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disait, entre autres choses flatteuses, qu'il avait su donner du jugement et de l'esprit aux centumvirs,

Centumque dedisti

Judicium mentemque viris;.~.

(Silv., I, 4.)

d'où suit assez naturellement que dans la pensée du poëte ils n'en possédaient généralement que fort peu de leur propre fonds.

Pline le jeune, contemporain de Stace, plaida fréquemment devant le tribunal centumviral, que l'on saisissait alors de toutes sortes de procès, petits et grands; et je suppose qu'il avait en vue cette juridiction lorsqu'il écrivait que dans un jury composé d'un grand nombre de juges la majorité était rarement du côté de la raison et du bon droit, comme Tite-Live l'avait fait observer avant lui, en ces termes : « Ple« rumque major pars meliorem vincit. » (XXXI, 4.) Là, disait Pline, les avis se comptent et ne se pèsent pas. Rien n'est plus inégal que leur égalité même; car la voix du juge inepte a la même valeur numérique que celle du juge intelligent : << Numerantur sententiæ, non ponderantur; nec aliud in pu<«<blico concilio potest fieri, in quo nihil est tam inæquale << quam æqualitas; nam quum sit impar prudentia, par om<<nium jus est. » (Epist., XI, 12.) Ce même auteur avançait pourtant dans une autre de ses épîtres qu'un avis adopté par une nombreuse assemblée délibérante avait une grande autorité, et que les juges, qui pris individuellement n'avaient que peu d'intelligence, en avaient beaucoup collectivement : << In numero ipso est quoddam magnum collectumque con<< silium, quibusque singulis judicii parum est, omnibus <«< plurimum. » (VII, 7.) Ces deux opinions sont quelque peu contradictoires; mais peut-être s'expliquent-elles par ce motif que Pline émettait la première après avoir perdu un procès devant les centumvirs, et la seconde après en avoir gagné un autre devant les mêmes juges. Quoi qu'il en soit, j'estime pour ma part que la première était la plus vraie, et que, par les raisons sur lesquelles elle se fondait, les Romains n'accordaient guère plus de confiance à leur justice à cent têtes qu'à celle de leurs juges uniques.

De là sans doute les reproches d'inaptitude et d'ignorance si fréquemment adressés aux juges sous les divers gouvernements de Rome. On disait d'eux qu'ils jugeaient à tort et à travers, et laissaient pencher leur balance au gré du hasard, << regulam incurvantes qualibet. >>

Dans l'opinion de Plaute, un juge ignorant ne pouvait être qu'un juge injuste, et c'était sottise d'espérer de lui un jugement équitable, parce qu'il n'entendait rien au droit et n'en tenait aucun compte. Voici comment il s'en expliquait dans le prologue d'Amphitryon:

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Injusta ab justis impetrare non decet.

Justa autem ab injustis petere insipientia est;

Quippe illi iniqui jus ignorant, neque tenent.

Les Grecs en pensaient de même. L'un de leurs brocards portait que de tels distributeurs de la justice ne faisaient aucune différence entre l'innocent et le coupable. Ce brocard a été ainsi versifié en latin :

Insontem sontem nullo discrimine habebunt.

Un autre dicton, provenant de la même source, et que les Latins se sont également approprié, représentait un tribunal où tous les acteurs, juge et parties, étaient sourds : «‹ Sur« daster cum surdastro litigabat; judex autem erat utroque « surdior (1). » On comprend la signification de cet apologue épigrammatique.

(1) Sur ce texte, un poëte du quinzième siècle, le chancelier Thomas Morus, qui sans doute avait trouvé plus d'un juge ignare dans son pays, a brodé l'épigramme suivante :

Lis agitur; surdusque reus, surdus fuit actor :
Ipse tamen judex surdus utroque magis.
Pro ædibus hic petit æs, quinto jam mense peracto;
Ille refert : « tota nocte mihi acta mola est. >>
Adspicit hos judex : « et quid contenditis? » inquit :

« Annon utrique est hæc mater? utrique alite? >>

On trouve dans les treize livres des Parlements par Larocheflavin une traduction libre de cette épigramme, ainsi conçue :

Un sourd fit un sourd adjourner
Devant un sourd, en un village,
Puis vint hautement entonner

C'est, je crois, en vue des dangers auxquels l'innocent même était exposé devant un juge sans lumières, comme sans oreilles, que Publius Syrus a écrit la sentence suivante, que je traduis ainsi : « Ce que redoute l'accusé innocent, ce ne sont pas les témoins, c'est le hasard des jugements :

Reus innocens fortunam, non testem veretur.

A quoi peuvent se rapporter ces deux adages: Judicia inter casus fortuilos numerantur. Alea judiciorum, et ce mot, par lequel on a coutume d'expliquer des acquittements inexplicables Gaudeant de bona fortuna?

§ VII.

Point de précipitation dans les jugements.

La patience était placée par les anciens au nombre des devoirs de la justice distributive. «Patientia pars justitiæ est, » disait Pline le jeune. Écouter jusqu'au bout avec tolérance et mansuétude les réclamations des justiciables, donner tout le temps et toute l'attention nécessaires à l'instruction comme à l'examen des causes, ne rien précipiter même dans les affaires de peu d'importance: telle devait être la règle du juge.

Le poëte Calpurnius avait connu un arbitre qui la pratiquait en toute conscience, et qui, ayant à juger des contestations entre gens de la campagne, ne dédaignait pas de descendre dans tout le détail de leurs différends, pour leur faire bonne et conciliante justice. Il l'en louait en ces termes :

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Honorius, suivant Claudien, en agissait de même lorsqu'il avait à réviser les jugements qui lui étaient déférés par

Sa demande étant d'un fromage;

L'autre répond de labourage.
Sur quoi le juge, fort suspens,
Déclara bon le mariage,

Et les renvoya sans dépens.

voie d'appel. Quelque minime que fût la cause, il examinait tout avec soin, et ne laissait passer aucune erreur à rectifier :

Quæ sub te vel causa brevis, vel judicis error

Negligitur? .

...

(De IV consul. Honorii.) (1)

Mais tous les juges ne procédaient pas de cette façon-là. Il en était qui dépêchaient et brusquaient la décision des procès dont ils avaient à connaître, jugeant sur l'étiquette du sac, sans examen sérieux ou suffisamment approfondi. Cela s'appelait, dans le langage du temps, præcipitare ou profli– gare causas.

D'autres avaient une manière de faire plus expéditive encore. Pour en finir plus vite, ils jugeaient les gens sans même les avoir mis en prévention; ou bien encore, après les avoir mis en prévention, ils négligeaient de les juger.

Il paraît que cela se voyait à l'époque où vivait Publius Syrus; car il en a fait le sujet de plusieurs de ses sentences.

Il disait aux premiers que précipiter les jugements était une coupable légèreté, car on ne saurait rien faire avec mesure quand on agit avec précipitation; que le juge qui se hâte ainsi, en matière criminelle surtout, a tout l'air de désirer une condamnation et de chercher une victime; que, si tel n'est pas son but, il ne tardera pas, en jugeant trop vite, à regretter sa décision :

In judicando criminosa est celeritas.

Nihil est quod caute simul'agas ac celeriter.
Prope est ut libens damnet qui damnat cito.
Properare in judicando est crimen quærere.
Ad pœnitendum properat qui cito judicat.

Aux seconds il faisait observer qu'il est dangereux de juger sans informations préalables, de même qu'il est dur de mettre une personne en prévention sans purger l'accusation par un jugement. Tel me paraît être le sens des deux

(1) On voit par ce texte de Claudien que du vivant de ce poëte le prince statuait, comme juge d'appel ou de cassation, sur les décisions judiciaires dont l'annulation lui était demandée.

sentences ci-après, qui, je l'avoue, m'ont mis quelque peu l'esprit à la torture :

Grave judicium est, quod præjudicium non habet.

Grave præjudicium est, quod judicium non habet.

Ces sages réflexions, qui sans doute étaient l'expression du sentiment public, ne purent mettre un frein à l'impatience qui portait la plupart des juges à se débarrasser au plus tôt, et par les voies les plus sommaires, des procès qui se pressaient à leurs audiences. La promptitude d'expédition ne fit, au contraire, que progresser, en raison de l'accroissement du nombre des causes. Même dans les affaires capitales, c'était à peine si on laissait à la défense de l'accusé son libre cours. On se rappelle ce fragment de Juvénal, Audi;

Nulla unquam de morte hominis cunctatio longa est.

Cette remontrance du satirique, qui s'adressait visiblement aux juridictions criminelles, témoigne qu'on avait fréquemment à se plaindre de leurs procédés par trop lestes.

Effectivement, les juges avaient alors la faculté, dont j'indiquerai plus loin l'origine et le mode d'exercice, de limiter à leur gré la durée des plaidoiries. Il paraît qu'ils en usaient largement, qu'ils en abusaient même en écourtant plus qu'il ne convenait les discussions.

On pourrait même croire, d'après Pétrone, que quelques juges se dispensaient d'entendre des avocats. «A quoi bon, dit un personnage du Satyricon, devant lequel un tiers plaide la cause d'un accusé dont il se constitue le juge, à quoi bon chercher la vérité par un intermédiaire? Toi, voleur, qu'astu à dire? Explique-toi :» «Quid attinet veritatem per inter« pretem quærere? Quid dicis, tu, latro?» (Chap. 117.)

Pline le jeune exprimait son mécontentement de cette façon de juger: « Prétendons-nous, écrivait-il à l'un de ses amis, être plus sages que nos ancêtres, plus justes que ces lois par lesquelles ils accordaient tant d'heures, tant de jours, tant de délais aux plaideurs? Serait-ce que leur intelligence était obtuse et leur lenteur extrême? Serait-ce que de nos jours on s'explique plus clairement, que l'on

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