Immagini della pagina
PDF
ePub

les hommes connurent l'usage du feu, des vêtements, des cabanes, et se créèrent une famille par le mariage. « Alors, dit-il, ceux d'entre eux dont les habitations se touchaient commencèrent à former des liaisons de voisinage, et convinrent de s'abstenir de toute lésion, de toute violence les uns envers les autres, et de protéger réciproquement leurs femmes et leurs enfants. Ces enfants eux-mêmes, par leurs gestes et leurs sons inarticulés, leur faisaient comprendre que la pitié et l'assistance sont une justice due à la faiblesse :

Tunc et amicitiam cœperunt jungere, habentes
Finitima inter se, nec lædere, nec violare;
Et pueros commendarunt, muliebreque sæclum,
Vocibus et gestis quum balbe significarent
Imbecillorum esse æquum miserarier omnium.

(Lib. V.)

On trouve là l'indication de la première des conditions constitutives de la justice, « Neminem lædere, » à quoi le droit ajoutait : « Suum cuique tribuere. »

Juvénal explique à peu près dans les mêmes termes que Lucrèce l'établissement des rapports d'équité entre les hommes.

<< L'auteur commun de toutes choses, dit ce poëte, ne nous a pas seulement donné la vie, comme aux autres animaux; il a mis en nous la raison et les sentiments affectueux, qui nous portent à nous rapprocher, à nous entr'aider. Par un effet naturel de cette tendance instinctive, les hommes, dispersés d'abord, sortirent des forêts, qui furent leur première demeure, pour s'assembler dans les mêmes lieux. Ils formèrent des agrégations, se construisirent des habitations qui se joignaient les unes aux autres dans un intérêt de protection réciproque, et se firent un devoir de secourir, de défendre et de venger au besoin ceux de leurs concitoyens qui tombaient victimes de quelque acte de violence grave: »

Principio indulsit communis conditor illis

Tantum animas, nobis animum quoque, mutuus ut nos
Affectus petere auxilium et præstare juberet.

Dispersos trahere in populum, migrare vetusto
De nemore, et proavis habitatas linquere silvas;
Ædificare domos, laribus conjungere nostris
Tectum aliud, tutos vicino limine somnos

Ut collata daret fiducia; protegere armis
Lapsum, aut ingenti nutantem vulnere civem.

(Sat. 5.)

C'est encore dans le même sens que Claudien parlait des débuts de la justice dans le monde. Il la regardait comme la première civilisatrice du genre humain, qu'elle avait, disait-il, tiré de ses repaires, dépouillé de sa sauvagerie et amené à cultiver les lois :

[ocr errors][merged small][merged small][merged small]

Ces hypothèses poétiques sont-elles historiquement admissibles?

L'affirmative est, je crois, peu contestable.

Il est certain que l'esprit de justice est inné chez les hommes: «Sumus ad justitiam nati, dit Cicéron, nec opinione, <sed natura, constitutum est jus. »

On peut tenir aussi pour constant qu'il se produisit par inspiration naturelle, dès l'instant où se formèrent les premières sociétés. Ce qui le prouve, c'est que les peuplades même les plus barbares en ont toujours une idée plus ou moins nette : « Justitiæ rusticis quoque ac barbaris apparet <«< aliqua imago. » (QUINTIL.)

« Telle est la puissance de cet instinct, dit encore Cicéron, qu'il agit même sur les malfaiteurs. Voyez ces bandits qui ne vivent que de brigandages et de crimes; ils ne peuvent eux-mêmes se passer de quelque peu de justice. Qu'un d'eux vienne à voler par fraude ou violence quelqu'un de ses complices, il est mis au ban de l'association et n'y peut plus garder sa place. S'il arrive que le chef de la bande ne fasse pas entre ses compagnons un partage égal du produit des communes rapines, ceux-ci ou le tuent ou l'abandon

[ocr errors]

nent. On dit même que ces brigands ont des lois auxquelles ils promettent obéissance, et qu'ils observent entre eux (1). »

Ainsi, même aux yeux de l'injuste un injuste est odieux. Le mal qu'il fait aux autres il ne supporte pas qu'on le lui fasse. Tout sacrilége qu'il est, il a parfois recours aux autels, et ne se fait point scrupule d'invoquer l'assistance de la divinité qu'il offense :

Etiam qui faciunt, oderint injuriam.

(PUBL. SYRUS.) (2)

Confugit interdum templi violator ad aras,
Nec petere offensi numinis horret opem.

(Ov., ex Ponto, II, 2.)

C'est qu'en effet, il le faut bien reconnaître, le premier sentiment de la justice ne vient pas de celle que nous devons, mais de celle qui nous est due; ce sentiment procède a priori de l'égoïsme.

[ocr errors]

(1)« Justitiæ tanta vis est, ut ne illi quidem, qui maleficio et scelere << pascuntur, possint sine ulla particula justitiæ vivere; nam qui eorum cuipiam, qui una latrocinantur, furatur aliquid aut eripit, is sibi ne in la<< trocinio quidem relinquit locum. Ille autem qui archipirata dicitur, nisi « æquabiliter prædam dispertiat, aut interficitur a sociis, aut relinquitur. « Quin etiam leges latronum esse dicuntur, quibus pareant, quas obser« vent. » (CIC.)

(2)

Mais jusqu'en ces pays où tout vit de pillage,

Chez l'Arabe et le Scythe, elle est de quelque usage;
Et du butin acquis en violant les lois,

C'est elle entre eux qui fait le partage et le choix.

(BOILEAU, Sat. XI.)

Même aux yeux de l'injuste un injuste est horrible,
El tel qui n'admet pas la probité chez lui
Souvent à la rigueur l'exige chez autrui.

(BOIL., Sat. XI.)

Tant au cœur des humains la justice et ses lois
Même aux plus endurcis font entendre leur voix!

(VOLTAIRE, Oreste.)

On trouve dans les Annales de Tacite l'application suivante de la vérité exprimée dans cette dernière réflexion de Voltaire : « Sævum id malique «< moris etiam furentibus visum. » Ceci est dit à propos de l'offre qu'un des soldats révoltés de Germanicus faisait à ce prince de lui prêter son glaive pour se donner la mort. (Annal., 1, 35.)

Or, l'égoïsme étant toujours porté à s'exagérer son droit, il advint qu'assez généralement on ne tint guère à la justice que par rapport à soi-même, et qu'on fut peu disposé à l'observer vis-à vis d'autrui, dans les circonstances où l'intérêt personnel conseillait d'en agir autrement.

L'esprit de justice voulait qu'en pareil cas on préférât le juste à l'utile:

Justitia utilibus rectum præponere suadet,

Communesque sequi leges.

[ocr errors]

(CLAUD., Stilich., II.)

Utilitas justi prope mater et æqui (1).

(HOR., Sat., I, 3.)

De là naquit l'injustice. Naturellement, elle ne vint au monde qu'après la justice et le droit; car l'injustice ne peut exister que là où préexiste un droit acquis auquel il est porté atteinte. C'est ce que me paraît exprimer cette sentence, assez obscure du reste, de Publius Syrus :

Omne jus supra omnem injuriam positum est (2).

Dans les siècles primitifs, l'injustice se manifesta par l'abus de la force, par la violence. Longtemps les hommes vécurent dans cet état d'anarchie où chacun voulait commander et s'ériger en maître, où les inimitiés particulières donnaient un libre cours à leurs vengeances. C'était l'é

(1) Dans la pensée d'Horace, le mot utilitas veut-il dire l'intérêt général, comme l'ont pensé plusieurs de ses traducteurs? Je ne le crois pas; il me paraît qu'ici le poëte entendait faire allusion à la maxime : <<< Justum « quod potentiori utile, » maxime bien souvent combattue par les moralistes de l'époque. C'est dans ce sens que La Fontaine a dit :

[merged small][ocr errors][ocr errors][merged small]

(2) A première vue, le sens de cette maxime paraît être celui ci: «< Tout droit est placé au-dessus de toute injustice. » Mais ce sens serait un véri table non sens; car il n'est pas de droit qui ne soit exposé aux atteintes de l'injustice. Ce que l'auteur a voulu dire, selon moi, c'est que tout droit précède toute injustice; en d'autres termes, que l'injustice ne procède que de la préexistence d'un droit qu'elle attaque. La préposition supra n'est pas ici employée dans son acception la plus ordinaire. Elle signifie, non pas audessus, mais avant, on plus loin dans le passé,

poque où, suivant la fable, Astrée s'éloigna d'eux et se retira sur les montagnes. Mais épuisés par la discorde, fatigués d'une situation qui ne laissait de sécurité à personne, ils finirent par éprouver le besoin d'une législation répressive de l'iniquité, et par instituer des règlements et des magistrats auxquels ils se soumirent volontairement. Telle fut, selon Lucrèce, l'origine des institutions protectrices de l'ordre social :

Imperium sibi quum summatum quisque petebat,

Acrius ex ira quod enim se quisque parabat
Ulcisci, quam nunc concessum est legibus æquis,
Hanc ob rem est homines pertæsum vi colere ævum.

Nam genus humanum defessum.

Ex inimicitiis languebat, quo magis ipsum
Sponte sua cecidit sub leges arctaque jura.

Inde magistratum partim docuere creare,
Juraque constituere ut vellent legibus uti (1).

(Lib. V.)

Ce besoin de se garantir réciproquement contre les agressions de la violence et de l'injustice par l'établissement de lois tutélaires et d'autorités chargées de veiller à la sûreté commune, devint dès lors la préoccupation principale de toute société naissante.

Lorsque Didon fonda Carthage, dit Virgile, le premier soin de la colonie qui avait émigré avec elle en Afrique fut de se choisir des lois et des magistrats, en même temps que s'élevaient les murs de la cité nouvelle :

Jura magistratusque legunt, sanctumque senatum.

(Eneid. I.)

Au début de leur établissement dans le Latium, les Ro

(1) Il semble que Tacite se soit inspiré de ce passage de Lucrèce, en écri vant ce qui suit dans ses Annales: « At postquam exsul æqualitas, et << pro modestia ac pudore ambitio et vis incedebant, provenere dominationes, multosque apud populos mansere. Quidam statim, aut postquam «< regum pertæsum, leges maluerunt. » (Annal., III.)

« IndietroContinua »