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poisson: en contrefaisant le mort, contrefaisant le mort, il se fait jeter dans la charrette, et se rassasie de harengs. Il en emporte un qu'il montre à Primaut en l'engageant à l'imiter pour se procurer un bon dîner. Le loup ne réussit pas : il est encore rossé et s'enfuit le

ventre creux.

Renart lui propose de le conduire dans le gardemanger d'un vilain, où il y avait » quatre bacons salez." Primaut y consent, et après s'être bourré de lard, il ne peut réussir à repasser le trou étroit par lequel ils se sont introduits. Renart, sous prétexte de le tirer de là, le maltraite; et le vilain, réveillé par le bruit, se jette sur Primaut, qui parvient cependant à le terrasser, et lui enlève un morceau de chair de ses fesses: puis il se sauve.

Il a une altercation sérieuse avec Renart, qui néanmoins réussit à l'appaiser: Primaut offre même de lui jurer une éternelle amitié. Sous prétexte de le conduire vers un lieu saint, Renart l'attire dans un piége où son pied est pris. Vs. 4830:

Le pié illeques li rompi,

et Renart, tout joyeux de s'être vengé, s'enfuit à toutes jambes.

Qui est ce Primaut, personnage tout à fait inconnu d'ailleurs dans la geste de Renart? »Il n'y a de Primaut ni dans le latin, ni dans le flamand, ni dans l'allemand" 1).

Primaut c'est tout simplement le loup: » Primaut le leu."

Il est vrai, le trouvère veut le faire passer (vs. 3020, 4388, 4632) pour

Le leu qui fu frère Ysengrin,

1) M. Rothe, Les Romans du Renard examinés, etc., p. 135.

mais tout porte à croire que le malencontreux personnage n'est autre que messire Ysengrin lui-même, qui se cache sous ce nom inusité. Et voici pourquoi.

Les mésaventures qui ici sont mises sur le compte de Primaut, ailleurs sont attribuées à Ysengrin. Ainsi, par exemple, dans la 23 branche, Renart raconte, en parlant d'Ysengrin, et non de Primaut, qu'il lui rendit »>maveis loier" (vs. 13112),

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Qar gel' fi moine en un mostier,

Et si le fis devenir prestre,

Mès au partir n'i vousis estre
Por une teste de sengler,
Qar je li fis les sainz soner,
Si vint li prestres de la vile
Et de vileins plus de deus mile,
Qui le batirent et fustèrent,
A bien petit que nel' tuèrent."

Et un peu plus loin, vs. 13129:

Puis le refis prendre à un piege,
Où il garda trois jors le siege:
Au partir i lessa le pié.

De même, dans la 20e branche, Renart confessant ses péchés, avoue, entre autres, vs. 10759:

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Il me semble peu douteux que, dans la pièce plus ancienne que le conteur de cette histoire remaniait,

il était question d'Ysengrin et non pas de Primaut. La branche 9-10 elle-même le prouve. Vs. 3545 Primaut jure:

,,Foi que je doi Hersent ma fame." M. Rothe voit ici » quelque confusion," puisque Primaut aurait dû dire » Hersent ma belle-sœur." Notre remarque explique cette confusion.

Il y a encore, dans la 10e branche, un autre passage qui confirme notre hypothèse. Lorsque Primaut se sauve du » lardier”, le trouvère dit, vs. 4535: Vers la forez s'en va le cors,

Si a trouvé Renart le rous.

Il est évident qu'il y a ici une faute de copiste: la rime (rous) nous montre qu'il faut lire:

Vers la forez s'en va li cous 1).

Or, ce surnom de cous est souvent donné à Ysengrin, et pour cause; mais il n'est en aucune manière applicable à Primaut.

Je pense avoir démontré que le nom d'Ysengrin a été changé en celui de Primaut par l'auteur de

1) Il est vrai que l'expression rejetée se rencontre quelquefois dans le roman; p. e., pour n'en citer qu'un exemple, br. 20, vs. 10333:

A la vile s'en vet le cors,

et la signification n'est pas douteuse: à la course, grand train. Mais dans le passage qui nous occupe la rime appelle la correction. Certains manuscrits ont voulu obvier à la ,, confusion." Pour le vs. 3545, le ms. 98-14 lit:

et un autre :

Par la foi que doi à ma fame,

Foi que doi Hermengart m'a fame.

Voyez M. Rothe, Les Romans du Renart examinés, etc., p. 134, note 1. Ces variantes manquent parmi celles de M. Chabaille, Supplément, p. 90, qui, par contre, en donne une des manuscrits 7607-5 et 1918 pour le vers 4535:

Et est en la forest entré

Si a tantost Renart trouvé.

cette branche: la légende de Primaut ne se rattache donc pas, comme le suppose M. Paulin Paris 1), » à des récits dans lesquels le loup.

pas encore Ysengrin."

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n'étoit

Il est possible que l'idée de ce nom ait été prise dans des poëmes antérieurs, » dans lesquels le loup entroit dans les ordres et devenoit prélat," si réellement ce nom est »le synonyme de primat, dignité ecclésiastique;" mais rien ne prouve qu'il faudrait admettre cette hypothèse 2). Du Cange traduit primas par » qui primas partes tenet," et il cite ce vers d'un ancien grammairien :

Dicatur primas populo qui primus habetur 3).

La loi des Visigoths connaît les » primates palatii." Or, nous venons de voir 4) que le loup était regardé comme appartenant à la » grant baronie" qui entourait le roi. Primaut peut donc fort bien ne s'entendre que d'un des » primates palatii." Il est encore possible que le poëte ait choisi, sans aucune allusion, un nom assez répandu.

Mais enfin, quelle peut être la raison qui a engagé l'auteur de la branche 9-10 à transformer Ysengrin en Primaut?

Il n'y en a qu'une qui soit plausible. Si cette branche faisait partie d'un tout dans lequel Ysengrin devait être représenté comme l'ami dévoué de Renart, il est naturel que l'auteur ne pouvait pas raconter les méchants tours que le goupil joue

1) Nouvelle étude sur le Roman de Renart, p. 354.

2) Je n'oserais admettre avec M. Grimm (Reinhart Fuchs, p. CCLVI) une allusion à l'abbé Primaldus de St. Aubin à Angers, qui vivait dans la première moitié du onzième siècle.

3) Glossarium Mediae et Infim. Latinitatis, tom. V, p. 4393. 4) Ci-dessus, p. 143.

à son compère, sans se mettre » au-dessus des conditions logiques de son sujet." Car maltraité comme il l'est dans la branche 9-10, le loup aurait nécessairement dû redevenir l'ennemi acharné de son

perfide compagnon. Fidèle à son programme, de

raconter les tours par lesquels Renart a joué

Tant baron que n'en sai le conte,

le poëte n'a pas voulu laisser de côté les tracasseries dont le goupil abreuve le loup, mais il a métamorphosé celui-ci en frère d'Ysengrin, et tout était sauvé.

Il me semble impossible d'imaginer une autre raison plausible pour ce changement de nom: mais alors aussi il est évident que les scènes dans lesquelles figure Primaut doivent rentrer dans le cadre que s'était tracé l'auteur de la branche 11-30. Et la place qu'elles doivent occuper dans ce récit ne peut se trouver ailleurs qu'entre l'aventure qui finit au vs. 24896 et la suivante.

L'aventure de Roonel se terminant par ces mots: Ici de la cort vos lairon,

Et qant leus en sera et tans
Si vos en dirons tot à tans,

la nouvelle aventure pouvait très-bien, devait presque, commencer par:

Or escoutez une autre estoire.

Eh bien! c'est le premier vers de la branche de Primaut. Quand, dans celle-ci, Renart est parvenu à se venger du loup en le faisant tomber dans un piége où il devait perdre le pied, il lui dit, vers la fin de la branche 9-10, vs. 4823:

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