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Salluste fut fils de Caius Sallustius. On ignore le nom de sa mère; et quoiqu'on ne sache rien de particulier sur son père, je crois pouvoir avancer qu'il était homme de mérite et de probité, puisque le satyrique qui s'est caché sous le nom de Cicéron, très résolu à n'épargner à Salluste auçun genre d'amertume, ne reproche rien autre chose à son père que d'être inexcusable envers l'état, pour lui avoir engendré un si mauvais citoyen. « Je ne veux rien dire de votre enfance, ajoute-t-il; car ce » serait peut-être accuser votre père qui en a dû prendre soin. » Ce fut dans Rome qu'il la passa: son père le fit élever dans cette grande ville; et le détail qu'on nous a laissé de la vié qu'il y mena pendant sa jeunesse, ne respire nullement la régularité des mœurs : c'est-à-dire, en un mót, qu'il poussa à l'extrême le genre de vie assez ordinaire aux jeunes gens, surtout dans une capitale peuplée et corrompue. Excessif dans sa dépense, licencieux dans ses discours autant que dans ses actions, passant les nuits à table, adonné aux femmes avec emportement; poussant même au delà le raffinement de la debauche, après avoir commencé par porter lui-même la complaisance assez loin, je ne déciderai pas s'il est plus blâmable d'avoir mis à profit la beauté de sa jeunesse, ou d'avoir poussé ces passions au delà du temps où l'on pourrait les excuser sur la fougue de l'âge. La satyre l'épargna moins encore sur cet article que sur aucun autre. Elle lui reprocha « que tout le gain que dans sa jeu» nesse il pouvait tirer de ses débauches, ne pouvait suffire à ses exces>>sives dissipations; mais que quand il eut passé l'âge de servir aux » plaisirs d'autrui, il voulut avoir sa revanche sur les autres ; et qu'ainsi, » de quelque côté qu'il se soit présenté, il n'y a pas eu moins d'infamie >> dans son gain que dans sa dépense. >>

En même temps que Salluste se jetait dans de folles dépenses, il né gligeait le moyen le plus honnête d'acquérir, qui est celui de prendre soin de son bien, et traitait les occupations qui peuvent y avoir rapport d'emploi servile. Son extrême avidité pour amasser de l'argent, n'avait pour but que l'envie de le dépenser avec profusion. Il avait pour maxime « que l'argent qu'on garde dans un coffre ne vaut pas mieux celui qui est dans une mine inconnue. v Sa fortune n'était pas assez opulente pour être long-temps soutenue contre un pareil genre de

» que

vie. Il se vit contraint à vendre sa maison paternelle du vivant même de son père, qui mourut peu après. « Ce fut de regret d'avoir vu son » fils s'emparer de sa succession de son viyant », dit le même déclamateur que j'ai déjà cité et cette réflexion maligne, qu'il ajoute de son chef, et qui d'ailleurs est destituée de toute vraisemblance pour ceux qui savent ce que c'était que la puissance paternelle chez les Romains, montre assez le fiel et l'excès qui règne dans sa narration où j'ai puisé la plupart des faits ci-dessus. S'il faut l'en croire, Salluste n'eut pas besoin d'apprentissage pour mal faire. En entrant dans le monde, il commença par se mettre en société avec la plus mauvaise compagnie de Rome, et surtout avec Nigidianus, homme tout-à-fait décrié sur l'honneur: mais quelque méchants que fussent ses camarades, bientôt il les surpassa tous, et débuta de manière à ne pouvoir lui-même devenir à l'avenir pire qu'il n'était. Pour être convaincu de la fausseté de ceci, il suffit de remarquer qu'il ne trempa point dans la conjuration de Catilina, qui éclata pour-lors, et dans laquelle entrèrent presque tous les jeunes gens qui menaient une vie criminelle et débordée. D'ailleurs nous allons voir que sa jeunesse ne fut pas toujours aussi mal occupée qu'on voudrait nous le faire croire; et que l'ivresse des plaisirs ne déroba rien aux occupations sérieuses qui lui acquirent depuis une si haute réputation.

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Le génie de Salluste le tournait naturellement vers la politique et les affaires d'état, où il était en même temps porté par l'ambition et par le désir de se faire un nom. Mais il ne paraît pas qu'il ait pris la route la plus frayée de parvenir aux honneurs; je veux dire celle d'acquérir des suffrages et des clients, en défendant au barreau les affaires des particuliers. C'est ce que donne lieu de juger le silence de Cicéron, qui ne fait aucune mention de lui dans son livre des Orateurs. Certainement ce n'est ni par haine contre Salluste, ni par vengeance des querelles qu'ils eurent ensemble; puisque dans cet ouvrage il rend indifféremment justice à ses ennemis comme à ses amis, et toujours d'une manière fort impartiale. Ce ne fut pas non plus à défaut de talent que notre historien négligea cette voie usitée. On voit assez combien il en était rempli, par la quantité de harangues directes, si fières et si nerveuses,

que

qu'il a semées dans ses histoires, dont elles font un des principaux ornements; et quoiqu'elles soient pour la plupart, à ce que je pense, originales et non factices, il en reste assez de sa propre composition, pour donner à juger de ce qu'il savait faire. Mais il sentit sans doute son style rapide et coupé n'était pas propre à un genre de discours qui demande plus d'abondance et plus d'emphase. Aussi Quintilien, en même temps qu'il admire sa façon d'écrire, fait un précepte aux orateurs de ne la point suivre. Quoique ce style précis, qui dit tout en un mot, soit, selon lui, le genre d'écrire le plus parfait, il exige un lecteur également attentif et pénétrant. Sa force trop rapide échappe à l'auditeur; à plus forte raison n'est-il pas propre à être employé en parlant des juges dont l'esprit est souvent inappliqué, et la tête toujours remplie de différentes affaires.

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Les exercices du corps ne furent pas non plus de son goût. La chasse, les armes, les chevaux, occupations si remplies d'agrément pour les jeunes gens, n'en eurent aucun pour lui. Il reconnaît lui-même que la nature lui avait donné trop peu de vigueur pour s'y livrer. De là vint peut-être son espèce de mépris assez mal fondé pour des exercices. qu'il regardait, ainsi que le goût de l'agriculture et des autres soins économiques, sinon comme trop bourgeois, du moins comme plus propres à la vie privée qu'à l'ardeur qu'il avait de se faire un nom dans la postérité. « Dès l'âge où l'homme commence à se développer, me » sentant, dit-il, plus de vigueur d'esprit que de force de corps, je voulus » employer ce que la nature m'avait donné de mieux. Je m'adonnai » aux sciences plus qu'aux armes ou autres exercices pareils. Mes lec» tures, mes études historiques m'ont unanimement appris, etc. » L'étude des belles-lettres fut son objet principal; en particulier celle de l'histoire, nécessaire surtout à ceux qui veulent s'entremêler des affaires publiques. Ayant ainsi fixé son choix sur ce moyen d'acquérir de la réputation, et de servir utilement sa patrie en lui remettant devant les yeux de grands exemples de vertu, il y appliqua toutes les forces d'un esprit naturellement nerveux et opiniâtre au travail; non pour charger sa mémoire de dates et de faits; mais, ce qui est le vrai but de l'histoire, pour s'instruire à fond de la constitution du gouvernement de son pays,

pour pénétrer le caractère d'esprit des personnages qui y avaient joué les grands rôles, et démêler les vrais ressorts des grands évènements. Il reconnut bientôt que les plus grands effets n'étaient pas toujours dus à de grandes causes; qu'enchaînés les uns aux autres par de petites circonstances, le hasard en détermine le plus souvent le cours et la suite; et que c'est en vain qu'on s'épuise à chercher aux évènements politiques des raisons subtiles ou fort éloignées, tandis que dans l'occasion chaque homme se laisse aller au mouvement intérieur du caractère naturel qui le domine. On peut donc dire de Salluste que ce n'est qu'après avoir connu l'histoire par les hommes, qu'il les a fait connaître eux-mêmes par l'histoire; et qu'en appliquant aux personnes et aux évènements cette méthode approfondie, il a mieux que nul autre éclairé la postérité sur le caractère de sa nation et de son siècle. En même temps il n'omit pas de faire servir aux vues de son ambition, un art devenu nécessaire à un homme qui, voulant s'élever dans un état républicain, avait négligé les deux moyens ordinaires de parvenir aux honneurs, l'éloquence et les armes. « A dire vrai, les anciens, > St.-Evremont, avaient un grand avantage sur nous à connaître les génies par ces différentes épreuves où l'on était obligé de passer dans » l'administration de la république ; mais ils n'ont pas eu moins de soin » pour les bien dépeindre; et qui examinera leurs éloges avec un peu » de curiosité et d'intelligence, y découvrira une étude particulière et » un art infiniment recherché.

dit

» En effet, vous leur voyez assembler des qualités comme opposées, » qu'on ne s'imaginerait pas se pouvoir trouver dans une même per» sonne; animus audax, subdolus : vous leur voyez trouver de la » diversité dans certaines qualités qui paroissent tout-à-fait les mêmes, » et qu'on ne saurait démêler sans une grande délicatesse de discerne»ment: subdolus varius : cujuslibet rei simulator, ac dissimulator.

» Il y a une autre diversité dans les éloges des anciens, plus délicate, » qui nous est encore moins connue. C'est une certaine différence dont » chaque vice ou chaque vertu est marquée par l'impression particu» lière qu'elle prend dans les esprits où elle se trouve. Par exemple, le » courage d'Alcibiade a quelque chose de singulier qui le distingue de

b

» celui d'Epaminondas, quoique l'un et l'autre aient su exposer leur » vie également : la probité de Caton est autre que celle de Catulus; » l'audace de Catilina n'est pas la même que celle d'Antoine; l'ambi» tion de Sylla et celle de César n'ont pas une parfaite ressemblance; » et delà vient que les auciens, en formant le caractère de leurs grands » hommes, forment, pour ainsi dire, en même temps le caractère des >> qualités qu'ils leur donnent, afin qu'ils ne paraissent pas seulement >> ambitieux et hardis, ou modérés et prudents, mais qu'on sache plus » particulièrement quelle était l'espèce d'ambition et de courage, ou de » modération et de prudence qu'ils ont eue.

«

>>

» Salluste nous dépeint Catilina comme un homme de méchant » naturel, et la méchanceté de ce naturel est aussitôt exprimée : sed » ingenio malo pravoque, L'espèce de son ambition est distinguée par » lc déréglement des mœurs, et le déréglement est marqué à l'égard du » caractère de son esprit, par des imaginations trop vastes et trop » élevées : vastus animus immoderata, incredibilia, nimis alta » semper cupiebat. Il avait l'esprit assez méchant pour entreprendre >> toutes choses contre les lois, et trop vaste pour se fixer à des desseins proportionnés aux moyens de les faire réussir. L'esprit hardi d'une femme voluptueuse et impudique, telle qu'était Sempronia, eût pu faire croire que son audace allait à tout entre» prendre en faveur de ses amours; mais comme cette sorte de har>> diesse est peu propre pour les dangers où l'on s'expose dans une conjuration, Salluste explique d'abord ce qu'elle est capable de faire >> par ce qu'elle a fait auparavant : quæ multa sæpè virilis audaciæ » facinora commiserat. Voilà l'espèce de son audace exprimée. Il la fait >> chanter et danser, non avec les façons, les gestes et les mouvements qu'avaient à Rome les chanteuses et les baladines; mais avec plus » d'art et de curiosité qu'il n'était bienséant à une honnête femme : » psalere et saltare elegantiùs quàm necesse sit probæ. Quand il lui » attribue un esprit assez estimable, il dit en même temps en quoi con» sistait le mérite de cet esprit : cæterum ingenium ejus haud absurdum, versus facere, jocos movere, sermone uti vel modesto, vel molli, vel procaci.

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