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Nous n'avons pas à entrer dans les détails de cette discussion. La seule chose qui doive nous intéresser en ce moment, ce sont les noms de ces trente-trois personnages dont nous avons aussi la tribu. En parcourant cette liste, M. Mommsen a remarqué que la tribu n'était pas fixe et héréditaire dans les familles nobles, à l'époque des Gracques, à laquelle remonte ce document (1); il en conclut que sa théorie, d'après laquelle la tribu change avec la propriété, se trouve confirmée par ces faits.

Il est certain que si tous les membres d'une gens portant le nom d'une tribu ont été rattachés primitivement à cette tribu, notre inscription prouverait qu'ils en ont changé à cette époque. On y trouve en effet un Q. Claudius Ap. f. dans la tribu Pollia. M. Mommsen à cause du prénom de son père, Appius, croit que ce Claudius est patricien et que dès lors sa tribu, s'il n'y avait pas eu de changement, devrait être la Claudia. A supposer que ce Quintus fût plébéien et non patri. cien, comme le veut M. Willems, en se basant sur le fait qu'aucun autre Claudius patricien ne porte ce prénom, M. Mommsen pourrait citer d'autres noms, celui de L. Cornelius M. f. Romilia qui est un patricien, un Cethegus, et peutêtre aussi celui de C. Cornelius M. f. Stellatina qui serait aussi un Cethegus d'après M. Willems. En tout cas voilà au moins un Cornelius patricien qui n'est pas inscrit dans la tribu Cornelia.

Quant aux nobiles plébéiens, qui sont mentionnés dans ce document, on peut faire la même observation: leur tribu n'est pas fixe. Par exemple nous y trouvons un L. Memmius C. f. dans la Menenia tandis que d'après les médailles les Memmii sont dans la Galeria. Un Cn. Octavius L. f. est dans l'Aemilia, tandis que les Octavii ont, pour patrie d'origine, la Pomptina qui après l'adoption d'Auguste s'est changée en Fabia ou Scaptia.

J'admets tout cela, mais l'inscription d'Adramytium ajoutet-elle quelque chose à nos connaissances? Ce qu'elle nous (1) Il est du commencement du premier siècle A. Chr.

apprend n'est pas nouveau. Nous savions déjà par Tite-Live qu'un membre de la gens patricienne des Claudii, C. Claudius Nero, le censeur de l'an 550, était inscrit dans la tribu Arniensis (1). Nous savions aussi que C. Marius n'avait pas conservé sa tribu d'origine, celle d'Arpinum (2) qui, au con. traire, était restée toujours celle des Cicéron depuis 566 jusque sous l'Empire (3).

Ainsi, il est donc établi que des nobiles, patriciens comme plébéiens, n'ont pas toujours eu la même tribu. Quelle est la conclusion qu'on peut logiquement en déduire ? Celle-ci : que la même tribu ne se perpétuait pas nécessairement dans chaque famille. Mais il ne s'ensuit nullement que le changement de tribu ne pût provenir que d'un changement de propriété.

Ne savons-nous pas, en effet, que l'inscription des citoyens dans telle ou telle tribu était dans les attributions des censeurs, et que ces magistrats ont usé fréquemment du pouvoir qu'ils avaient de modifier la composition des tribus? A cet égard, on peut citer notamment deux censures célèbres celle d'Appius Claudius Caecus de l'an 442, et celle de Fabius Maximus de l'an 450 qui ont bouleversé la liste des tribus (4).

Faut-il rappeler encore que le changement de tribu était une conséquence de certaines lois criminelles? (5) Enfin n'est-il pas au moins très vraisemblable de supposer que la fixité des tribus ne s'est établie définitivement que longtemps après Servius Tullius, lorsqu'elles ont acquis une importance politique par suite du rôle considérable qu'ont été appelées à jouer les assemblées tributes?

(1) Liv. 29, 37.

(2) Borghesi Oeuvres numism. dec. I p. 8. 9. Eckhel, Doct. Num. 5, 250. Mommsen Roem. Forsch. 1, 62-74. C. Marius est inscrit d'après ses médailles dans la Tromentina.

(3) Liv. 38, 36. Le fils de Cicéron est inscrit daus la Cornelia. Wilm. 1114. (4) Liv. 9, 29, 46.

(5) Lex Acilia repet. Corp. Inser. Lat. 1, n. 198, l. 76,78. Cic. pro Balb. 25, 57.

Nous n'en sommes donc pas réduits, on le voit, pour expliquer les changements de tribu éprouvés par certains patriciens ou par des nobles plébéiens à admettre que la tribu était liée à la propriété et qu'elle s'acquérait ou se perdait avec elle; par suite l'argument que l'on a voulu tirer de ces changements perd toute sa force.

On aurait pu encore citer un passage de Tite-Live (1) qui paraît au premier abord favorable à la théorie de M. Mommsen; cet historien nous dit que les affranchis peuvent être classés dans toutes les tribus à la condition de posséder des immeubles d'une valeur de 30.000 seslerces. Mais on ne s'est pas servi de ce texte et l'on a eu bien raison. En effet à quoi bon la loi rapportée par Tite-Live si le principe établi était que la tribu s'acquérait avec la propriété? Elle eut été évidemment bien inutile et son existence ne prouve qu'une chose, c'est que le principe n'était pas établi.

§ 3. Objections

Après avoir examiné les raisons que l'on a fait valoir à l'appui de cette théorie de la tribu réelle, il ne me reste plus qu'à exposer, en quelques mots, les objections insurmontables auxquelles elle vient se heurter.

On avouera tout d'abord qu'il est bien singulier que cette tribu des immeubles serve uniquement à désigner les personnes, c'est-à-dire les citoyens romains, qu'elle prenne rang entre le gentilicium et le cognomen, qu'elle fasse partie du nom propre alors qu'elle ne figure jamais dans aucune désignation officielle de tel ou tel fonds. Et que l'on ne vienne pas nous dire que les documents font défaut; ils abondent au contraire. N'avons-nous pas les obligations authentiques

(1) Liv. 45, 11 : et eos (sc.libertinos), qui praedium praediave rustica pluris sestertium triginta milium haberent censendi..... jus factum esset,

des fonds pour les alimenta, un instrumentum fiduciae, la formule du cens au Digeste, sans compter les nombreuses inscriptions funéraires ou autres renfermant la description détaillée de tel ou tel champ? Dans ces documents, pas un mot de la tribu du fonds (1). Dira-t-on que cette sorte de tribu a disparu pour faire place à la tribu personnelle après la guerre sociale? Mais alors que devient l'argument tiré du passage cité plus haut du pro Flacco? Comment supposer, d'autre part, que cette tribu, si elle existe, ne se retrouve nulle part? Il y a, en tous cas, deux lois dont il est impossible de justifier le silence sur ce point: c'est la loi agraire de 643, et la proposition de Rullus dont nous connaissons les parties principales. Il s'agit bien ici de la transformation de l'ager publicus en ager privatus. Pourquoi donc le législateur, dans sa définition très détaillée des agri privati, ne dit-il nulle part qu'ils devront être inscrits dans une tribu pour revêtir officiellement leur nouveau caractère?

Si la tribu est la conséquence de la propriété d'un fonds de l'ager privatus, les municipes sine suffragio et les colonies latines, devraient en avoir une, car leur territoire a ce caractère; d'un autre côté, les municipes sine suffragio, les Latins, les affranchis et les citoyennes romaines, pouvant acquérir des terres susceptibles de propriété quiritaire, devraient être dans les tribus. Par contre, le sol des colonies établies dans les provinces n'étant pas susceptible de ce genre de propriété, celles-ci ne devraient appartenir à aucune tribu à moins d'avoir reçu le jus italicum (2). Or, personne n'admet aucune de ces conséquences.

(1) Voy. notamment: Cic. pro Mur, 12, 26; Verr, 2, 12, 32. Corp. Insc. 2, 5042: fundum Baianum, qui est in agro, qui veneriensis vocatur pago, Olbensi. Wilm. 310. 311. 312. 313. 320. 784: dum qui locus ager in fundo qui P... L. f. Ter (entina) est esseve dicetur, et in fundo qui L. Pompei M. f. Ter. Sullæ. Dans tous ces documents concernant les désignations d'immeubles, et dans tous ceux que nous avons trouvés, il n'est jamais question de la tribu, ou plutôt, si la tribu est citée, c'est pour désigner le propriétaire et non la propriété.

(2) Inst. polit. 2 § 88, p. 82 s. q.

Comment expliquer avec cette conception de la tribu, la règle suivie envers les Latins qui, lorsqu'ils étaient à Rome au moment des comices, votaient dans une tribu tirée au sort (1)? Qu'y a-t-il de commun entre cette tribu et la propriété? Comment concilier cette règle rigoureuse qui fait dépendre la tribu d'un citoyen de la propriété de ses immeubles avec les droits des censeurs relativement à la distribution des citoyens dans les tribus ?

Je signale enfin la contradiction où sont tombés les deux derniers auteurs qui ont écrit sur les tribus. Il résulterait des recherches de MM. Beloch et Kubitschek que les Romains, loin de répartir les colonies et les municipes dans telles ou telles tribus choisies au hasard, auraient au contraire obéi à une haute pensée politique et se seraient toujours efforcés de conserver aux anciens citoyens la prépondérance sur les nouveaux. Nous verrons plus tard si cette assertion est exacte; mais comment ces deux savants ne se sont-ils pas aperçu qu'une pareille conclusion était la condamnation absolue de leur conception de la tribu empruntée à M. Mommsen? Il est bien évident, en effet, que rien n'eût été plus facile, dans ce système, que de rendre vaines les précautions prises par les hommes d'État romains, puisque chacun des nouveaux citoyens pouvait à son gré quitter la tribu qui lui avait été assignée. (1) Liv. 25, 3.

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