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CHAPITRE XII.

De la manière dont l'auteur de la Recherche de la Vérité veut que nous

voyions les choses en Dieu. Qu'il a parlé peu exactement, ou beaucoup varié, touchant les choses qu'il prétend que l'on voit en Dieu.

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Nous avons déjà vu que cet auteur n'a pris tant de soin de bien établir la philosophie des êtres représentatifs distingués des perceptions, auxquels il donne le nom d'idées, que pour nous obliger de reconnaître comme une chose très-avantageuse à la religion, qu'il n'y a que Dieu qui puisse faire, à l'égard des esprits, la fonction de cet étre représentatif; et qu'ainsi c'est en Dieu que nous voyons toutes choses.

C'est dans ce dessein qu'il a supposé que ces élres représentatifs ne pouvaient être unis à notre âme, et lui donner moyen de voir les objets de dehors qu'en cinq manières, afin qu'après avoir montré les inconvénients des quatre premières, il ne restàt plus que la dernière qu'il faudrait nécessairement embrasser; et c'est par là aussi qu'il commence le sixième chapitre , page 199, qui a pour titre : Que nous voyons toutes choses en Dieu.

« Nous avons examiné dans les chapitres précédents quatre « différentes manières dont l'esprit peut voir les objets de de« hors, lesquelles ne nous paraissent pas vraisemblables. Il « ne reste plus que la cinquième, qui paraît seule conforme à « la raison, et la plus propre pour faire connaître la dépen« dance que les esprits ont de Dieu dans toutes leurs pen<< sées. »

J'aurais bien des choses à dire sur les preuves qu'il apporte contre les quatre premières de ces cinq manières ; car

; il y en a qui me semblent très-faibles; mais cela serait fort inutile , car il importe peu de savoir s'il a bien ou mal combattu des opinions qui n'ont aucune apparence de vérité.

On peut aussi remarquer qu'étant quelquefois si difficile

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en preuves, qu'il prétend qu'on n'en doit point admettre qui ne forcent par leur évidence à se rendre à ce qu'on propose, il s'est contenté à bien moins dans cette rencontre, quoiqu'il n'y ait rien dans tout son livre , dont il ait parlé avec tant de chaleur et tant de zèle, que de cette nouvelle découverte. Car rien assurément ne ressemble moins à de véritables démonstrations que les raisons qu'il apporte pour établir une opinion si extraordinaire.

Mais je ne pense pas les devoir non plus examiner, parce que l'on sait assez que ce qui n'a aucune apparence de vérité ne peut être appuyé d'aucune bonne raison. Or, je crois qu'il suffit de représenter ce qu'il dit en expliquant de quelle manière nous voyons toutes choses en Dieu, pour reconnaitre qu'il n'y eut jamais rien de plus mal inventé, de plus inintelligible et de plus mal propre à nous faire apercevoir les objets matériels que nous souhaitons de connaître.

Une des premières preuves du peu de solidité de cette nouvelle doctrine, c'est que celui qui nous la propose comme une merveilleuse découverte n'a rien de ferme sur tout cela, et qu'il en parle tantôt d'une façon et tantôt d'une autre.

Les amplifications ne conviennent pas à des discours dogmatiques, où l'on ne doit rien avancer que d'exactement vrai. Pourquoi donc dire dans le titre d'un chapitre : « que « nous voyons toutes choses en Dieu ? » Pourquoi le répéter toujours en ce même chapitre ? Pourquoi conclure les preuves que l'on en a apportées par ces paroles : « Voilà quel«ques raisons qui peuvent faire croire que les esprits aper« çoivent toutes choses par la présence intime de celui qui « comprend tout dans la simplicité de son être ? » Et un peu plus bas : « Il n'y a que Dieu qui nous puisse éclairer en « nous représentant toutes choses, » pour nous venir dire ensuite qu'il s'en faut bien que Dieu, uni à notre âme en qualité d'être représentatif, nous représente toutes choses, puisqu'il ne nous représente ni notre propre âme, ni les åmes des autres hommes, ni les esprits angéliques qui sont

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tous des choses qui devraient, sans comparaison, y être bien plutôt représentées que les choses matérielles, puisqu'ils participent davantage à la perfection de son être, étant créés à sa ressemblance et à son image.

Toutes choses se réduisent donc aux choses matérielles et aux nombres. Et encore pour les choses matérielles il en excepte dans les Éclaircissements toutes celles qui existent, et généralement tous les êtres singuliers, ce qui comprend tous les ouvrages de Dieu; car c'est ce qu'il nous fait entendre lorsqu'il dit, en la page 542 : « Il est, ce me semble, « fort utile de considérer que l'esprit ne connaît les objets « de dehors qu'en deux manières : par lumière et par sen« timent. Il voit les choses par lumière, lorsqu'il en a une « idée claire, et qu'il peut, en consultant cette idée, décou« vrir toutes les propriétés dont elles sont capables. Il voit « les choses par sentiment, lorsqu'il ne trouve point en lui« même d'idée claire de ces choses pour la consulter; qu'il « ne peut ainsi en découvrir clairement les propriétés ; qu'il « ne les connaît que par un sentiment confus, sans lumière « et sans évidence. C'est par la lumière et par une idée « claire que l'esprit voit les essences des choses, les nom« bres et l'étendue. C'est par une idée confuse ou par sen« timent qu'il juge de l'existence des créatures et qu'il con« naît la sienne propre. » On ne peut douter, après cela , qu'il ne prenne pour la même chose voir par lumière et voir par une idée claire; or, il n'y a que les essences des choses, les nombres et l'étendue qu'il dit que nous voyons par lumière et par une idée claire; il n'y a donc que cela que nous voyons en Dieu. Voilà un grand retranchement du mot de toutes choses.

Et afin qu'on ne croie pas qu'il ait seulement apporté les essences des choses, les nombres et l'étendue, pour des exemples des choses que nous voyons par lumière et par une idée claire, mais qu'il n'a pas prétendu qu'il n'y ait que cela seul que nous voyions en cette manière, c'est-à-dire que

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nous voyions en Dieu , il s'explique si clairement en la page suivante, qu'il n'y a pas lieu de douter qu'il ne restreigne à ces trois choses ce que nous voyons en Dieu , ou, ce qui est la même chose , ce que nous connaissons par la lumière ou par idée claire. « De là, dit-il, on peut juger que c'est en « Dieu ou dans une nature immuable que l'on voit tout ce « qu'on connaît par lumière ou idée claire ; » c'est donc à cela qu'il restreint ce que l'on voit en Dieu, « non-seu« lement parce qu'on ne voit par lumière que les nombres, « l'étendue et les essences des êtres, lesquelles ne dépendent « point d'un acte libre de Dieu, ainsi que j'ai dit, mais « encore parce qu'on connaît ces choses d'une manière « très-parfaite. » Or, toutes les créatures que Dieu a faites dépendent d'un acte libre de Dieu; donc, en s'arrêtant à ce qu'il dit en cet endroit-là, qui contient ses dernières pensées sur cette matière, on en doit conclure que nous ne voyons en Dieu aucun des ouvrages de Dieu.

Mais comment accorder cela avec ce qu'il dit dans le chapitre même où il commence à parler à fond de cette matière, et à prouver que nous voyons toutes choses en Dieu. C'est le sixième chapitre de la deuxième partie du troisième livre. « Il est , dit-il, absolument nécessaire que Dieu ait en lui« même les idées de tous les êtres qu'il a créés, puisque au« trement il n'aurait pu les produire...... Il est donc certain « que l'esprit peut voir en Dieu les ouvrages de Dieu, supposé « que Dieu veuille bien lui découvrir ce qu'il y a en Dieu qui « les représente. » Et un peu plus bas : « Nous croyons aussi « que l'on connait en Dieu les choses changeantes et cor« ruptibles, quoique saint Augustin ne parle que des choses « immuables et incorruptibles, parce qu'il n'est pas

nécessaire « pour cela de mettre quelque imperfection en Dieu , puis« qu'il suffit que Dieu nous fasse voir ce qu'il y a dans lui « qui a rapport à ces choses. » C'était donc, en ce temps-là,

les ouvrages de Dieu, les êtres que Dieu a créés, les choses « changeantes et corruptibles , » aussi bien que les immua

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bles et incorruptibles que nous voyions en Dieu. Et maintenant ce n'est plus cela : nous n'y voyons plus que ce qui ne dépend point des actes libres de Dieu, d'où ont dépendu certainement tous les ètres qu'il a créés.

Je ne vois pas même qu'il demeure ferme et constant dans la restriction des choses que l'on voit en Dieu , quand il les réduit aux nombres, à l'étendue et à l'essence des êtres. Car, dans le septième chapitre de la deuxième partie du troisième livre, il dit qu'il y a quatre manières par lesquelles notre esprit connaît les choses : 1. par elles-mêmes; 2. par leurs idées (c'est-à-dire par des êtres représentatifs qui, selon lui, ne se trouvent qu'en Dieu); 3. par conscience ou par sentiment intérieur; 4. par conjecture. Or, il ne met que les corps et les propriétés des corps dans cette deuxième classe des choses qu'il prétend ne se pouvoir connaître qu'en la deuxième manière, c'est-à-dire par leurs idées, ce qui est la même chose que d'être vues en Dieu. Et cela a rapport à beaucoup d'autres endroits de son livre , où il réduit aux choses matérielles ce que nous ne pouvons voir par soi-même, mais seulement par des êtres représentatifs, distingués des perceptions. Il semble donc que, selon cela, il ne devrait pas mettre les nombres abstraits, qui sont l'objet de l'arithmétique et de l'algèbre, entre les choses qui ne peuvent être vues qu'en Dieu , puisque ces sortes de nombres ne sont point des corps ni des propriétés des corps, et qu'ils n'ont rien en eux-mêmes de matériel, pouvant également être appliqués aux choses spirituelles et corporelles.

Et en effet, je ne vois pas pourquoi, selon cet auteur, les nombres abstraits ne pourraient être connus qu'en Dieu; car, selon lui, il n'y a que les choses qui ont besoin d'être vues par des ètres représentatifs qui sont vues en Dieu; et c'est seulement ce qui ne peut être intimement uni à notre âme qui a besoin d'être vu par un être représentatif. Or, les nombres abstraits sont intimement unis à notre âme, puisqu'ils ne sont que dans notre àme; quoique les choses nombrées, pour

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