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« prior; emendari quam peccare posterius est. » (TAC., Annal., XV, 20.)

On ne prévoyait donc rien, et l'on faisait, pour ainsi dire, le code pénal au jour le jour.

L'arbitraire était d'ailleurs à peu près la seule règle du juge criminel, ou du moins, aucune distinction n'étant faite par les lois sur les divers degrés à observer, suivant les circonstances, dans l'application des peines, le juge était libre de punir le délit le plus léger aussi sévèrement que le délit le plus grave: d'où suivait que souvent le châtiment dépassait de beaucoup la juste mesure de répression que comportait la culpabilité du fait punissable.

Les esprits éclairés se préoccupaient de cette situation, et des controverses s'étaient établies entre les jurisconsultes, comme entre les moralistes, sur le meilleur régime pénal à établir.

Les uns, imbus des doctrines stoïciennes, n'admettaient quant à la répression aucune distinction entre les diverses espèces de méfaits et voulaient pour tous un même degré de sévérité.

Les autres, partisans de la philosophie d'Épicure, soutenaient que les peines devaient être proportionnées à la gravité des délits.

Cicéron avait pris parti pour cette dernière opinion: «<Ca<< vendum est,» disait-il, «ne major pœna quam culpa sit. «Statuenda pœna pro magnitudine delicti. »

La lutte durait encore du temps d'Horace. Ce poëte, éminemment juriste, intervint dans la lice. Sa haute raison devait naturellement le porter à se prononcer pour la thèse soutenue par Cicéron. En effet, ce fut en faveur de ce système qu'il rompit une lance.

Toute son argumentation mérite d'être citée. Qu'on me permette de la reproduire à peu près en entier.

« Pourquoi, s'écriait-il dans l'une de ses satires, la raison n'use-t-elle pas de ses poids et mesures dans l'application des peines, et ne proportionne-t-elle pas le châtiment à la culpabilité, plus ou moins grave, du délit? »

Cur non

Ponderibus modulisque suis ratio utitur, ac res

Ut quæque est, ita suppliciis delicta coercet?

(Sat., II, 3.)

« Qu'il nous soit donc enfin donné une règle qui permette d'infliger des peines en rapport avec les fautes: »

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Regula peccatis quæ pœnas irroget æquas.

« On ne me fera jamais croire, continue-t-il, que celui-là qui se contente de dérober quelques choux dans le jardin d'autrui soit aussi coupable et passible du même châtiment que le voleur nocturne et sacrilége d'objets consacrés aux dieux : »

Nec vincet ratio tantumdem ut peccet et idem
Qui teneros caules alieni fregerit horti,

Aut qui nocturnus divum sacra legerit.

« Entre le vol timide et le vol par rapine la différence est grande : >>

An rapias..

Distat sumasne pudenter

<< Mettre en croix un esclave qui n'a commis d'autre méfait que celui de lécher les restes d'un plat qu'il enlève de la table, ou de tremper son doigt dans la sauce, c'est être plus insensé que le jurisconsulte Labéon : >>

Si quis enim servum, patinam qui tollere jussus,
Semesos pisces tepidumque ligurierit jus,

In cruce suffigat, Labeone insanior inter

Sanos dicatur (1).

« Qu'on ne se borne pas à punir de la férule le malfaiteur digne d'un châtiment plus sévère : soit, je l'admets, et n'ai certes point à craindre le contraire de la part de ceux aux yeux desquels les simples larcins et les brigandages sont tout un, et qui se flattent, s'ils avaient le pouvoir en main, qu'un même glaive leur servirait à faire indistinctement justice des petits comme des grands coupables. Mais qu'on ne

(1) Ce Labéon dont parle Horace était sans doute un criminaliste draconien, comme ce Cneius Pompeius auquel s'appliquait la réflexion suivante de Tacite, et gravior remediis quam delicta erant. »> (Annal., III, 28.)

déchire pas par d'affreux coups de fouet celui qui mérite à peine quelques étrivières»>

Ne scutica dignum horribili sectere flagello:
Nam, ut ferula cædas meritum majora subire
Verbera, non vereor; cum dicas esse pares res
Furta latrociniis, et parvis magna mineris
Falce recisurum simili te, si tibi regnum
Permittant homines.

« Ceux qui prétendent qu'aucune distinction n'est à faire entre les crimes, ajoute encore le même poëte, sont grandement en peine de justifier leur thèse, quand il leur faut en venir au vrai. Le bon sens, les mœurs, et même l'utilité publique, y répugnent invinciblement : »

Queis paria esse fere placuit peccata, laborant

Cum ventum ad verum est; sensus moresque repugnant
Atque ipsa utilitas.

(Ibid.)

C'était sans doute principalement en vue des punitions infligées aux esclaves et aux personnes de basse condition qu'Horace faisait ces observations si pleines de vérité et de raison; car les pénalités applicables aux personnes libres étaient beaucoup moins draconiennes. Mais ses arguments n'en avaient pas moins une portée générale, ayant pour objet de provoquer dans l'ensemble de la législation criminelle l'établissement de plus justes proportions entre les délits et les peines. Nous voyons d'ailleurs par un passage d'Ovide que dans le siècle d'Auguste les justiciables de condition libre n'étaient pas exempts eux-mêmes de châtiments excessifs. Exilé par cet empereur, en expiation d'un fait qui, selon toute apparence, n'avait que fort peu de gravité, Ovide invoquait, comme Horace, mais dans son propre intérêt, une parité plus équitable entre le délit qu'on lui imputait et la peine qu'il pouvait avoir en

courue :

Ut par

delicto sit mea pœna suo.

(Trist., II, in fine.)

V. Nécessité d'une ferme répression. — Dangers de l'impunité
ou de l'excès d'indulgence.

De ce qui précède il ne faudrait pas conclure que la poésie latine se montrât de facile composition à l'égard des coupables, ni qu'elle prît parti pour eux contre la loi pénale. Bien loin de là: elle ne manquait pas à l'occasion, comme on va le voir, de faire entendre ses plaintes contre l'excès d'indulgence et d'appeler l'attention des gouvernants et des juges sur les dangers de l'impunité, sur la nécessité d'un régime de ferme répression.

«Est-on bien venu à gémir de la perversité du siècle, disait Horace, quand on ne coupe pas le crime dans sa racine par des châtiments exemplaires ?»

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« Que ceux-là, ajoutait-il, qui tiennent à mériter le glorieux titre de père de la patrie et à le voir inscrit sur leurs statues, osent refréner cette licence indomptée qui produit tant de méfaits et fait répandre tant de sang : »

O! si quis volet impias

Cædes et rabiem tollere civicam,

Si quæret Pater urbium

Subscribi statuis, indomitam audeat

Refrænare licentiam.

(Ibid.)

D'autres poëtes s'élevaient avec Horace contre l'extrême tolérance de la justice, qui souvent laissait passer impunis et la tête haute des coupables qu'elle eût dû frapper sans ménagement:

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Et ce n'était pas seulement en cas de complète impunité

que les poètes se récriaient ainsi ; à leurs yeux l'insuffisance de répression équivalait presque à l'exemption de toute peine, lors, par exemple, que la légèreté du châtiment contrastait avec la gravité du crime :

Pœna minor merita.

(Ov., Amor., II, 2.)

Nec par pœna tamen sceleri.

(SIL. ITAL., XIII.)

Dans une tragédie de Sénèque, un grand coupable s'étonnait de n'avoir à subir qu'une peine de courte durée pour réparation des forfaits dont il s'accusait :

. . . . Itane tam magnis breves

Pœnas sceleribus solvis?.

(OEdip.)

Juvénal reprochait une pareille insuffisance à celle qu'on avait prononcée de son temps contre un autre grand criminel, qui, heureux de sa condamnation,

Jouissait du ciel même irrité contre lui :

.. Et hic damnatus inani

Judicio (quid enim salvis infamia nummis?)
Exul ab Octava Marius bibit, et fruitur Dîs

Iratis; at, tu, victrix provincia, ploras.

Ce Marius, dont parle ici Juvénal, était un proconsul d'Afrique, qui sous le règne de Trajan avait commis dans son gouvernement de graves et nombreuses exactions, et que le sénat avait condamné pour ce fait à l'exíl, sur la plainte de la province, dont la cause avait été soutenue par Pline le jeune. La peine était infamante; mais, comme le coupable avait été laissé par le sénat en possession de tous ses biens, il jouissait, dans son exil, du fruit de ses déprédations et se riait ainsi du succès illusoire de ses accusateurs, qui en réalité n'avaient obtenu aucune réparation (1).

On était bien autorisé à qualifier d'illusoires de semblables

(1) Il est rendu compte dans une lettre de Pline le jeune (II, 2) de l'accusation portée contre ce Marius Priscus et ses complices, ainsi que des débats et de la condamnation.

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