Immagini della pagina
PDF
ePub
[graphic]

Maintenant voyons comment M. Paulin Paris s' prime sur cette question.

» Une création, dit-il, qui, dans tous les cas, doit rien à l'Antiquité, et qui fut généralem admise dans les domaines de la fiction littéraire, c l'antagonisme et la guerre du goupil appelé Rena contre le loup appelé Ysengrin" 1).

» Dans le second tiers du douzième siècle, trouvère fit une sorte de révolution dans la lége populaire et française de Renart, en traitant, P la première fois le sujet de la grande guerre s levée entre le goupil ou Renart, et le loup Ysengrin" ).

» Je le répète, l' invention de la guerre de Ren et d'Ysengrin appartient à la littérature du moy âge, et je penche à croire que c'est à quelque v sificateur latin de la première partie du douzième ècle qu'on en fut redevable. fut redevable. Que ce poëte ait françois, allemand ou flamand, c'est ce qu'on pourra dire avec autorité, tant qu'on n'aura retrouvé l'œuvre originale; mais la première relat de cette guerre en langue vulgaire ayant la for françoise, il y a bien quelque raison de penser que modèle latin fut également l'œuvre d'un François" Ceci doit nécessairement suggérer les réflexi suivantes.

Si avant le second tiers du douzième siècle il avait une légende populaire et française de Rena d'où est-elle sortie? Quelle fut son origine? I fables ésopiques remaniées, imitées, ont-elles, mê

en leur accordant la plus grande vogue possible, jamais pu constituer une légende populaire? Il me semble que légende populaire implique l'idée d'unité. Or M. Paris avoue lui-même que cette unité n'existait pas entre les fables éparses du loup et du renard qui pouvaient courir le monde, puisque l'innovation, l'introduction de la guerre de Renart et d'Ysengrin dans la fiction littéraire répondait, selon lui, »> au besoin d'introduire quelque unité dans un double courant de fables."

[ocr errors]

Mais les fables ésopiques elles-mêmes, avaient-elles bien cette vogue en langue vulgaire avant le second tiers du douzième siècle? Il me semble que c'est là un fait très-contestable, car Marie de France reproche aux trouvères de ne pas s'être souciés de traduire les fables latines. Dans le prologue de sa collection de fables, elle dit: 2)

Cil ki seivent de trovéure

Devreient bien mettre leur cure
Es buens livres e ès escris,

E és essamples, e ès dis,

Ke li filosofe truvèrent

E escrirent e ramembrèrent.

Par Moralité escriveient

Les buns proverbes ke il ooient;
Ke cil amender se péuissent

E lur entente en bien méissent:
Si firent li encien père.

Même longtemps après, au XIVe siècle, le traducteur de l'Ysopet paraît remplir une lacune, lorsqu'il est conduit à

(s') entremettre

Et du latin en roumans mettre

1) Nouvelle étude sur le Roman de Renart, p. 329.

2) Poésies de Marie de France, publ. par de Roquefort, tom. II, p. 59.

Au preu de ceulz qui les liront, 1)

des fables qui, pour la plupart, n'avaient cours qu'en latin. Je dis pour la plupart, car dans l'épilogue il avoue 2):

Mès en ai trouvé grant partie
De compilé, se Diex m'aye,
Et du françois et du latin,
Qu'ont esté, pour lever matin,
Translaté et par grant estude,

Par tieux qui n'ierent fol ne rude.

De même je lis dans l'épilogue de l' Ysopet II, que le traducteur de ce recueil l' a

mis en romans

Pour entendre aus enfans
Et à laïque gent 3).

Si les fables latines ne furent, pour la première fois, traduites en français que dans la première moitié du treizième siècle, si en France la vogue de ce premier recueil a été tellement circonscrite, qu'au XIVe de nouvelles traductions devenaient nécessaires, il me semble qu'avant la première moitié du douzième siècle on ne peut admettre que l' existence de fables latines. Or, d' après M. Paulin Paris lui-même » toutes ces pièces latines n'étoient réellement connues que dans les écoles."

En présence de ces réflexions que faut-il penser de la légende populaire et française de Renart tirant son origine de l' apologue ésopique avant le second tiers du douzième siècle?

Même en concédant ce point à M. Paris, le reste de son argumentation n'en est pas moins faible.

1) Robert, Fables inédites des XIIe, XIIIe et XIVe siècles, tom. II, pag. 504.

2) Ibidem, p. 521. 3) Ibidem, p. 545.

Par légende populaire il faudra bien entendre légende en langue vulgaire, en français. Pourquoi la révolution qui s'y fit dût-elle être introduite par un latiniste, un versificateur latin ?

[ocr errors]

Evidemment ce versificateur latin n'a été mis en scène que parce que l'introduction de la plupart des apologues, dans les littératures modernes, appartient aux latinistes."

Mais M. Paris a bientôt senti qu'un latiniste ne pouvait intervenir dans la légende populaire; aussi s'est-il hâté de le transformer en trouvère, c'està-dire en poëte français.

Enfin c'est ce trouvère qui, dans » la première partie du douzième siècle", dans son >> second tiers" peut-être, ou même vers » la dernière partie du onzième siècle"1), M. Paris varie dans ses suppositions - a inventé, créé l'antagonisme et la guerre de Renart et d'Ysengrin: il a traité ce sujet pour la première fois.

[ocr errors]

Cependant, et c'est M. Paris lui-même qui fait cette concession, » ces noms d' Ysengrin et de Renart peuvent être plus anciens que l'histoire de leurs

démêlés"

Il y a là réellement une concession au système de M. Grimm. Ces noms ne se trouvent pas dans les fables empruntées à l'antiquité. Il est impossible qu'un imitateur français les ait inventés à plaisir, sans y attacher aucune signification. Il faut donc absolument les attribuer à la tradition populaire, en dehors des imitations de l'apologue ésopique.

1) M. Paulin Paris, Nouvelle étude sur le Roman de Renart, à la suite de Les aventures de maître Renart, etc., p. 329. 2) Ibidem, p. 329.

Voilà déjà un point de gagné.

Mais, objectera-t-on, que ces noms se soient trouvés mêlés à des récits populaires, il ne s'en suit pas que ces récits aient contenu l'histoire des démêlés, de la guerre entre les deux personnages si fameux. Je l'avoue. Force nous est donc de scruter plus avant, afin de savoir si l'histoire de cette guerre ne remonte pas plus haut que le commencement du douzième siècle.

Je pense que c'est un fait irrécusable. Si l'on ne peut le prouver à l'évidence, on peut cependant démontrer qu'il est, à un haut degré, vraisemblable. Nous possédons le poëme latin d' Isengrimus. Non seulement au vs. 65 il est dit:

Sicut enim vulpem, sic Isengrimus et illos

Oderat;

mais le poëme entier est là qui nous peint l'effet sanglant de cette haine.

Or ce poëme a été remanié plus tard dans une composition plus vaste, que M. Mone a publiée sous le titre de Reinardus Vulpes. Dans cette composition postérieure on retrouve tout l' Isengrimus, souvent littéralement, quelquefois abrégé, tantôt amplifié, et il n'y a pas à douter que l'un ne soit un remaniement de l'autre 1).

Eh bien, d'après M. Paulin Paris lui-même, le Reinardus fut écrit en 1148 2).

1)

Il ne me semble pas extravagant d'admettre que

[ocr errors]

Unter den geschichten, die das werk erzählt, finden wir den ganzen Isengrimus, oft wörtlich, bald verkürzt und bald erweitert wieder, so dass jener text grundlage der umdichtung geworden ist." Jacob Grimm, Reinhart Fuchs, p. LXX-LXXI.

2) Nouvelle étude sur le Roman de Renart, à la suite de Les aventures de maître Renart, etc., p. 342.

« IndietroContinua »