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« Ce n'est, ajoutait-il ailleurs, ni pour l'épervier ni pour le milan, bien qu'ils appartiennent à la classe des animaux malfaisants et nuisibles, que sont tendus les filets et les piéges on n'y prend que les oiseaux faibles et inoffensifs : >> Non rete accipitri tenditur, neque milvio,

Qui malefaciunt nobis; illis qui nihil faciunt tenditur.

(Phormio, II, 2.)

Ces réflexions, auxquelles on peut rapporter et le proverbe, Magni fures parvum ducunt, et ce mot de Caton, cité par Aulu-Gelle, Fures privatorum furtorum in nervis atque in compedibus ætatem ducunt, fures publici, in auro atque in purpura, ces réflexions, dis-je, s'étaient produites déjà dans des poésies antérieures à Térence, et se reproduisirent en termes plus énergiques encore dans celles qui furent publiées sous l'empire.

Parmi les fragments de Lucile, figure celui-ci,

Peccare impune rati sunt

Posse, et nobilitate facul propellere iniquos;

(VI, 4.)

ce qui veut dire, si je traduis bien, que les patriciens croyaient pouvoir faillir impunément et se débarrasser de toute mauvaise affaire à la faveur de leur noblesse.

Lucrèce, parlant de la foudre, s'étonnait de la voir le plus souvent épargner les coupables et frapper des innocents,

Telum, quod sæpe nocentes

Præterit, exanimatque indignos imque merentes.

(Lib. VI.)

« Pourquoi, disait-il, les dieux, au lieu de faire tomber ce feu céleste sur ceux dont les crimes épouvantent l'humanité, et de donner ainsi un exemple saisissant aux mortels, ne le font-ils servir qu'à brûler des gens qui n'ont à se reprocher aucune mauvaise action? >>

Cur quibus incautum scelus aversabile cunque est

paraît que dans la pensée de l'auteur ils avaient une double entente, et que pris isolément ils devaient exprimer la même idée que celle que l'on verra se produire en des termes peu différents dans ceux des passages de Juvénal qui sont cités plus loin.

Non faciunt icti flammas ut fulguris halent,
Pectore perfixo, documen mortalibus acre;
Et potius nullæ sibi turpis consciu' rei
Volvitur in flammis innoxius?. . .

(Lib. VI.)

Ces remarques du poëte n'étaient pas, je pense, sans quelque trait à la justice humaine, dont les foudres à l'époque où il vivait, sous la dictature de Scylla, ménageaient les grands coupables et atteignaient bien des innocents.

Les grands coupables en effet, bien que condamnés par la loi, trouvaient aisément le moyen de se faire absoudre par leurs richesses :

Sed quos lex damnat, gratia solvit opum.

(Anthologia.)

Citons quelques faits à l'appui de cette inculpation contre la justice romaine.

J'ai eu occasion de parler dans le chapitre précédent de certains gouverneurs de province, tels que Verrès, Marius et autres, qui pressuraient et dépouillaient leurs administrés, pour s'enrichir à leurs dépens. Il arrivait quelquefois que ceux-ci les dénonçaient au sénat, et envoyaient à Rome, à grands frais, des députés pour les poursuivre devant cette juridiction. Mais s'ils obtenaient gain de cause contre les accusés, s'ils les faisaient condamner à l'exil, ils ne retiraient rien de plus de leur poursuite; ce qui leur avait été pris ne leur était pas rendu. Voilà pourquoi Juvénal engageait un provincial d'outre-mer, qui avait à se plaindre de pareilles déprédations, à faire vendre par le præco ce qui lui restait de mobilier, pour le soustraire à l'avidité du gouverneur, et à bien se garder d'aller porter à Rome sa plainte devant le sénat. « C'est folie, lui disait-il, après avoir tout perdu, de s'exposer encore à perdre les frais d'un voyage par mer: »

Præconem, Chœrippe, tuis circumspice pannis,
Jamque tace; furor est post omnia perdere naulum.
(Sat. 8.) (1)

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(1) Je reproduis ce texte de Juvénal, que j'ai déjà cité tome II, parce qu'il s'applique beaucoup mieux ici.

En présence de tant d'exemples de l'impunité accordée par la justice aux coupables riches et puissants, Juvénal n'étaitil pas autorisé, de même que tant d'autres poëtes, à faire entendre que contre eux il n'y avait pas en justice de recours utile pour le faible?

Le moindre prétexte, au contraire, suffisait à faire condamner celui-ci :

In misero facile fit potens injuria.

(PUBL. SYRUS.)

« Qu'un âne vienne à mordre un chien, disait-on pour exprimer cette tendance à sévir contre les petits, on ne manque pas de l'en punir : »

Vel si asinus canem momorderit, pœnas dabit.

(Prov.)

La pensée de ce proverbe est nettement rendue par Ovide dans le fragment suivant, qui n'est point, il est vrai, directement appliqué par lui à la justice distributive, mais qui ne laisse pas que d'y faire allusion :

Infirmis causa pusilla nocet.

(Remedia amoris.)

Dans un autre passage, le même poëte faisait clairement entendre que devant les tribunaux le bon droit avait besoin d'aide, et qu'à défaut d'appui et de crédit, on était grandement exposé à perdre sa cause, quelque bonne qu'elle fût : Nunc reus, infelix, absens agor; et mea quum sit Optima, non ullo causa tuente perit.

(Ov., Heroid. XX.)

Qui ne se rappelle ce vers proverbial de Juvénal ?

Dat veniam corvis, vexat censura columbas.

(Sat. 2.)

Dans son acception générale, c'était principalement à la justice distributive que s'appliquait cette remarque satirique. Juvénal d'ailleurs la reproduisait avec insistance et la développait en termes plus explicites dans différentes parties de

ses satires. «Ici, disait-il, nous pardonnons tout à la richesse. Pour de petites gens, la passion du jeu, l'adultère sont choses infamantes; pour les riches, c'est moins que rien; c'est même presque un mérite. Ce que nous trouvons détestable chez les hommes de basse condition, nous le trouvons charmant chez les hommes haut placés. - Qu'un autre qu'eux en fasse autant, il ne manquera pas d'encourir la flétrissure: >>>

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Cette inégalité d'appréciation eu égard à la différence de condition des personnes, Juvénal la signalait à un autre point de vue, dans les distinctions admises par les tribunaux, en matière de preuve testimoniale, entre les témoins riches et les témoins pauvres. Il écrivait dans sa troisième satire: «Produisez comme témoin le plus saint homme du monde. Ce qu'on demandera tout d'abord pour juger du degré de confiance qu'il mérite, c'est s'il a de la fortune. Quant à sa moralité, on ne s'en enquerra que très-subsidiairement; tant vaut le coffre-fort, tant vaut le témoignage: >>

Da testem, Romæ, tam sanctum quam fuit hospes
Numinis Idæi.

Protinus ad censum : de moribus ultima fiet

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Juvénal entendait faire ici, je le suppose, la critique de certaines règles du droit romain, par lesquelles il était recommandé aux juges de tenir grand compte, dans l'apprécia

:

tion des témoignages, de la position de fortune des témoins, par la raison que les témoins pauvres sont plus facilement accessibles à la séduction que les riches. On lit en effet dans le Digeste « Testium fides diligenter examinanda est, « ideoque in persona eorum exploranda erunt in primis con<< ditio cujusque, utrum quis decurio an plebeius sit... an « locuples, vel egens sit, ut, lucri causa, quid facile admit<< tat. » C'était là une sorte de mise en suspicion des classes pauvres, et il est à croire que Juvénal la goûtait peu.

Lucile et Ovide étaient sans doute du même sentiment; car le premier avait dit, longtemps avant Juvénal,

Quantum habeas, tantum ipse sies, tantumque habearis;

et le second, dans un passage de ses Tristes, donnait à entendre, contrairement au texte précité du Digeste, que plus un témoin était malheureux, plus il était digne de foi: Ergo quam misero, tam vero teste probaris, Hic aliquod pondus si modo testis habet.

(I, 6.)

Il est remarquable d'ailleurs que les poëtes, et particulièrement ceux de l'époque impériale, signalaient d'un commun accord, comme un fait caractéristique de la démoralisation publique, la perversion de toutes les idées de justice : « C'est maintenant au crime que l'on donne raison, disaient-ils; l'innocent expie les méfaits d'autrui, tandis que le coupable en recueille les fruits; - le succès justifie tout, et le crime

heureux passe pour vertu. »

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On trouvera dans les passages qui suivent l'expression variée de toutes ces appréciations, dont les unes se rapportent aux temps présents et les autres aux temps passés :

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