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confusions, quelles anarchies irrémédiables! On n'a qu'à se souvenir des maux qu'ont faits en occident la chûte si prompte de l'empiré de Charlemagne, et en orient le renversement de celui d'Alexandre, dont les capitaines firent encore plus de maux pour partager ses dépouilles, qu'il n'en avoit fait lui-même en ravageant l'Asie. Voilà donc le systême le plus éblouissant, le plus flatteur et le plus funeste pour ceux mêmes qui viennent à bout de l'exécuter.

Le second systême est d'une puissance supérieure à toutes les autres, qui font contre elle à-peu-près l'équilibre. Cette puissance supérieure a l'avantage contre les autres d'être toute réunie, toute simple, toute absolue dans ses ordres, toute certaine dans ses mesures. Mais, à la longue, si elle ne cesse de réunir contre elle les autres en en excitant la jalousie, il faut qu'elle succombe. Elle s'épuise, elle est exposée à beaucoup d'accidents internes et imprévus; ou les attaques du dehors peuvent la renverser soudainement. De plus, elle s'use pour rien, et fait des efforts ruineux pour une supériorité qui ne lui donne rien d'effectif, et qui l'expose à toutes sortes de déshonneurs et de dangers. De tous les états, c'est certainement le plus mauvais, d'autant plus qu'il ne peut jamais aboutir, dans sa plus étonnante prospérité, qu'à passer dans le premier systême, que nous avons déja reconnu injuste et pernicieux.

Le troisieme systême est d'une puissance inférieure à une autre, mais en sorte que l'inférieure, unie au reste de l'Europe, fait l'équilibre contre la su périeure, et la sûreté de tous les autres moindres états. Ce systême a ses incommodités et ses inconvé→ nients mais il risque moins que le précédent, parcequ'on est sur la défensive, qu'on s'épuise moins, qu'on a des alliés, et que d'ordinaire, dans cet état d'in fériorité, on n'est point dans l'aveuglement et dans la présomption insensée qui menace de ruine ceux qui prévalent. On voit presque toujours qu'avec un peu de temps ceux qui avoient prévalu s'usent et commencent à déchoir. Pourvu que cet état inférieur soit sage, modéré, ferme dans ses alliances, précautionné pour ne leur donner aucun ombrage, et pour ne rien faire que par leur avis pour l'intérêt commun, il occupe cette puissance supérieure jusqu'à ce qu'elle baisse.

Le quatrieme systême est d'une puissance à-peuprès égale à une autre, avec laquelle elle fait l'équilibre pour la sûreté publique. Être dans cet état et n'en vouloir point sortir par ambition, c'est l'état les plus sage et le plus heureux. Vous êtes l'arbitre commun. Tous vos voisins sont vos amis : du moins ceux qui ne le sont pas se rendent par-là suspects à tous les autres. Vous ne faites rien qui ne paroissel

TOME III.

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fait pour vos voisins aussi-bien que pour vos peuples. Vous vous fortifiez tous les jours; et si vous parvenez, comme cela est presque infaillible à la longue par un sage gouvernement, à avoir plus de forces intérieures et plus d'alliances au-dehors que la puissance jalouse de la vôtre, alors il faut s'affermir de plus en plus dans cette sage modération qui vous borne à entretenir l'équilibre et la sûreté commune. Il faut toujours se souvenir des maux que coûtent audedans et au-dehors de son état les grandes conquêtes; du risque qu'il y a à les entreprendre; qu'elles sont sans fruit; et enfin de la vanité, de l'inutilité, du peu de durée des grands empires, et des ravages qu'ils

causent en tombant.

Mais, comme il n'est pas permis d'espérer qu'une puissance supérieure à toutes les autres demeure long-temps sans abuser de cette supériorité, un prince bien sage et bien juste ne doit jamais souhaiter de laisser à ses successeurs, qui seront, selon toutes les apparences, moins modérés que lui, cette continuelle et violente tentation d'une supériorité trop déclarée. Pour le bien même de ses successeurs et de ses peuples, il doit se borner à une espece d'égalité. Il est vrai qu'il y a deux sortes de supériorités. L'une extérieure, qui consiste en étendue de terres, en places fortifiées, en passages pour entrer dans les terres de

ses voisins, etc. celle-là ne fait que causer des ten tations aussi funestes à soi-même qu'à ses voisins, qu'exciter la haine, la jalousie et les ligues. L'autre est intérieure et solide : elle consiste dans un peuple plus nombreux, mieux discipliné, plus appliqué à la culture des terres et aux arts nécessaires. Cette supériorité, d'ordinaire, est facile à acquérir, sûre, à l'abri de l'envie et des ligues, plus propre même que les conquêtes et que les places fortes à rendre un peuple invincible. On ne sauroit donc trop cher cher cette seconde supériorité, ni trop éviter la pre miere qui n'a qu'un faux éclat.

AUTRE SUPPLÉMENT,

Contenant diverses maximes de saine politique et de sage administration, tirées tant des autres écrits de M. de Cambrai que de ses simples conversations.

TOUTES les nations de la terre ne sont que les différentes familles d'une même république dont Dieu est le pere commun. La loi naturelle et universelle, selon laquelle il veut que chaque famille soit gouvernée, est de préférer le bien public à l'intérêt par ticulier.

Si les hommes suivoient exactement cette loi na

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turelle, chacun feroit, et par raison. et par amitié;

ce qu'il ne fait à présent que par crainte ou par intérêt. Mais les passions malheureusement nous aveuglent, nous corrompent, et nous empêchent ainsi de connoître et d'aimer cette grande et sage loi. Il a fallu l'expliquer et la faire exécuter par des loix civiles, et par conséquent établir une autorité suprême qui jugeât en dernier ressort, et à laquelle tous les hommes pussent avoir recours comme à la source de l'unité politique et de l'ordre civil; autrement; ily auroit autant de gouvernements arbitraires qu'il y a de têtes.

L'amour du peuple, le bien public, l'intérêt général de la société, est donc la loi immuable et universelle des souverains. Cette loi est antérieure à tout contrat: elle est fondée sur la nature même; elle est la source et la regle sûre de toutes les autres loix. Celui qui gouverne doit être le premier et le plus obéissant à cette loi primitive: il peut tout sur les peuples, mais cette loi doit pouvoir tout sur lui. Le pere commun de la grande famille ne lui a confié ses enfants que pour les rendre heureux : il veut qu'un seul homme serve par sa sagesse à la félicité de tant d'hommes, et non que tant d'hommes servent par leur misere à flatter l'orgueil d'un seul. Ce n'est point pour lui-même que Dieu l'a fait roi, il

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