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de supposer que le nom de Couart aurait trouvé sa place là où le trouvère dit, dans son Roman de la Charrette, vs. 1100:

Ne doi mie avoir cuer de lievre,

d'autant plus qu'il emploie le mot cohart dans le sens de poltron, Erec vs. 2936, 5677; Chev. au lyon, vs. 1596.

Le nom de Belin se rencontre dans l'Erec, vs. 1987, mais c'est un nain qui le porte, non le belier; et le fier Morhot" dont il est question vs. 1240, est un chevalier du roman de Tristan, mais non le mâtin de la trentième branche du Renart.

Si nos conclusions sont justes, cela placerait les œuvres de Pierre de Saint-Cloud après 1190. Voyons si d'autres indices viennent à l'appui de cette supposition.

M. Rothe avait déjà fait la remarque qu'» on ne saurait disconvenir qu'il n'y ait çà et là, dans les poëmes sur le renard, des allusions plus ou moins claires, plus ou moins directes à des personnages et à des événements historiques" 1). Nous allons les

examiner.

Saint Thomas le martyr, qui fut évêque de Cantorbéry, fut assassiné le 29 Decembre 1170: si Pierre fait allusion à ce tragique événement, ses œuvres ne peuvent guère remonter plus haut.

Dans la onzième branche, vs. 5452, le trouvère fait jurer Chantecler

Par la foi que doi Saint Thomas 2); mais cela pourrait à la rigueur s'entendre de Saint Thomas l'apôtre.

1) Les Romans du Renard examinés, etc., p. 22.

2) Dans la 27 branche, vs. 20034, Renart jure aussi,,par Saint Thomas!"

Dans la 29 branche, vs. 23800, nous lisons:

,,Aveine! sire, dit Belin,

Par Seint Tomas le bon martir!
J'en vodroie mon ventre enplir:

S'il vos plest, enseigniez-la moi.”

Des quatre manuscrits qui contiennent cette branche, trois donnent cette leçon: le quatrième lit:1)

,Avainne! sire, dist Belin,

Foy que vous devés Sainct Martin!

S'il vous plaist enseigniés-la-moy."

De même dans la 21e branche, le soi-disant jongleur breton dit, vs. 12195:

99

Foi que devez le Seint Martir

Et [C'est ?] Seint Tomas de Chantarbir!"

Sur sept manuscrits cinq contiennent une autre leçon: 2) Par la foi que doi Sainct Martin,

Ne Sainct Fraubert, ne Sainct Quentin!

Les textes les moins remaniés ne contiennent pas le nom du martyr, il n'est donc pas sûr que ce soit lui que l'auteur invoque dans la 11 branche.

Mais je crois avoir remarqué plusieurs allusions au règne de Philippe-Auguste.

S'il est vrai que notre poëte a été chassé de sa cure par le roi, il est assez naturel que son ressentiment se fasse jour dans ses œuvres. Et effectivement, dans le grand poëme de Pierre, le roi et surtout ses conseillers, sont dépeints d'une manière peu flatteuse.

Dès la onzième branche le roi est représenté comme hautain, irascible, avide; et l'on ne niera pas que ce portrait ressemble à Philippe-Auguste. Si, dans la trentième branche et ailleurs, Noble est trompé par sa femme; si dans la vingtième il semble faire l'aveu

1) Supplément, p. 309. 2) Supplément, p. 155.

de ses malheurs domestiques, cela peut passer pour une allusion malicieuse aux relations peu affectueuses du roi de France et de la reine Ingeburge, qu'il avait » cuilli en haine en cele jornée meismes que il l'ot cognue"1), et dont il vécut séparé durant seize de 1197 à 1213, » pour quelque cause qui n'a point été expliquée" 2). Toujours est-il qu'» il li soustraoit la debite de la char" 3), en vivant avec sa maîtresse Marie de Meranie. Le nom même de la reine, »dame Fière, l'Orguilleuse", fait penser à la princesse Ingeburge, qui, lorsque le roi l'eut répudiée, refusa d'» estre jointe à autre persone, ne à conchier les aliances de son premier mariage". 4)

Du reste si, dans la 30 branche, Renart épouse la reine du vivant de son mari, et prend le titre d'empereur, un événement qui se passa en Syrie en 1189, peut en avoir fourni l'idée au poëte. Après la mort de Sibylle, reine de Jérusalem, le droit héréditaire devait passer à Elisabeth sa sœur, mariée à Hunfroi de Thoron. Élisabeth étant à Tyr, Conrad, marquis de Monferrat, profita de cette circonstance pour l'enlever à son mari, l'épouser et prendre luimême le titre de roi de Jérusalem 5).

Ailleurs notre poëte n'épargne pas plus le roi. Dans le poëme intitulé » Comment Renart se muça es piaus”, il met dans la bouche de Tybert le portrait satyrique suivant de Philippe-Auguste 6):

1) Les Chroniques de Saint-Denis, p. 379.

2) Sismondi, Histoire des Français, éd. de Bruxelles, tom. IV, p. 176.

3) Les Chroniques de Saint-Denis, p. 400.

4) Ibidem, p. 379.

5) Voyez Sismondi, Histoire des Français, tom. IV, p. 134. 6) Roman du Renart, Supplément, p. 296.

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Mes sires, que bien dire l'os,
Sor toz a le pris et le los
De cortoisie et de largece,
Et de valor et de prouece,
De sens, de debonaireté,
D'amistié et d'umilité :

Nuls n'en a tant, se Diex me gart."

Quant aux conseillers du roi, voici comment ils sont dépeints par Renart dans la 20 branche, VS. 10956:

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Mès puis, sire, que rois s'amort

A croire les mauvais larrons,

Et il lesse les bons barons,
Et gerpist le chief por la qeue,
Lors vet la lerre à male veue:
Qar cil qui sont serf par nature
Ne sevent esgarder mesure.
S'en cort se pueent alever,
Moult se painent d'autrui grever;
Mès chiens familleus en cuisine

N'a cure de beste voisine;

Cil font la povre gent tuer

Et les monnoies remuer;

Cil enortent le mal à fere,

Qui bien en sevent lor prou trere,

Et enborsent autrui avoir."

Or voici ce qui arriva aussitôt que Philippe-Auguste, à l'âge de quatorze ans, fut monté au trône:

>> En un même jour, comme les Juifs de tous ses domaines étaient rassemblés dans leurs synagogues pour célébrer le sabbat, il les fit entourer par ses soldats, entraîner dans ses prisons, et dépouiller de tout l'or et l'argent qu'on trouva sur leurs personnes. Il publia en même temps un édit par lequel il accordait une entière abolition de leurs dettes, à tous les débiteurs des Juifs qui paieraient à son trésor le cinquième de ce qu'ils devaient à leurs créanciers" 1). Qui ne voit que c'est à cette ignoble affaire que le poëte fait allusion? Je ne puis m'empêcher de citer le curieux et naïf passage des Chroniques de Saint-Denis qui a trait à cette persécution des Juifs (p. 352): >> En celui tens habitoient Juis à Paris et par tout le roiaume en trop grande multitude; assemblé i estoient de diverses parties dou monde pour la pais de la terre et pour la liberalité dou païs et de la gent: car il avoient oï parler de la noblece et de la fierté des rois de France encontre leurs anemis, de la pitié et de la miséricorde envers leurs sugiez. Pour ceste raison li plus grant et li plus sage en la loi Moysi estoient en France venu et habitoient à Paris. En la cité demorerent si longuement que il enrichirent, si que il achaterent près de la moitié de la cité... Li borjois et li chevalier et li paisanz des viles voisines estoient en si grant subjection vers iaus par les grant deniers que il leur devoient, que il prenoient leur mobles et leur possessions, et li autres les vendoient pour eus paier, et li auquant tenoient prisons en leur mesons par leur sairemens en ausi grant subjection come chaitif sont en chartre.

1) Sismondi, Histoire des Français, éd. de Bruxelles, tom. IV, p. 87.

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