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AVANT-PROPOS.

Après avoir lu les deux derniers volumes de la Révolution, un père de famille nous écrit : « Vous avez montré jusqu'à l'évidence l'envahissement général de l'antiquité païenne dans les seizième, dixseptième et dix-huitième siècles. C'est à tel point que, pour formuler en axiome l'effrayante histoire que vous avez mise sous les yeux de l'Europe, on peut dire Pendant deux cent cinquante ans, il n'a pas été permis au chrétien comme il faut de naître, de grandir, de se marier, de se loger, de manger, de se divertir, de vivre et de mourir sans être environné du paganisme gréco-romain. Voilà ce qu'on ne peut nier sans nier la lumière du jour.

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» Mais j'entends dire autour de moi que nous n'en sommes plus là; qu'on est revenu de ces exagérations; que la république des lettres est dégrisée; qu'ainsi l'étude des auteurs profanes est loin d'être aussi dangereuse aujourd'hui qu'autrefois. Là-desparesseux et les optimistes, qui ne demandent pas mieux, se rendorment sur l'oreiller de la

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routine, et les uns comme les autres se croient dûment autorisés à patronner ou à continuer le système d'enseignement qui nous a perdus. >>

Une pareille objection est tellement étrange, qu'on peut affirmer que ceux mêmes qui la font n'y croient pas. Mais c'est un bandeau que le parti pris se met sur les yeux pour être en droit de dire qu'il ne voit pas l'évidence. En effet, il ne veut pas voir que dans le Paganisme il y a deux choses: le fond et la forme, l'esprit et la lettre. Pendant les trois derniers siècles, l'Europe s'est passionnée plus encore pour la forme que pour le fond. Nous avons cité mille preuves irrécusables de cet enthousiasme fanatique. Qu'aujourd'hui la forme païenne, le cachet mythologique soient passés de mode dans certaines œuvres d'art; qu'il ne soit plus de bon goût de faire intervenir Apollon, Minerve et les Muses dans la poésie, ou, comme on le faisait autrefois, de citer à tout propos les exemples et les maximes des capitaines de Rome ou des sages de la Grèce, dans les harangues et même dans les sermons; en un mot, que la république des lettres soit un peu dégrisée, nous l'admettons jusqu'à un certain point.

A ces exceptions près, est-il vrai que la forme païenne soit aussi surannée qu'on le dit? Vous n'avez donc vu ni l'Exposition universelle de Londres, ni celle de Paris? Quel cachet, je vous prie,

était imprimé sur la majorité des objets d'art? Estce que les immodesties olympiques ne ruisselaient pas sur les bronzes, sur les pièces d'orfévrerie et sur les meubles de prix? Quels sujets représentaient le plus souvent les mosaïques, les camées, les statues, les peintures, les tapisseries? Parcourez encore nos expositions annuelles, visitez les magasins de bronze ou de bois de Boule; contentez-vous même de jeter en passant un coup d'œil sur les montres des joailliers, des marchands d'estampes, de statuettes ou de photographies, et dites combien vous verrez de sujets chrétiens et nationaux? Parmi ces derniers, comptez ceux que l'art païen ne déshonore pas de sa touche matérialiste, ou ne souille pas de son nu révoltant.

La forme païenne, en peinture, en sculpture, en gravure, est si peu passée de mode, que les artistes disposés à être chrétiens se plaignent d'être obligés, malgré leur légitime répugnance, à faire, pour vivre, du grec et du romain. Dans le fait, quelles sont les œuvres d'art qui attirent la foule, qui sont chantées par les journaux, qui vont décorer les opulentes demeures en France et à l'étranger? et si vous pénétrez plus avant, quelle forme trouvez-vous dans les modes, dans les danses, dans l'ornementation des boudoirs, des salons, des appartements au goût du jour?

Mais si la forme artistique et littéraire du Paganisme tend à s'effacer, en est-il de même de l'esprit du Paganisme? Si le Paganisme est rationalisme en philosophie, naturalisme en religion, césarisme en politique, sensualisme en littérature, en arts, en mœurs publiques, ne sommes-nous pas, quant à l'esprit, autant et plus que jamais Grecs et Romains, fils légitimes de la Renaissance et de l'éducation de collége? Écoutez ce qui se dit, voyez ce qui se passe, considérez de sang-froid les tendances générales de l'Europe, et dites si, au lieu de s'affaiblir, l'esprit païen, cet esprit d'orgueil et de sensualisme, ne prend pas chaque jour de nouvelles forces?

Pour l'étudier seulement sur un point, n'est-ce pas lui qui est l'âme de ce qu'on appelle la littérature? N'est-ce pas lui qui assure le succès des tragédies, des comédies, des vaudevilles, des mélodrames, des livres, des chansons, des romances et des feuilletons à la mode? Et comment s'y prend-il ? Comme il s'y prenait chez les peuples païens, à l'époque de leur décadence. « L'attrait de la littérature et surtout du théâtre actuel, écrit un auteur de nos jours, attrait irrésistible dans son abominable simplicité, consiste expressément en ceci, qu'on y fait tomber tous les voiles du vice, et qu'on l'y expose avec ses nus les plus impudiques. Le vice, m'entendez-vous! et surtout le vice sensuel, pour servir de

pendant aux statuettes païennes nues des marchands de plâtres, aux baigneuses nues des marchands d'estampes, aux danseuses pires que nues des ballets de l'Opéra.

» Archimède disait : Donnez-moi un point d'appui, et je soulèverai le monde. Satan disait, dans l'antiquité païenne et il redit aujourd'hui Je suis plus fort qu'Archimède; donnez-moi seulement le nu, et je damnerai le monde. Et le nu en tout genre, la Renaissance le lui a donné. Le Christianisme ne rendit pas à l'homme sa primitive innocence; il y suppléa par un vêtement d'une grâce ineffable : la pudeur, la chasteté, la modestie, la retenue: il habilla l'homme physique et moral. La littérature actuelle le déshabille. Avec cela on peut se passer de talent, on est sûr d'attirer la foule et d'être tenu pour un grand écrivain. Aussi je soutiens que si Virgile, Homère, Ovide, tous les poëtes de l'antiquité classique, s'étaient contentés de chanter chastement la chasteté; si Cicéron et Démosthène, au lieu de harangues démocratiques et passionnées, avaient fait des homélies pieuses, ils auraient cinquante fois moins de génie qu'on ne leur en prête. »

Il est donc vrai, si la forme païenne s'efface, l'esprit païen nous reste, et il nous tue. Car cet esprit, dépouillé de sa forme classique, est d'autant plus dangereux qu'il est moins aperçu et plus général.

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