CCXXVIII (Tom. 1, p. 478.) Cependant l'étoile du soir s'avançait dans l'Olympe incliné; déjà les prêtres, et Potitius à leur tête, étaient en marche, vêtus de peaux selon la coutume et portant des torches allumées. On rouvre le banquet sacré, les tables présentent pour le nouveau service des mets agréables et les autels se couvrent de bassins chargés d'offrandes. Alors, les Saliens, le front couronné de peuplier, pour chanter, entourent les brasiers sacrés. Deux choeurs, l'un de jeunes gens, l'autre de vieillards, disent les louanges et les hauts faits d'Hercule: comment, en les serrant dans ses mains, il étouffa deux serpents, les premiers monstres suscités par sa marâtre; comment, par les combats, il renversa les villes fameuses de Troie et d'Echalie; comment, sous les lois d'Eurysthée, il surmonta les mille travaux difficiles dus à la volonté de l'implacable Junon. « C'est toi, invincible héros, qui de ton bras abattis les deux Centaures enfants de la mer, Hylie et Pholas, puis le monstre de Crète, puis l'énorme lion de la roche de Némée. Devant toi tremblèrent et les marais du Styx, et le gardien de l'Orcus, couché sur des os à moitié rongés dans son antre sanglant. Tu n'eus peur d'aucun monstre, pas même de Typhée, malgré sa taille et ses terribles armes. Et tu n'éprouvas aucune défaillance lorsque autour de toi se dressèrent les cent têtes de l'Hydre de Lerne. Salut, digne fils de Jupiter, nouvel ornement de l'Olympe! Sois-nous favorable et par ton heureuse présence viens agréer le sacrifice que nous t'offrons. » C'est ainsi qu'ils célèbrent les exploits d'Hercule, sans oublier l'antre de Cacus et ce monstre lui-même vomissant des flammes. Tout le bois retentit de leur chant et les collines en répètent l'écho. CCXXIX Énée visite les lieux rustiques sur lesquels Rome un jour étalera ses splendeurs. Noble simplicité de l'hospitalité qu'il reçoit chez Évandre. Vix ea dicta, dehinc progressus monstrat et aram Et Carmentalem Romani1 nomine portam Quam memorant, Nymphæ priscum Carmentis honorem, Hinc lucum ingentem, quem Romulus acer asylum Reliquias veterumque vides monumenta virorum : Ut ventum ad sedes: « Hæc, inquit, limina victor Aude, hospes, contemnere opes, et te quoque dignum (1) Var.: romano. (2) Voir mon Ét. pour serv. d'Introd. à l'Hist. de la litt. rom., p. 116. CCXXIX (Tom. I, p. 480.) Il dit, et s'avançant, il montre à Énée l'autel et la porte que les Romains appelèrent Carmentale pour honorer jadis, dit-on, la nymphe Carmenta, prophétesse qui, la première, annonça la grandeur future des descendants d'Énée et l'illustration de Pallantée. Puis il lui fait voir le bois immense que l'intrépide Romulus rétablit comme asile et, sous une roche glacée, le Lupercal qui tire son nom de l'Arcadie où Pan s'appelle Lycéen. Il lui montre aussi le bois sacré d'Argilète et, prenant ces lieux à témoin de son innocence, il lui explique comment fut tué le perfide Argien, son hôte. Il le conduit ensuite à la roche Tarpéienne et au Capitole, maintenant resplendissant d'or, autrefois hérissé de buissons sauvages. Déjà l'aspect sévère de l'endroit inspirait un religieux respect aux pasteurs intimidés; déjà ils tremblaient à la vue du bois et de la roche. « Ce bois, dit Evandre, cette colline au sommet ombragé, un dieu, je ne sais lequel, un dieu l'habite; les Arcadiens y ont cru voir parfois Jupiter lui-même, agitant de son bras sa noire égide et rassemblant les nuages. Ces deux villes, dont vous voyez aussi les murs renversés, sont les débris des monuments d'anciens héros: l'une fut fondée par Janus, l'autre par Saturne; la première avait reçu le nom de Janicule, la seconde celui de Saturnia. » Tout en conversant ainsi, ils approchaient de l'humble demeure d'Évandre; ils voyaient des troupeaux errer là où est le Forum romain et mugir dans les lieux où sont nos riches Carènes. Dès qu'ils furent arrivés Voici, dit Evandre, le seuil qu'a franchi Alcide après sa victoire, voici le palais qui l'a reçu. Osez, ô mon hôte, comme lui, mépriser les richesses, montrez-vous digne d'un dieu et soyez sans dédain pour notre pauvreté. >> (3) Dans subiit, it devient long par la césure et la légère suspension de la phrase Cf. Géorg., Il, v. 211. Dixit, et angusti subter fastigia tecti Virg., En., VIII, v. 337-368. CCXXX Adieux d'Évandre à son fils Pallas. Tum pater Evandrus dextram complexus euntis (Horrendum dictu) dederat, terna arma movenda; (1) Rapprochez de ce passage Homère, Od., XIV, 49-51. (2) Var.: complexus. A ces mots, sous le toit de l'étroite demeure il introduit le grand Énée et le place sur un lit de feuillage que couvre la peau d'une ourse de Libye. CCXXX (Tom. 1, p. 482.) Alors Évandre, au moment du départ de son fils, lui presse la main, l'arrête en versant des torrents de larmes et lui parle ainsi : « Oh! si Jupiter me rendait mes ans écoulés, si j'étais encore à l'âge où, sous les murs mêmes de Préneste, je renversai les premiers rangs ennemis et, vainqueur, je brûlai des monceaux de boucliers! quand, de cette main j'envoyai dans le Tartare le roi Hérilus à qui, le jour de sa naissance, sa mère Féronie avait donné (terrible prodige !) trois âmes et trois armures; il fallait pour l'abattre le frapper de mort trois fois, et cependant ma main lui ravit ses trois âmes, le dépouilla d'autant d'armures. Non, si j'étais encore à cet âge, je ne m'arracherais jamais, ô mon fils, à tes doux embrassements; jamais dans mon voisinage, Mézence, insultant à ma personne, n'eût par le fer livré cruellement à la mort tant de victimes et dépeuplé sa ville de tant de citoyens. Mais vous, dieux du ciel, et toi, leur souverain maître, Jupiter, ayez pitié, je vous en supplie, du roi des Arcadiens, écoutez les prières d'un père: si votre volonté, si les destins doivent me conserver Pallas, si c'est pour le recevoir et l'embrasser que je dois vivre, oui, je vous demande de prolonger ma vie, je suis prêt pour cela à supporter n'importe quels maux. Mais si tu me prépares, ô Fortune, quelque coup fatal, puissé-je, maintenant même, finir subitement ma vie cruelle, tandis que mes craintes restent dans le doute, que l'attente de l'avenir est incertaine et que je puis encore, ô mon cher fils, seule joie de ma vieillesse, te tenir entre mes bras, avant qu'un douloureux message ne vienne déchirer mes oreilles. » Tels étaient les |