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raison leur fait voir qu'ils devroient plutôt s'appliquer au soin de profiter de la connoissance de l'une et de l'autre, qu'à celui de les accorder entre elles. Car leur obligation essentielle est de profiter, pour bien vivre, des connoissances que Dieu leur donne, en lui laissant ce secret de sa conduite: et ils doivent tenir à grande grâce, qu'il ait tellement imprimé en eux ces deux vérités, qu'il leur soit presque impossible d'en effacer entièrement les idées. Car cet homme, qui nie sa liberté, ne laissera pas à chaque moment de consulter ce qu'il a à faire, et de se blâmer lui-même s'il fait mal. Et pour ce qui est du sentiment de la providence; nous ne le perdrons jamais, tant que nous conserverons celui de Dieu. Toutes les fois que nos passions nous donneront quelque relâche, nous reconnoftrons, au fond du cœur, que quelque cause supérieure et divine préside aux choses humaines, en prévoit et en règle les événements. Nous lui rendrons grâces du bien que nous ferons; nous lui demanderons secours contre nous-mêmes, pour éviter le mal que nous pourrions faire. Et encore que ces sentiments n'aient pas été assez vifs ni assez suivis dans les païens, parce que la connoissance de la divinité y étoit fort obscurcie, nous y en voyons des vestiges qui ne nous permettent pas d'ignorer ce que la nature nous inspireroit, si elle n'avoit pas été corrompue par les mauvaises coutumes.

Tenons donc ces deux vérités pour indubitables, sans en pouvoir jamais être détournés par la peine que nous aurons à les concilier ensemble. Car deux choses sont données à notre esprit; de juger, et de suspendre son jugement. Il doit pratiquer la première où il voit clair; sans préjudice de la suspension dont il doit commencer d'user seulement où la lumière lui manque. Et pour aider ceux qui ne peuvent pas tenir ce juste milieu, montrons-leur, en d'autres matières, que souvent des choses très-claires sont embarrassées de difficultés invincibles. Il est clair que tout corps est fini; nous en voyons, et nous en touchons les bornes certaines; cependant nous n'en trouvons plus, et il faut que nous allions jusqu'à l'infini, quand nous voulons en désigner toutes les parties. Car nous ne trouverons jamais aucun corps qui ne soit étendu, et nous ne trouverons rien d'étendu, où nous ne puissions entendre deux parties; et ces deux parties seront encore étendues; et jamais nous ne finirons, quand nous voudrons les subdiviser par la pensée.

Je dis par la pensée, pour faire voir que la difficulté que je propose subsisteroit tout entière quand même on supposeroit, avec quelquesuns, qu'un corps ne peut souffrir en effet aucune division. Car sans m'informer à présent si cela se peut entendre ou non, toujours ne peut-on nier que la grandeur des corps n'est pas renfermée sous de certains termes, non plus que sous une certaine figure. Il ne répugne point à un corps d'être plus grand ou plus petit qu'un autre; et comme la grandeur peut être conçue s'augmenter jusqu'à l'infini, sans détruire la raison du corps, il faut juger de même de la petitesse. Donc un corps ne peut être donné si petit, qu'il ne puisse y en avoir d'autres qu'il surpassera de moitié; et cela ira jusqu'à l'infini : de sorte que tout

corps, si petit qu'il soit, en aura une infinité au-dessous de lui. Que s'il ne peut s'en trouver aucun qui ne soit de moitié plus grand qu'un autre, il pourra aussi y en avoir un qui ne sera pas plus grand que cette moitié; et un autre qui ne sera pas plus grand que la moitié de cette moitié; et cette subdivision, dans des bornes si resserrées, ne trouvera jamais de bornes. Je ne sais pas si quelqu'un peut entendre cette infinité dans un corps fini; mais pour moi j'avoue que cela me passe. Que si ceux qui soutiennent l'indivisibilité absolue des corps, disent que c'est pour éviter cet inconvénient, qu'ils rejettent l'opinion commune de la divisibilité jusqu'à l'infini; et qu'au reste cette infinité des parties que je viens de remarquer ne les doit point embarrasser, parce qu'elle ne met rien dans la chose même, n'étant que par la pensée je les prie de considérer que ces divisions et subdivisions, que nous venons de 'faire par la pensée, allant, comme il a été dit, jusqu'à l'infini, elles présupposent nécessairement une infinité véritable dans leur sujet. Car enfin toutes ces parties que j'assigne par la pensée, sont elles-mêmes comprises comme étendues; et en effet il se peut trouver un corps qui n'aura pas plus d'étendue qu'elles en ont: de sorte qu'on ne peut nier qu'elles ne fassent le même effet dans le corps, que si elles étoient réellement divisibles.

Et même, pour dire un mot de cette indivisibilité prétendue, j'avoue que nous concevons naturellement que tout être, et par conséquent tout corps doit avoir son unité, et par conséquent son individuité. Car ce qui est un proprement n'est pas divisible, et jamais ne peut être deux. Cela paroît fort évident; et toutefois quand nous cherchons cette unité dans les corps, nous ne savons où la trouver. Car nous y trouvons toujours deux parties assignables par la pensée, que nous ne pouvons comprendre être en effet la même chose; puisque nous en avons des idées si distinctes, si nettes et si précises, que nous pourrions même concevoir un corps en qui nous ne concevrions distinctement autre chose que ce que nous avons compris dans cette partie. Ainsi nous pouvons bien nous forcer nous-mêmes à appeler ce corps un d'une parfaite unité; mais nous ne pouvons comprendre en quoi précisément elle consiste.

Nous ne laisserons pas toutefois, si nous voulons bien raisonner, de dire qu'un corps est un, et de dire qu'il est fini, encore que nous ne puissions nier qu'il ne soit possible d'y assigner des parties toujours moindres, jusqu'à l'infini. Mais nous dirons, en même temps, que ce qui fait en cela notre embarras, c'est qu'encore que nous connoissions clairement qu'il y a des corps étendus, il ne nous est pas donné de connoître précisément toute la raison de l'étendue, ni quelle sorte d'unité convient au corps; et encore moins ce qu'opère en eux cette infinité que nous y trouvons par des raisons si certaines, sans toutefois pouvoir dire comment elle y est.

Dans le mouvement local, n'y a-t-il pas plusieurs choses claires qu'on ne peut concilier ensemble? On sait que le même corps peut parcourir le même espace, tantôt plus lentement, tantôt plus vite. Si le mouvement est continu, comment y peut-on comprendre cette diffé

rence? Et s'il est interrompu de morules, quelle est la cause qui suspend le cours d'un corps une fois agité? Il ne répugne pas au mouvement d'être continu: le mouvement ne cesse point de lui-même; et un orps une fois ébranlé tend toujours, pour ainsi parler, à continuer son mouvement. De plus, n'est-il pas certain que dans les rayons d'une roue, les parties qui sont le plus proche du centre du mouvement, et celles qui en sont le plus loin, parcourent en même temps deux espaces inégaux; et ensuite que le mouvement est moins rapide vers le milieu de la roue, que vers la circonférence? Cependant toutes les parties se meuvent en même temps: et le mouvement se faisant par la même impulsion, et tout d'une pièce, sans rien briser, on ne peut comprendre ni comment une partie pourroit s'arrêter, pendant que l'autre se meut, ni comment l'une peut aller plus vite que l'autre; si toutes ne cessent de se mouvoir, ou si elles se meuvent et se reposent en même temps; ni enfin pourquoi il arrive que l'impression du mouvement soit plus forte à la partie la plus éloignée du lieu où l'ébranle

ment commence.

Quand on pourroit trouver la raison de toutes les choses que je viens de dire; et le moyen certain de les expliquer; toujours est-il véritable que plusieurs l'ignorent, et que ceux qui prétendroient l'avoir trouvé, ont été quelque temps à le chercher. Doutoient-ils des deux vérités qu'il faut ici concilier ensemble, pendant qu'ils ne savoient pas encore le secret de les concilier? L'évidence de ces vérités ne permet pas un tel doute. On voit donc que ces deux vérités peuvent être claires à notre esprit, lors même qu'il ne peut pas les concilier ensemble.

Pour passer maintenant du corps aux opérations de l'âme, nous savons qu'une pensée est véritable quand elle est conforme à son objet. Par exemple je connois au vrai la hauteur et la longueur d'un portique lorsque je l'imagine telle qu'elle est; et je ne puis l'imaginer tellc qu'elle est, sans avoir une idée qui lui soit conforme : jusque-là qu'on connoftroit la vérité de l'objet, en connoissant la pensée qui le représente. Par exemple on reconnoftroit la forme et la disposition d'une maison dans la pensée de l'architecte, si on la voyoit clairement; tant il est vrai qu'il y a quelque conformité entre ces choses, et par conséquent quelque ressemblance. Cependant il se trouvera plusieurs personnes qui ne seront pas capables d'entendre quelle sorte de ressemblance il peut y avoir entre une pensée et un corps, entre une chose ¿tendue et une chose qui ne le peut être. Dirons-nous par cette raison, malgré les sens et l'expérience, que l'âme ne peut connoître l'étendue? ou détruirons-nous, pour l'entendre, la spiritualité de l'âme, qui est d'ailleurs si bien établie par la seule définition de l'âme et du corps? Que gagnerions-nous à la détruire, puisque nous n'entendriors pas davantage, pour cela, cette ressemblance que nous tâcherions d'expliquer? car si la connoissance de l'étendue se faisoit par l'étendue même, tout corps étendu s'entendroit lui-même, et entendroit tous les autres corps étendus; ce qui est faux visiblement. Et quand on auroit supposé que nous connoîtrions l'étendue qui est dans le corps, par l'étendue qui seroit dans l'âme, il resteroit toujours à expliquer comment

cette petite étendue, qu'on auroit mise dans l'âme, pourroit lui faire comprendre et imaginer l'étendue mille fois plus grande d'un portique. Ce qui montre, d'un cô, que la connoissance ne peut consister ni dans l'étendue, ni dans rien de matériel, et, de l'autre, qu'il se trouve entre les esprits et les corps quelque ressemblance qui ne laisse pas d'être certaine, quoiqu'elle ait quelque chose d'incompréhensible.

On peut dire le même de la connoissance que nous avons du mouvement et du repos. Car la bonne philosophie nous enseigne, d'un côté, qu'il n'y a rien dans l'âme qui ressemble à l'un ni à l'autre. Et cependant, puisqu'on conçoit l'un et l'autre, il faut bien que nous ayons une idée qui leur soit conforme. Car, comme il a été dit, nulle pensée n'est véritable, que celle qui nous représente la chose telle qu'elle est, et par conséquent qui lui est semblable.

Que personne ne soit si grossier, que de mettre pour cela dans l'âme un véritable mouvement ou un véritable repos. Car outre l'absurdité d'une telle proposition, qui confond les propriétés de deux genres si divers, il auroit encore le malheur, que sa présupposition ne le sortiroit point d'affaire. Car s'il met l'entendre dans le mouvement, jamais il n'expliquera comment l'âme entend le repos; mais aussi s'il le met dans le repos, comment connoîtra-t-elle le mouvement? Que s'il met dans le mouvement la connoissance du mouvement, et au contraire celle du repos dans le repos; comment ne voit-il pas que l'âme n'agit ni plus ni moins, ni d'une autre sorte en concevant l'un que l'autre, et qu'il est absurde de penser qu'elle travaille davantage en connoissant le mouvement, qu'en connoissant le repos? De plus, si l'âme connoît le repos en se reposant, et le mouvement en se mouvant, il faudra aussi qu'elle connoisse le mouvement de droite à gauche, en se mouvant de droite à gauche, et tous les autres mouvements, en les exerçant les uns après les autres; autrement on n'a point trouvé la ressemblance qu'on cherche. Ainsi, on croira avoir expliqué ce qu'il y a de particulier et de propre dans la nature de l'âme, en ne lui donnant autre chose que ce qui lui seroit commun avec tous les corps; et enfin on croira la faire entendre, à force d'entasser sur elle ce qui convient aux êtres qui n'entendent pas. Qui ne voit qu'il faut raisonner d'une matière toute contraire; et que, pour lui faire entendre le mouvement et le repos, il faut lui attribuer quelque chose qui soit distinct, et au-dessus de l'un et de l'autre? Nous voyons en effet que nous connoissons et le mouvement et le repos, sans songer que nous exercions ou l'un ou l'autre; et l'idée que nous avons de ces deux choses n'entre nullement dans celle que nous avons de nos connoissances. Il faut donc nécessairement que nos connoissances soient autre chose en nous que le mouvement ou le repos. Elles nous le représentent toutefois par des idées très-distinctes, et très-conformes à l'objet même. Qu'on nous dise en quoi consiste cette ressemblance.

Quelques-uns se contenteront peut-être de dire que toute la ressemblance qui se trouve entre les êtres intelligents et les êtres étendus, c'est que les derniers sont tels que les premiers les connoissent; et

prétendront que cela est intelligible de soi-même. A la bonne heure : mais s'il se trouve quelqu'un qui ne soit pas encore parvenu à une manière d'entendre les choses si pure et si simple, ou qui ne puisse comprendre quelle conformité il peut y avoir entre l'image que nous nous formons d'un portique, selon toutes ses dimensions, et ces dimensions elles-mêmes; s'ensuivra-t-il pour cela qu'il doive nier que ce qu'il en a imaginé soit véritable? Nullement; il demeurera convaincu qu'il se représente la chose au vrai, encore qu'il ne sache pas expliquer de quelle sorte il se la représente, ni par quelle espèce de ressemblance. Cela montre que nous ne pouvons pas toujours accorder des choses qui nous sont très-claires, avec d'autres qui ne le sont pas moins. Nous ne devons pas pour cela douter de tout, et rejeter la lumière même, sous prétexte qu'elle n'est pas infinie, mais nous en servir: de sorte que nous allions où elle nous mène, et sachions nous arrêter où elle nous quitte; sans oublier pour cela les pas que nous avons déjà faits sûrement à sa faveur.

Demeurons donc persuadés et de notre liberté, et de la providence qui la dirige; sans que rien nous puisse arracher l'idée très-claire que nous avons de l'une et de l'autre. Que s'il y a quelque chose en cette matière où nous soyons obligés de demeurer court, ne détruisons pas pour cela ce que nous aurons clairement connu et sous prétexte que nous ne connoissons pas tout, ne croyons pas pour cela que nous ne connoissions rien; autrement nous serions ingrats envers celui qui nous éclaire.

Quand il nous auroit caché le moyen dont il se sert pour conduire notre liberté, s'ensuivroit-il qu'on dût pour cela ou nier qu'il la conduise, ou dire qu'il la détruise en la conduisant? Ne voit-on pas, au contraire, que la difficulté que nous souffrons ne venant ni de l'une ni de l'autre chose, mais seulement de ce moyen, nous devons faire arrêter notre doute précisément à l'endroit qui nous est obcur, et non le faire rétrograder jusque sur les endroits où nous voyons clair?

Faut-il s'étonner que ce premier être se réserve, et dans sa nature, et dans sa conduite, des secrets qu'il ne veuille pas nous communiquer? n'est-ce pas assez qu'il nous communique ceux qui nous sont nécessaires? Il n'y a qu'un moment qu'en considérant les choses qui nous environnent, je dis les plus claires et les plus certaines, nous trouvions des difficultés invincibles à les concilier ensemble. Nous sommes sortis de cet embarras, en suspendant notre jugement à l'égard des choses douteuses, sans préjudice de celles qui nous ont paru certaines. Que si nous sommes obligés à user de cette belle et de cette sage réserve, à l'égard des choses les plus communes, combien plus la devons-nous pratiquer en raisonnant des choses divines, et des conduites profondes de la Providence!

La connoissance de Dieu est la plus certaine, comme elle est la plus nécessaire de toutes celles que nous avons par raisonnement: et tou tefois, comme il y a dans ce premier être mille choses incompréhen sibles, nous perdons insensiblement tout ce que nous en connoissons, si nous ne sommes bien résolus à ne laisser jamais échapper ce que

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