Immagini della pagina
PDF
ePub

ridicules, et je suis parfaitement convaincu que vous avez raison; les vôtres ne le sont pas moins. Tous les mots que vous avez employés sont latins; mais l'usage habituel que vous en faites ne l'est pas; le sens particulier que vous leur donnez ne l'est pas davantage, et l'agencement de vos phrases l'est encore moins. N'en soyez pas étonné: quand on n'est conduit dans l'étude des langues que par l'analogie, par la grammaire et par les livres, il est impossible de ne pas tomber dans une infinité de fautes. Soumettons-nous à la fatalité; et, si vous voulez m'en croire, nous ferons consister une partie de notre bonheur éternel à nous moquer, vous et moi, dans les champs Élysées, de ceux qui sont assez sots pour admirer sur la terre vos vers latins et mes vers français. >>

Horace n'avait pas fini de parler, qu'une ombre armée d'un fouet s'avance vers les deux interlocuteurs: c'était l'ombre de Malherbe. « Par Apollon et par les Muses, dit-elle à Horace, illustre satirique, je te remercie; mais daigne exécuter l'arrêt qu'étant sur la terre j'ai prononcé au nom du sens commun contre Santeul et ses pareils. Quel est-il? - J'ai dit : « On ne peut entendre la finesse des » langues qu'on n'a apprises que par art, et si Ho» race revenait au monde, il donnerait le fouet à » Bourbon, à Sirmond, et à tous les modernes qui

» se mêlent de faire des vers latins '.

[ocr errors][merged small]

saisit le fouet, Santeul échappe à la correction en se cachant dans un bosquet de myrtes; mais Horace a gardé le fouet.

Telle fut la fin de leur conversation. La nôtre aussi, Madame, va finir. Pour répondre à vos désirs, je vous ai fait connaître la belle antiquité, dans laquelle vos enfants doivent passer les années décisives de leur vie. Au lieu d'être la plus belle chose du monde, vous avez vu qu'elle est la plus laide; au lieu d'être la plus riche de vérités et de vertus, elle est la plus pauvre; au lieu d'être le séjour le plus propre à conserver la jeunesse fraîche et pure, elle est le séjour le plus propre à l'étioler et à la corrompre. Je vous ai dit ce que sont les prétendus grands hommes qui doivent servir de maîtres à vos enfants. En dévoilant les crimes, les erreurs et les infamies qui déshonorent ces malheureux païens, la compassion serait le seul sentiment qu'ils m'auraient inspiré, si l'apôtre saint Paul, qui les connaissait mieux que nous et qui avait la mesure exacte de leur culpabilité, ne les avait chargés d'anathèmes pour avoir retenu la vérité captive, entraîné et entretenu leurs contemporains dans les abominations de l'idolâtrie et s'être livrés eux

1 Nicéron, Mém., article Malherbe.

mêmes, contre le cri de leur conscience, à des iniquités monstrueuses.

Cette compassion, il faut la réserver pour les enfants chrétiens qu'on livre à de pareils précepteurs; pour l'Europe chrétienne, qui admire de pareils hommes jusqu'à les exalter au-dessus de ses docteurs, de ses prophètes et de ses saints; pour l'Église, dont le commerce intime et prolongé des païens dépeuple le bercail, en faisant grandir des générations entières dans l'ignorance et dans le mépris du christianisme; pour la société, que les théories politiques des auteurs païens mettent chaque jour en péril de mort; pour la raison humaine, qui, nourrie de fables, d'erreurs, de vérités incomplètes, de doctrines inapplicables, s'appauvrit à vue d'œil, tombe dans le scepticisme et tend à s'éteindre dans les grossières jouissances de la volupté; pour ceux qui, ayant mission de remédier au mal, ne le font pas; pour le grec et le latin, dans lesquels sont écrites les archives et les gloires du monde chrétien: langues savantes que possédaient, à l'époque de la Renaissance, l'Orient et l'Occident; langues admirables que nous aurions conservées sans la Renaissance, que nous pourrions encore écrire et parler avec une certaine correction, parce que, étant la source de nos langues vivantes, elles ont une grande conformité avec le génie moderne et sont le seul tru

chement possible de nos idées; langues aujourd'hui oubliées, dédaignées, pour faire place à un grec et à un latin que nous ne savons pas, que nous n'avons jamais sus, que nous ne saurons jamais aussi bien que le dernier cuisinier de Rome et d'Athènes : Quorum coqui et muliones multo melius quam omnes nos latine intelligebant et loquebantur.

Ce n'est pas, Madame, que je bannisse entièrement les auteurs païens. Vous savez que je les admets, pour quel motif et dans quelles conditions. Mais je voudrais mettre chacun à sa place, et, en rétablissant l'ordre dans l'éducation, le rétablir dans les idées et dans les faits. Si la réforme que je sollicite et, j'ose le dire, que sollicitent avec moi et plus éloquemment que moi la religion et la société, était sérieusement mise en pratique, les études, loin de baisser comme elles font de jour en jour, deviendraient plus fortes en devenant plus complètes; la connaissance même des auteurs païens serait plus profitable et le développement de l'esprit plus assuré.

Au lieu de s'en tenir aux notions imparfaites que posséda l'antiquité, on ferait rayonner sur les jeunes intelligences les lumières apportées au monde par le christianisme. On éviterait l'immense danger que fait courir à la religion et à l'ordre social l'admiration fanatique des philosophes, des prétendus grands hommes, des institutions politiques, des fausses

« IndietroContinua »