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CHAPITRE II

DE LA CONDITION DE L'ENFANT NATUREL

Pour étudier la condition de l'enfant naturel, on peut se placer à deux époques distinctes: avant et après les empereurs chrétiens. Nous ne nous occuperons ici que de la première période; la seconde est suffisamment connue grâce aux nombreux textes juridiques que nous possédons sur ce sujet.

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Quelle était, au début, la condition de l'enfant naturel relativement au droit privé?

La loi civile, qui avait exclusivement en vue la famille telle que les Romains l'avaient comprise, c'est-à-dire le groupement de personnes descendant d'un auteur commun et reliées entre elles, dans le passé ou dans le présent, par la patria potestas, une pareille loi n'avait pu assigner au bâtard un rang quelconque dans ce groupe. Né hors de la famille, soustrait dès lors à la patria potestas que, seules, engendraient les justae nuptiae, l'enfant naturel nous apparaît isolé, sans pater familias, sans agnats (1), ni gentiles, c'est-à-dire sans (1) L. 4, Dig. XXXVIII, 8.

parents d'aucune sorte, dans le sens où les Romains entendaient cette expression.

S'ensuit-il que l'on doive le considérer avec P. Gide, comme une sorte de paria? Je ne le pense pas. Assurément il est difficile de préciser exactement la condition juridique de l'enfant naturel dans les premiers siècles de Rome. Pour ma part, je ne saurais dire, par exemple, comment la loi protégeait le bâtard impubère, ni quels étaient ses tuteurs; mais j'établirai au paragraphe suivant qu'il est citoyen romain, ce qui est déjà un point important. De là, en effet, je tire cette conséquence que le droit romain dans son ensemble, et sauf les droits de famille, lui était applicable. J'en déduirai encore que, à supposer qu'il soit complètement privé, en naissant, de l'avantage de faire partie d'une famille, rien ne l'empêchera de s'en créer une en se mariant, lorsqu'il aura l'âge requis.

Ces réflexions suffisent pour montrer que le bâtard à Rome n'était point un paria. Si je ne m'abuse, sa situation serait meilleure encore, car, ainsi que j'essaierai de le démontrer bientôt, il aurait été, dans une certaine mesure, membre d'une famille, celle de sa mère.

Mais procédons par ordre. Il s'agit tout d'abord de bien préciser les rapports de l'enfant naturel avec ses auteurs.

Je rappelle que cet enfant, quelle que soit son origine, a légalement une mère, mais point de père. Cependant les inscriptions nous ont montré presque toujours le nom du père à côté de celui du bâtard. C'est là un fait important qui nous prouve que la loi n'était point ici d'accord avec les mœurs, puisque le père n'hésitait pas à prendre un titre que la loi lui refusait. Mais il ne faut pas tirer de cette constatation des conséquences exagérées.

De nos jours, le bâtard peut avoir un père certain, si celuici consent à le reconnaître. Or, on peut affirmer que malgré cette institution de la reconnaissance, la plupart des enfants naturels restent sans père certain. Pourquoi cette différence entre nous et les Romains? Je crois qu'elle tient à ce que,

pour le Romain, le fait de se dire père de tel ou tel enfant naturel constituait un acte purement privé, sans conséquences légales, tandis que pour nous la reconnaissance est un acle juridique produisant des effets importants puisqu'elle crée une véritable paternité.

J'ajouterai encore que, pour un Romain, avoir des enfants d'une esclave ou d'une concubine n'était pas regardé comme plus immoral que de les prendre pour maitresses; dès lors il n'avait point à s'en cacher.

La seule ressemblance que je trouve entre nos mœurs el celles de Rome, c'est le préjugé contre les bâtards : à Rome, comme chez nous, on leur faisait sentir l'irrégularité de leur naissance, ainsi que le prouvent leurs dénominations diverses (1). C'est pourquoi, ainsi que je l'ai montré, dans mon article sur les spurii, ils essayaient de cacher au public leur véritable filiation en inscrivant sur les monuments l'abréviation équivoque SP. F.

En résumé donc la filiation du bâtard était, en droit, établie à l'égard de la mère qui lui transmettait son nom; en fait, le père, toujours ou presque toujours, reconnaissait son enfant, mais c'était là un fait matériel sans conséquences juridiques. Quel était le caractère du lien qui unissait l'enfant naturel à ses auteurs?

Vis à-vis du père, je n'hésiterai pas à déclarer qu'il n'y a entre lui et l'enfant naturel aucune parenté. La cognatio, telle qu'elle est définie par les jurisconsultes ne saurait s'appliguer à notre hypothèse (2), mais ce qui me paraît particulièment décisif en faveur de cette opinion, c'est qu'il n'y a point, ainsi que je crois l'avoir démontré, de paternité naturelle aux

(1) Spurii, vulgo concepti, et dans la langue du peuple varii. Hist. aug. vita Elagab. 2.

(2) Coll. Mos. XVI, 8, § 1: Cognati autem sunt, qui nos per patrem aut matrem contingunt, Gaïus, III, 24: Similiter non admittuntur cognati, qui per femini sexus personas necessitudine junguntur, adeo quidem ut nec inter matrem et filium et filiamve ultro citroque hereditatis capiendiae jus competat,praeterquam si per in manum conventionem consanguinitatis jura inter eos constiterent. Paul, Sent. IV, 8, § 14.

yeux de la loi romaine. L'affirmation de tel ou tel individu qu'il est le père d'un enfant naturel est un acte purement privé, non sanctionné par la loi, comme nous l'avons vu en étudiant le nom de l'enfant.

A l'égard de la mère, les choses changent complètement d'aspect. La femme qui met au monde un enfant, en dehors des justae nuptiae, est bien sa mère en droit comme en fait. Et la preuve c'est qu'elle lui transmet son nom.

Bien plus, l'enfant se rattache non seulement à sa mère, mais à la famille de cette dernière. C'est ce qui résulte clairement, à mon avis, des inscriptions suivantes :

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Dans la première de ces inscriptions, C. Julius Félix fils légitime de C. Julius Buclus et de Calpurnia Placida, fille naturelle de Calpurnia Polla, appelle cette dernière sa grand'

mère, tandis qu'il ne nomme pas le père de sa mère, preuve que celui-ci n'est point son grand-père. En effet, n'étant pas légalement le père de sa fille naturelle, il ne saurait être le grand-père du fils de celle-ci.

Dans la seconde, P. Petronius, enfant naturel, nomme sa mère, ainsi que sa grand'mère, mère de cette dernière. Les noms du père et du grand-père paternel n'y figurent point, parce que, légalement, ils n'ont pas cette qualité (1).

L'inscription suivante, quoique très mutilée, nous prouve encore que l'enfant naturel était regardé comme le frère des autres enfants de sa mère.

Corp., VI, 8887: (Voy. encore Corp. IX, 4269):

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BOVIANO C F CLV PROCVLO⚫ SECVN

BLAEO DIVI· AVGVSTI· A· MA...

Je crois avoir démontré que si l'enfant naturel était, aux yeux du législateur romain, absolument étranger à son père, il était, au contraire, parent, c'est-à-dire cognat, non seulement de sa mère, mais encore des parents de celle-ci. Il faudrait donc conclure de ceci que cet enfant avait une famille, la famille de sa mère. C'est la conclusion que nous aurions d'ailleurs pu tirer de l'identité du nom de la mère et de l'enfant.

Mais si l'enfant est membre de la famille maternelle, il faut bien se garder de croire qu'il y jouisse des avantages qui appartiennent aux parents véritables ou agnats. Il y est nous l'avons dit, à titre de simple cognat (2). Donc il ne jouira d'aucun des avantages attachés à la parenté légale : succession ab intestat, tutelle, etc. De même il ne sera pas

(1) Aussi le grand-père maternel doit-il des aliments au bâtard. L. 5, §5, Dig., XXV, 3.

(2) Gaïus, III, 24.

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