Immagini della pagina
PDF
ePub

VINGT-SIXIÈME LETTRE.

Pouvons-nous savoir le latin païen ? vant du dix-septième siècle.

[ocr errors]

Conclusion.

[blocks in formation]

Dialogue entre Horace et Santeul.

- On n'exclut pas entièrement les auteurs paiens;

on leur donne la place qui leur convient. - Résultats de la réforme de l'éducation. C'est le seul moyen humain de sauver la société.

MADAME,

Rome, 22 février.

Nous venons d'entendre, d'une part, les plus célèbres latinistes modernes s'accuser mutuellement de ne pas savoir le latin, et, qui plus est, prouver leurs accusations réciproques par des textes authentiques et nombreux des auteurs profanes; d'autre part, les examens dits du baccalauréat, joints aux témoignages les moins suspects, établissent notre ignorance fabuleuse de la langue cicéronienne. C'est à tel point qu'un homme de génie a pu dire: Dans quelques années il n'y aura pas en France un homme capable de faire en latin l'épitaphe de la langue latine. Ce qui est vrai de la France est vrai de l'Europe entière. Le fait est donc incontestable nous ne savons pas le latin païen; on ne l'a jamais su depuis la Renaissance.

Reste à examiner ma troisième question: Pouvons-nous savoir le latin païen? A peu près comme un Européen qui n'a jamais quitté son pays, qui n'a jamais vu ni Chinois ni homme venu de la Chine, peut savoir la langue du Céleste Empire, quand il l'a apprise dans les livres. Or, vous savez avec quelle perfection nous possédons le chinois et les autres langues vivantes, étudiées de cette manière.

Les langues mortes offrent des difficultés plus grandes encore. Le génie de ces langues nous manque; nous sommes étrangers aux croyances, aux mœurs, aux institutions, aux usages des peuples qui les ont parlées; toutes choses qui donnent aux phrases un cachet, aux mots des significations et des nuances qui nous échappent. Combien de transpositions, de placements de prépositions, d'adjectifs ou d'adverbes, que nous regardons comme des élégances! combien de tournures que nous croyons employer à coup sûr dans un cas donné et qui feraient éclater de rire les Grecs ou les Romains, comme nous faisons nous-mêmes lorsque nous entendons les étrangers parler notre langue! Ajoutez que nous n'avons pas d'autorité infaillible qui puisse redresser nos erreurs. De là, ce mot d'un fameux latiniste, parlant de l'ardeur avec laquelle les peuples modernes s'appliquent, depuis la Re

naissance, à l'étude de la langue cicéronienne : « C'est semer de la farine et moissonner de la cendre: Farinam spargere et cinerem colligere 1. »

Veuillez encore, Madame, lire cette page, pleine de bon sens, écrite par un des hommes les plus savants et les plus judicieux du dix-septième siècle : << Ni vous, ni moi, dit-il, ni quelque autre homme qui puisse être n'entend parfaitement le latin. Ce qu'il y a d'habiles gens dans l'Université en conviendront; car enfin y en a-t-il un seul qui puisse nous dire en quoi consiste la patavinité de TiteLive et la mellifluité d'Hérodote? chose néanmoins qu'ils devraient sentir, si leur habileté était parfaite. J'ai ouï dire à un grand personnage que si un Romain du temps de Cicéron avait entendu déclamer Muret, le premier homme de son siècle pour la belle latinité, il se serait tenu les côtes de rire à tous moments, parce qu'à tous moments il aurait ouï quelques mots hors de son sens naturel, ou quelque phrase bizarrement placée; ce qui, joint à une prononciation toute différente de celle de son temps, lui aurait fourni quelque chose de plus ridicule que ne le serait à notre égard une harangue française, composée et prononcée par un Allemand nouvellement venu en France.

1 Vivès, De disciplin., p. 42.

>> Vous poussez, me dit-on, la chose un peu trop loin. -Tout au contraire, je n'en dis pas assez. Car, premièrement, du côté de la prononciation, l'Allemand qui a appris notre langue d'un naturel français en sait une bonne partie, tandis que Muret ignorait pleinement la prononciation latine'. Pour le fond de la langue, supposé que Muret en sût tout ce qu'on en peut apprendre dans la lecture des bons auteurs, il lui manquait le secours d'un homme vivant à qui la langue latine fût naturelle, et un semblable secours ne manque point aux Allemands dans l'étude qu'ils font de notre langue. Vous voyez par là que ma comparaison péchait plutôt pour être trop faible que pour être trop forte, et vous pouvez en tirer cette conséquence que, si les étrangers n'entendent et ne parlent jamais notre langue dans la dernière perfection, malgré l'avantage qu'ils ont de l'apprendre des naturels français, nous sommes de bien pire condition à l'égard de la langue latine et de la langue grecque.

» Il n'y a point d'étrangers qui, pour l'ordinaire, ne fassent une infinité de fautes lors même qu'ils croient le mieux dire, trompés qu'ils sont par de fausses analogies qu'ils prennent pour des règles.

1 On ignore jusqu'à la manière de prononcer le nom de Cicéron : il y a là-dessus quatre systèmes, et pas un homme au monde qui puisse dire quel est le véritable.

Peuvent-ils savoir, par exemple, les différents usages de neuf et de nouveau, qui signifient la même chose; qu'il faut dire un habit neuf et non pas un habit nouveau, une chanson nouvelle et non pas une chanson neuve; et cependant que neuf et nouveau se peuvent dire quelquefois de la même chose, comme : voilà une pensée nouvelle, voilà une pensée toute neuve? Sentiront-ils jamais la différence qu'il y a entre achever de se peindre et s'achever de peindre? Il y a mille écueils semblables dans notre langue, où il est impossible que les étrangers ne viennent pas échouer à tous moments'. »>

Il faut donc, Madame, que tous les latinistes de la Renaissance en prennent leur parti, plus encore ceux d'aujourd'hui que ceux d'autrefois, et qu'ils avouent que nous ne pouvons savoir que très-imparfaitement le latin païen; que rien n'est plus ridicule que nos prétentions à le parler et à l'écrire correctement; et qu'à moins de la copier mot à mot dans un auteur ancien, nous ne faisons pas une phrase dont nous puissions affirmer et prouver qu'elle est vraiment latine. Cette vérité, humiliante sans doute pour notre orgueil, mais qui pour cela n'en est pas moins une vérité, a été mise en scène dans une anecdote que je me permets de vous rapporter en finissant.

1 Perrault, Parallèle, etc., t. II, p. 48.

« IndietroContinua »