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grâces, et pour se former un peuple saint, pur, innocent, spirituel, qui pût le glorifier dans tous les siècles.

Voilà la fin de tout culte établi de Dieu, et de tous les desseins de sa sagesse sur les hommes. Toute religion qui se bornerait à de purs dehors, et qui ne réglerait pas le cœur et les affections, serait indigne de l'Être suprême, ne lui rendrait pas la principale gloire et le seul hommage qu'il désire, et devrait être confondue avec ces vaines religions du paganisme, dont les hommes furent les inventeurs, qui n'imposaient à la superstition des peuples que des hommages publics et des cérémonies bizarres qui ne réglaient point l'intérieur, et laissaient au cœur toute sa corruption,. parce qu'elles ne pouvaient ni la guérir, ni même la connaître.

Cependant on peut dire que c'est l'abus le plus universel, et la plaie la plus déplorable de l'Eglise. Hélas! toute la gloire de la fille du roi est, pour ainsi dire, en dehors; jamais la montre ne fut si belle; jamais les dehors du culte plus solennels; jamais les temples plus pompeux, les sacremens plus fréquentés, les sacrifices plus com

muns, les œuvres de miséricorde plus recherchées; jamais tant d'extérieur de dévotion, et jamais peut-être moins de piété, et jamais les véritables chrétiens ne furent plus rares.

Vous comprenez bien que je

ne prétends pas ici justifier les vains discours du monde, et les préjugés du libertinage contre la vertu, que j'ai déjà confondus dans la première partie de ce discours. L'impie veut que tous les dehors de la piété cachent un cœur double et corrompu, et que toute vertu soit une feinte et une hypocrisie, parce que l'impie juge de tous les hommes par lui-même, et ne peut se persuader qu'il y ait encore de la probité, de l'innocence et de la vérité sur la terre. Laissons-le jouir de cette affreuse consolation, et se rassurer contre l'horreur que lui inspirerait l'état monstrueux de son âme, s'il ne croyait voir partout des monstres qui lui ressemblent.

Rendons donc plus de justice aux hommes, et jugeons-en à notre tour par nous-mêmes : ce n'est pas l'hypocrisie et la duplicité qui fait la grande plaie de la religion. Ce vice est trop noir et trop lâche pour être le vice du grand nombre; et nous serions consolés si nous pouvions compter qu'il n'y a pas plus d'impies parmi nous, que d'hypocrites.

Ce n'est donc pas l'hypocrisie, et cette feinte indigne qui a recours aux pratiques extérieures de la vertu pour cacher ses crimes, que je me propose de combattre c'est au contraire l'erreur de la bonne foi et l'excès de confiance que la plupart des âmes mondaines mettent en ces devoirs extérieurs, lesquelles ne comptant pour rien la conver

sion du cœur et le changement de vie, vivant toujours dans les mêmes désordres, sont plus tranquilles dans cet état, parce qu'elles y mêlent quelques ouvres de piété, et se flattent d'une compensation qui déshonore la piété même, et qui leur faisant perdre tout le mérite de ces œuvres, leur laisse toujours toute l'impénitence et toute l'énormité de leurs crimes. Or voilà une illusion universellement répandue dans le monde.

Ainsi on soulage des malheureux, on est touché de leur infortune; on fait des aumônes réglées auxquelles on ne manque point; rien de plus louable sans doute, et de plus recommandé dans les livres saints que la miséricorde; mais on croit que tout est fait quand on a rempli ce devoir; mais après cela on vit avec moins de scru

pule dans des habitudes criminelles, dans des engagemens profanes, dans des haines invétérées; on est abîmé dans le monde et dans la dissipation: ah! Dieu n'a que faire de vos biens; mais il demande votre cœur, et votre argent périra donc avec vous? Ainsi on soutient des entreprises de piété ; on favorise les gens de bien; on s'érige en protecteur d'une maison sainte; on orne des temples et des autels; mais l'ambition est toujours démesurée; mais l'envie ronge toujours le cœur; mais les désirs de plaire sont toujours les mêmes; mais la licence des entretiens n'a rien

de plus innocent et de plus pudique; mais en décorant les temples, on se croit dispensé d'orner son âme qui est le temple du Dieu vivant, des dons de la grâce et de la sainteté. Ah! le Seigneur rejette vos présens : vos dons profanent ses autels, et c'est comme si vous embellissiez un temple d'idoles. Ainsi on assiste régulièrement aux mystères saints; on se fait un point de ne pas manquer à un salut; il n'est point de solennité qui ne nous voie approcher de l'autel pour participer aux choses saintes; mais il n'en est point qui voie finir nos passions criminelles; mais la vie va toujours même train; mais les devoirs domestiques n'en sont pas mieux remplis; mais les plai- · sirs n'y perdent rien; mais l'on n'en est pas moins entêté de la parure, de la fortune, des amusemens. Ah! vous participez donc à la table de Satan, et non à celle de Jésus-Christ; et tout ce que vous avez par dessus l'impie qui vit éloigné de l'autel, c'est la profanation des choses saintes.

2o. Cependant la vaine confiance est le caractère des âmes dont je parle, et c'est ici le second abus des pratiques extérieures elles sont saintes, mandatum sanctum; et elles deviennent des obstacles de salut par la fausse sécurité qu'elles nous inspirent.

Oui, le désordre peut conduire au repentir; le libertinage des mœurs ne se soutient que

par une ivresse qui ne dure pas; le cri de la conscience ne tarde de se faire entendre; on ne pas trouve au-dedans de soi, pour se rassurer, que l'injustice ou l'infamie du déréglement, ou ces maximes monstrueuses qui promettent à l'impie un anéantissement éternel, et qu'on a plus de peine à soutenir ellesmêmes, que le crime sur lequel elles veulent nous calmer. Mais les pratiques extérieures de religion rassurent la conscience; elles font trouver au pécheur une ressource au-dedans de luimême : les aumônes, les sacremens, les œuvres de miséricorde, la dévotion envers la Mère de Dieu, le culte des saints, forment une espèce de nuage sur l'âme; on se pardonne plus facilement des fragilités et des chutes qui paraissent compensées par des œuvres saintes; on ne craint point cet endurcissement et cet abandon de Dieu où tombent d'ordinaire les pécheurs invétérés, parce qu'on se trouve encore sensible à certains devoirs extérieurs de la religion; on ne s'aperçoit pas que cette sensibilité est un artifice du démon, qui, comme l'endurcissement, conduit à l'impénitence; si la grâce, quelquefois plus forte, nous réveille et nous trouble sur la honte de nos désordres, on oppose à ces remords naissans cet amas d'oeuvres mortes et inutiles; ce sont des signes de paix qui dissipent à l'instant nos alarmes ; on s'endort sur ces tristes débris de re

ligion, comme s'ils pouvaient nous sauver du naufrage, et on se fait des dehors de la piété un rempart contre la piété même.

Ainsi on taxe son jeu et ses plaisirs pour les pauvres ; on les fait entrer en société de son gain; et la fureur du jeu, si opposée au sérieux et à la dignité de la vie chrétienne, n'a plus rien de criminel à nos yeux, depuis qu'on a trouvé le secret de mettre les pauvres dans cette passion effrénée. Ainsi on ouvre sa maison à des serviteurs de Dieu, on cultive leur amitié, on conserve avec eux des liaisons d'estime et de confiance, on les intéresse à demander à Dieu notre conversion, et on est bien plus tranquille sur ses crimes, depuis qu'on a chargé des gens de bien d'obtenir pour nous la grâce de la pénitence. Ainsi enfin, on consacre certains jours à la séparation et à la retraite; on s'enferme dans une maison sainte, plutôt pour jouir quelques momens plus à loisir de la paresse, que pour fuir les plaisirs; on favorise tout ce qui peut être utile au bien; on se choisit un guide fameux et éclairé; on paraît plus souvent aux pieds du tribunal sacré; on est de toutes les assemblées de piété; on s'interdit même certains abus publics dont on ne faisait pas autrefois de scrupule; on passe dans le monde pour avoir pris le parti de la vertu; cependant hors les grands crimes dont on est sorti, tout le reste est encore le même ;

le cœur toujours plein de jalousies, d'antipathies, de désirs d'élévation et de faveur; les entretiens également assaisonnés d'amertume, de satire, de malignité envers nos frères; la vie pas moins tiède, sensuelle, oisive, inutile; les soins du corps et de la figure pas moins vifs et empressés; l'humeur et la hauteur dans un domestique point adoucie; la sensibilité pour le plus léger mépris ou pour un simple oubli, pas moins excessive. Malgré tout cela on se rassure, parce qu'on se voit environné de tous les signes de la piété, qu'on a pris tous les moyens extérieurs d'assurer son salut, et qu'on n'a oublié que celui de se changer soi-même.

Non, la confiance qui prend sa source dans les œuvres extérieures de la piété, met le cœur dans une fausse tranquillité dont on ne revient guère; c'est par-là que le peuple juif, fidèle observateur des pratiques extérieures, persévéra jusqu'à la fin dans son aveuglement; aussi les prophètes que le Seigneur lui suscitait de siècle en siècle, bornaient presque tout leur minis tère à les détromper de cette erreur dangereuse. Ne comptez pas, leur disaient-ils, sur les victimes et sur les offrandes que vous venez présenter à l'autel; ne vous confiez pas sur la multitude de vos œuvres et de vos observances légales; ce que le Seigneur demande de vous, c'est un cœur pur, c'est une pénitence sincère, c'est la cessa

tion de vos crimes, c'est un amour sincère de ses commandemens, c'est une vie sainte et innocente, c'est de déchirer vos cœurs et non vos vêtemens, c'est d'ôter le mal qui est au milieu de vous: cependant ces dehors religieux nourrissaient toujours leur injuste confiance. Quand ils étaient ouvertement tombés dans l'idolâtrie, et qu'oubliant tout-à-fait le Dieu de leurs pères, ils avaient élevé au milieu d'eux des autels étrangers, les prophètes alors les rappelaient facilement de leurs égaremens, ils leur faisaient répandre des larmes de componction et de pénitence, et Jérusalem se couvrait de cendre et de cilice en un mot, quand ils étaient devenus idolâtres et ennemis déclarés du Seigneur, il n'était pas impossible d'en faire des pénitens. Mais tandis qu'ils persévéraient dans la fidélité extérieure aux observances de la loi: ah! les prophètes avaient beau alors leur reprocher leurs injustices, leurs fornications et leurs souillures, le temple du Seigneur les rassurait toujours: les sacrifices, les offrandes, les observances dont ils s'acquittaient scrupuleusement, ôtaient aux vérités terribles qu'on leur annonçait de la part de Dieu, toute leur terreur et toute leur force : les grands pécheurs, les impies, les publicains se convertissent; les pharisiens, les demi-chrétiens, les âmes en même temps religieuses et mondaines, qui allient les devoirs

extérieurs de la piété avec les Dieu, les avaient toujours confondues avec les âmes mondaines et infidèles.

plaisirs, les maximes, les passions, les abus du monde, ne se convertissent jamais, et meurent sans componction comme elles avaient vécu sans défiance: semblables à ces soldats dont il est parlé dans l'histoire des Machabées, lesquels, sous les enseignes de Judas, combattaient, ce semble, pour la cause du Seigneur, et portaient en apparence les armes pour sa gloire; mais ayant été défaits et mis à mort, on trouva cachées sous leurs tuniques, dit l'Écriture, des marques d'idolâtrie, et on découvrit que sous une fidélité extérieure à la religion de leurs pères, ils avaient toujours porté toutes les abominations des nations infidèles: Invenerunt sub tunicis interfectorum de donariis idolorum à quibus lex prohibebat Judæos. ( 2 Mach. 12, 40.) Et telle est la destinée des âmes dont je parle : elles combattent sous les étendards de la piété : elles paraissent même confondues par un extérieur de religion avec les véritables zélateurs de la loi elles croient pouvoir allier la pratique extérieure de ses observances avec des restes d'idolâtrie dans cette fausse sécurité, elles affrontent la mort avec confiance; mais le combat fini, et le jour décisif arrivé, toutes ces vaines œuvres dispa'raîtront, et on découvrira sur ces dehors religieux des idoles cachées, c'est-à-dire, mille passions injustes, qui, devant

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3o. Dernier abus des pratiques extérieures : elles sont justes, mandatum justum; et on blesse la justice en leur donnant la préférence sur les obligations les plus indispensables. Abus assez ordinaire dans la vertu, où l'on voit tant de personnes zélées pour les œuvres de surcroît, et tranquilles sur l'oubli continuel de leurs obligations les plus essentielles.

Ainsi souvent on est de toutes les bonnes œuvres, et l'on manque à celles que Dieu demande de nous; aux fonctions d'une charge, aux obligations principales de son état, à ses devoirs obscurs et domestiques, où rien ne dédommage l'amour-propre, et où l'on n'est animé à remplir le devoir que par l'amour du devoir même. Ainsi on se prescrit des aumônes qui flattent la vanité, et on se calme sur des restitutions infinies que la loi de Dieu nous prescrit: on fait des libéralités à des maisons saintes, et l'on ne peut se résoudre à payer ses dettes : on prie lorsque le devoir obligerait d'agir: on agit lorsque nos besoins devraient nous engager à prier : on règle les affaires de la veuve et de l'orphelin, et vos propres affaires dépérissent, et vous préparez à des enfans malheureux, ou à des créanciers frustrés, les fruits amers de votre injuste charité : on prend une inspection sur des maisons saintes, et

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