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mais du moins on ne tombera pas dans l'excès opposé en accordant une confiance exclusive et sans réserve à un procédé qui doit encore être étudié long-temps, avant qu'on puisse prononcer définitivement sur son efficacité.

J. P. ABEL-RÉMUSAT.

PEREGRINAZIONI ED AVENTURE del nobile Romeo da Provenza. Torino, 1824, 2 vol. in-12. Voyages et Aventures du noble Romieu de Provence. Turin, 1824, 2 vol. in-12. ·

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ROMÉE DE VILLENEUVE, ministre de Raimond Bérenger, comte de Provence, dans le XIII. siècle, laissa à ses descendans un nom illustre et révéré dont ils s'enorgueillissent encore à juste titre.

Ce nom de Romée qui, en langage du pays, ROMIEU, signifie pélerin, fut peut-être une des causes des fictions étranges qui attachèrent à sa mémoire une sorte de merveilleux; et ces contes, vraisemblablement imités des auteurs orientaux, et répétés d'âge en âge par la tradition populaire, accrédites même par des auteurs qui pouvoient imposer à l'opinion, donnèrent lieu dans la suite à un ouvrage publié en 1635 par Michel Baudrier, historiographe de Sa Majesté, intitulé «Histoire de l'incomparable administration de Romieu, grand mi»nistre d'estat en Provence, lorsqu'elle estoit en souveraineté, où se » voyent les effects d'une grande sagesse et d'une rare fidélité, ensemble » le vrai modele d'un ministre d'estat et d'un surintendant des finances. >>> D'après l'exposé de Baudrier, qui recueillit les anciennes traditions et y ajouta d'autres détails romanesques, il parut tout-à-coup à la cour de Raimond Bérenger, dernier du nom et dixième comte de Provence, lequel commença de régner en 1206 et mourut en 1244, un pélerin inconnu, le roquet sur le dos, le bâton à la main, arrivant de SaintJacques en Galice. Accueilli par le comte, ce pélerin mérita et obtint son entière confiance, parvint aux premières fonctions de l'état, fut chef du conseil et surintendant des finances. Quoiqu'elles fussent épuisées, le ministre trouva le moyen d'enrichir son prince, sans fouler le peuple. Il fit rentrer dans le domaine public les biens qui en avoient été irrégulièrement détachés; il soutint la guerre et fit heureusement la paix. En peu d'années, Raimond Bérenger devint riche, puissant, considéré; des réglemens utiles, des lois sages, une administration paternelle, assurèrent le bonheur du peuple. Les lettres furent protégées, les şavans et les poëtes encouragés. Le comte n'avoit point d'enfant

mâle; mais ses quatre filles furent mariées, l'une à Louis IX, roi de France; une autre à Henri III, roi d'Angleterre ; la troisième à Richard, qui depuis fut empereur, et la quatrième, au comte d'Anjou, frère du roi de France, et ce comte parvint au trône de Naples et de Sicile.

La jalousie et la haine des courtisans travaillèrent à perdre le ministre dans l'esprit de son maître, qui eut le malheur de céder à d'injustes préventions; il demanda à Romieu un compte sévère de son administration des finances. Il fut facile au ministre de prouver sa loyauté et sa droiture; mais, justement affligé des soupçons que le prince avoit conçus contre lui, dès que le compte de son administration eut été jugé, et que ce jugement l'eut vengé de ses détracteurs, reprenant aussitôt le même costume qu'il avoit eu en arrivant à la cour, il vint prendre congé du comte en lui disant, Pauvre je suis venu, pauvre je m'en retourne, et il s'éloigna sans que les prières ni les ordres de Raimond Bérenger pussent le retenir. Le pélerin ne reparut plus, et l'on ne put découvrir ce qu'il étoit devenu. Ce roman de Michel Baudrier, quoique réfuté par divers historiens de Provence, avoit beaucoup contribué à entretenir la crédulité populaire. Les traditions focales conservoient et propageoient le souvenir merveilleux du pélerin.

Fontenelle ne dédaigna point d'occuper quelques instans de sa vieillesse à raconter l'histoire merveilleuse de Romieu de Provence, et, dans le Mercure de janvier 1751, il publia le commencement d'un ouvrage où il revêtoit des couleurs de son style aimable et facile les fictions depuis si long-temps débitées sur le pélerin; il y mêloit l'histoire du temps; et sans doute ce petit roman eût été très-agréable, si le Nestor de la littérature l'avoit achevé. Mais lorsqu'un écrivain aussi respectable et aussi accrédité que Fontenelle essaya de rajeunir ces vieilles traditions et de leur donner un nouveau cours, les savans craignirent que l'autorité d'un tel nom ne séduisît l'opinion publique; et une lettre de dom Vaissette, auteur de l'Histoire générale du Languedoc, adressée à M. de Fontenelle et insérée dans le Mercure de France de mars 1751, prouva sans réplique que Romée de Villeneuve avoit été un grand homme d'état, qu'il avoit gouverné jusqu'à sa mort la Provence, heureuse sous son administration, qu'il avoit même survécu de plusieurs années à Raimond Bérenger, et que, comblé d'honneurs et de richesses, il étoit mort en Provence, dans sa famille, après l'an 1250. Fontenelle recula devant l'appareil de l'érudition du savant bénédictin, et ne donna aucune suite à l'historiette qu'il avoit commencée. On trouve dans la Bibliothèque des romans, octobre 1781, deuxième volume, un

extrait de l'ouvrage de Baudrier, mais il n'y est pas question de celui de Fontenelle.

Puisqu'on publie dans l'étranger un nouvel ouvrage qui est fondé sur les mêmes traditions populaires, je crois convenable de rechercher l'origine de ces récits. Sans doute ils sont amplement réfutés par la critique historique de dom Vaissette dans sa lettre à Fontenelle, et par Papon, dans son Histoire de Provence; mais il appartient à la critique littéraire de remonter à l'origine de ces traditions mêmes.

Raimond Bérenger mourut en 1244, et Romée de Villeneuve après l'an 1250, date de son testament. Ce ministre avoit laissé un souvenir très-honorable de son administration, et il est vraisemblable que, dans un siècle peu éclairé, le peuple et les étrangers attachèrent quelque idée de merveilleux au nom de cet homme, qui avoit exercé longtemps et avec succès un grand pouvoir. Le nom de Romée, ou pélerin, prêta facilement à l'invention des fictions que le vulgaire adopta avec crédulité. Je n'ai encore trouvé dans le XIII. siècle auçun auteur qui ait qualifié Romée de Villeneuve de pélerin. Un siècle ne s'étoit point écoulé, depuis sa mort, lorsque Dante, qui sans doute n'inventa pas la fiction romanesque, mais qui l'accrédita et la répandit en la plaçant dans son immortel poëme, s'exprima ainsi au sujet de Romée de Villeneuve (chant VI du PARADIS):

(1) Et dans cette marguerite éclate la lumière de Romée, dont les » grands et beaux travaux furent mal récompensés.

» Mais les Provençaux qui agirent contre lui n'ont pas eu à se » réjouir de leur injustice; et certes celui-là n'est pas dans la bonne

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E dentro alla presente margherita
Luce la luce di Romeo, di cui
Fu l'opra grande e bella mal gradita.
Mai Provenzali che fer contra lui
Non hanno riso; e però mal cammina
Qual si fa danno del ben fare altrui.

Quattro figlie ebbe, e ciascuna reina,
Ramondo Berlinghieri, e ciò gli fece
Romeo, persona umile e peregrina.

E poi si mosser le parole biece
A dimandar ragione a questo giusto
Che gli assegnò sette e cinque per diece.
Indi partissi povero e vetusto;

E se 'I'mundo sapesse 'I cuor ch' egli ebbe,
Mendicando sua vita a frusto a frusto,
Assai lo loda, e più lo loderebbe,

>> voie qui cherche son propre dommage dans le bien qu'un autre » fait.

» Raimond Bérenger eut quatre filles, et chacune d'elles épousa un »roi; et ce fut Romée, personnage d'une basse extraction, Romée » simple pélerin, qui les établit si glorieusement.

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» Et ensuite les calomnies excitèrent le prince à demander à cet » homme juste le compte de son administration. Ce ministre lui rendit » douze au lieu de dix, et aussitôt il s'éloigna pauvre et âgé.

» Et si le monde savoit le courage que Romée montra en mendiant » son pain morceau à morceau, ce monde, qui le loue beaucoup, » le loueroit encore davantage. »

Ainsi Dante répandoit l'opinion que Romée étoit un pelerin de basse extraction, et qu'ayant été calomnié, il avoit quitté la cour de Raimond Bérenger et s'étoit éloigné en mendiant son pain.

Villani, livre VI, chapitre 92, ajouta que le pélerin étoit arrivé dans cette cour venant de Saint-Jacques, avec un mulet, un bourdon, une escarcelle, et qu'il reprit le même équipage quand il s'éloigna; que les instances du comte n'ayant pu le retenir, il disparut sans qu'on sût jamais ni d'où il étoit, ni où il alla; Villani annonce qu'on crut généralement que c'étoit un saint personnage. On voit que Villani, qui a écrit plus d'un siècle après Dante, a récueilli ou créé de nouvelles circonstances sur le pélerin. Villani avoit ajouté au récit de Dante, et les commentateurs de Dante expliquèrent les vers du poëte par les amplifications de l'historien; et ainsi se perpétua, de commentaire en commentaire, le roman relatif au pélerin Romée. M. Biagioli, dans son travail sur Dante, a rétabli les faits historiques concernant Romée de Villeneuve, et on doit lui en savoir gré; il est à desirer que désormais les personnes qui voudront expliquer ce poëte, adoptent les faits constatés par l'histoire, et aient le soin de réfuter les fictions romanesques.

L'auteur des Voyages et Aventures du noble Romée de Provence ne s'est point nommé dans son ouvrage; mais on sait qu'il appartient à une des familles les plus distinguées de la noblesse piémontaise. Le mérite de son roman ajoutera encore à la durée des traditions populaires, et j'ai cru convenable et utile de réclamer en faveur de la vérité historique avant de juger les nouvelles fictions.

Il eût appartenu sans doute à M. Ginguené de déclarer et de prouver, dans sa brillante analyse du poëme de Dante, que le poëte n'avoit rapporté qu'une tradition populaire, quand il avoit parlé de Romée de Villeneuve; mais puisque un écrivain du talent et de l'autorité de M. Ginguené n'a pas réclamé en faveur de la vérité

historique, j'ai cru encore plus nécessaire de réclamer moi-même, en rendant compte du nouvel ouvrage.

On peut le diviser en deux parties; la première contient les aventures de Romée de Villeneuve depuis son arrivée à la cour de Provence, jusqu'à son départ de cette cour; et la seconde ses aventures depuis qu'il l'eut quittée. Je pense que l'auteur n'a choisi ce cadre que pour faire connoître les mœurs, les usages, les opinions, l'état politique, guerrier et littéraire du XIII. siècle. Il peint d'abord la cour de Raimond Bérenger, protecteur des troubadours et troubadour luimême. La comtesse Béatrix, son épouse, préside une cour d'amour où se trouvent plusieurs de ces poëtes. Un pélerin se présente; le troubadour Perdigon le reconnoît pour un de ses amis : ce pélerin est Romée de Villeneuve, qui, accueilli par la comtesse et ses dames, leur raconte ses aventures d'amour. Il plaît au comte, qui lui confie bientôt l'administration de l'état; après quelque temps, il est envoyé en ambassade vers Louis IX, roi de France, et Henri II, roi d'Angleterre, et il conclut avec eux le mariage de deux des filles du comte. A son retour, envié, dénoncé par les courtisans, Romée est mal reçu du comte; forcé de se justifier, il le fait avec succès: mais il se décide à quitter la cour, au grand regret de la comtesse, qui en reçoit des conseils pour le mariage de ses deux autres filles. On voit que le nouveau romancier a, pour le fond, suivi jusque-là les traditions populaires; il est vrai qu'il y a rattaché beaucoup d'incidens, et sur-tout des détails de mœurs qui les ont un peu rajeunies: mais comme, depuis l'exil volontaire de Romée, les traditions se taisent, l'auteur a eu le champ libre, et il en a profité.

Dans la seconde partie, Romée est à Bologne avec son écuyer Gismond. L'auteur décrit l'état des études dans cette ville, le concours des personnes qui y arrivoient de tous les pays. Romée y trouve le poëte Guido Guinicello, avec lequel il étoit lié: il vient à Florence, où il échappe à une intrigue d'amour; il passe à Pise; ensuite il s'embarque une tempête le jette en Sicile; il y rencontre Monna Nina, célèbre par ses vers, laquelle peut-être alloit sur les traces de Dante de Maiano.

Romée, bien accueilli à Palerme par Mainfroi, assiste à des fêtes, et ensuite s'embarque pour la Palestine, arrive à Ptolémaïs. L'auteur, entièrement libre de créer des détails, montre son héros sur les champs de bataille, dans les conseils, où il se distingue également. Romée contribue à une grande victoire; mais dans une autre rencontre, il reste prisonnier. Conduit en Egypte, il est présenté à la sultane

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