaner des mêmes comices, des comices centuriates. Or on a vu que le second appartient aux curies. Il a dû se faire dans l'esprit de Cicéron le travail suivant: puisque, actuellement, s'est-il dit, le magistrat est soumis au vote effectif des comices centuriates et ensuite au vote de pure forme des curies, il est logique de supposer qu'avant la création des comices cenruriates par Servius Tullius, la double élection était attribuée aux comices des curies, les seuls qui existassent à cette époque.

C'est donc à l'aide du raisonnement seul que Cicéron a conclu à l'existence des doubles comices sous la royauté et qu'il en a tenté l'explication. Or nous venons de voir que ce raisonnement est faux, puisqu'il n'arrive pas à justifier pourquoi ce serait d'abord la même assemblée, puis deux assemblées différentes qui procèderaient au double vote.

Il faut avouer que les modernes n'ont pas été plus heureux que les anciens dans les explications qu'ils ont proposées soit de l'auctoritas, soit de la lex curiata de imperio. Pour l'auctoritas, nous le savons, ils se sont empressés de tirer

parti de cette circonstance toute fortuite que le même mot servait à désigner la fonction du tuteur en droit privé ; ils en ont profité pour édifier une théorie sur une base aussi fragile et d'après laquelle le peuple romain serait un véritable pupille et les patres, ses tuteurs. Je n'insiste pas sur les inconvénients et les invraisemblances qui résulteraient d'un pareil système, je m'en expliquerai plus loin en examinant les opinions de M. Willems et de M. Mommsen.

Quant à la lex de imperio, personne, cela va sans dire, n'accepte l'explication de Cicéron. On a encore eu ici la bonne fortune de rencontrer un texte de droit privé qui pouvait servir de base à une combinaison analogue à celle qu'on avait imaginée pour l'auctoritas. Il s'agit de la formule (dont l'authenticité me paraît d'ailleurs fort suspecte) de l'adrogatio que nous donne Aulu-Gelle (1). On a prétendu que le magistrat qui propose la rogatio de imperio suo demande au peuple s'il consent à reconnaître son pouvoir, comme dans l'adrogatio on demande à l'adrogé s'il consent à tomber sous la puissance paternelle (2). On dit encore le magistrat élu par les premiers comices n'est pas encore investi du droit de vie et de mort sur les citoyens ; il faut pour cela qu'il ait stipulé lui-même ce droit des citoyens et que ceux-ci aient répondu affirmativement, à son interrogation (3). En un mot, on appli

(1) Noct. Att. 5, 19: Ejus rogationis verba haec sunt: Velitis, jubeatis, uti L. Valerius L. Titio tam jure legeque filius siet, quam si ex eo patre matreque familias ejus natus esset, utique ei vitae necisque in eum potestas siet, uti patri endo filio est. Haec uti dixi, ita vos Quirites rogo. Comp. Cic. de domo 39, 77: Credo enim, quamquam in illa adoptione legitime factum est nihil, tamem te esse interrogatum, auctorne esses, ut in te P. Fonteius vitae necisque potestatem haberet ut in filio. Voy. aussi L. 2. Dig. 1, 6. Ce qui nous permet de douter de l'exactitude de cette formule, c'est que Cicéron nous dit ailleurs que les comices curiates ne sont plus qu'une fiction (quae vos non initis) et que le peuple y est représenté par 30 licteurs. Il est donc peu probable que cette formule, dont le style d'ailleurs est absolument moderne, ait été encore en usage au temps de Cicéron.

(2) Lange R. Alterth. 1, 304 (3o éd.).

(3) Rubino Untersuchungen p. 376 et s. Mommsen adopte cette explication. Roem. Forsch. 1, p. 239.

que au droit public la théorie du droit privé en matière de stipulation.

Toutes ces combinaisons ont pour auteurs des savants qui jouissent d'une légitime considération; mais je suis convaincu qu'ils ne se sont pas fait la moindre illusion sur la valeur scientifique de leurs hypothèses. Ni eux, ni personne n'a pu

y

voir une explication acceptable de la lex curiata de imperio, car enfin, quand bien même le magistrat s'adrogerait le peuple, comme dit M. Lange, quand bien même il stipulerait luimême pour lui-même, en quoi tout cela justifierait-il ce fait que les deux votes sont émis tantôt par la même assemblée et tantôt par deux assemblées différentes ?

Si tant de savants ont échoué jusqu'ici dans cette entreprise, c'est parce qu'ils avaient tenté l'impossible, en voulant expliquer l'inexplicable.

S'ils avaient examiné de plus près la valeur des témoignages des auteurs anciens qui font remonter l'auctoritas ou la lex de imperio à l'origine de Rome, ils auraient vu que ces témoignages n'avaient qu'une valeur purement subjective, c'est-à-dire nulle ou à peu près, et ils auraient renoncé à les expliquer (1).

Ce point de départ admis, il n'était pas difficile de décou(1) M. Pelham est le premier et jusqu'ici le seul qui en ait fait la remarque. Dans un remarquable article (On the lex curiata dans les Transactions of the Oxford philological Society, 1884-1885, p. 13-18), ce savant déclare que l'explication donnée par Mommsen du double vote est inacceptable. Comment supposer, dit-il, que l'imperium c'est-à-dire la puissance militaire et judiciaire ait été conférée par l'assemblée civile des curies sous la république? Pourquoi le double vote émane-t-il de la même assemblée sous la royauté, et de deux assemblées distinctes sous la république? On ne saurait l'expliquer. De là, il tire la conclusion que la lex curiata et par suite le double vote ne datent que de l'institution des comices centuriates. On a maintenu, après la réforme, les comices des curies qui ont la ratification de la creatio transférée alors aux centuries. Les légistes et les antiquaires de la fin de la république ont ensuite reporté au début de la royauté une institution qui était en vigueur de leur temps. Cette solution est fort juste; mais pourquoi l'auteur s'est-il contenté de l'exposer au lieu d'en démontrer l'exactitude en nous expliquant la composition des comices par curies et la portée de la réforme servienne? S'il avait fait ce travail j'ai la conviction qu'il aurait hésité à admettre la théorie de Soltau et Mommsen sur l'auctoritas patrum.

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