Immagini della pagina
PDF
ePub
[ocr errors]

parler ainsi, soient hors d'elle : donc les nombres abstraits n'ont pas besoin d'être vus en Dieu.

Je trouve une semblable variation au regard des vérités immuables et éternelles. Il dit en quelques endroits qu'on ne les voit point en Dieu, et en d'autres qu'on les y voit :

« Il déclare (en la page 203) que son sentiment n'est pas « que l'on voie en Dieu ces vérités, et qu'il n'est pas en cela « de l'avis de saint Augustin. Nous ne disons pas, dit-il, que « nous voyons Dieu en voyant les vérités éternelles, comme « dit saint Augustin, mais en voyant les idées de ces vérités; « car les idées sont réelles, mais l'égalité entre ces idées, qui « est la vérité, n'est rien de réel. Quand, par exemple, on a dit que du drap que l'on mesure a trois aunes, le drap et « les aunes sont réels, mais l'égalité entre les aunes et le « drap n'est point un être réel, ce n'est qu'un rapport qui a se trouve entre les trois aunes et le drap. Lorsqu'on dit que « deux fois deux font quatre, les idées des nombres sont « réelles, mais l'égalité qui est entre eux n'est qu'un rap« port. » On ne voit donc point en Dieu les vérités, parce que ce ne sont que des rapports, et qu’un rapport n'est rien de réel.

Mais je ne sais comment cela s'accorde avec ce qu'il dit en la page 193 : « Personne ne peut douter que les idées ne « soient des êtres réels, puisqu'elles ont des propriétés réel« les, et que les unes diffèrent des autres. » Car peut-on nier que les rapports n'aient aussi des propriétés réelles, et que les uns ne different des autres ? N'y en a-t-il point d'égaux et d'inégaux, de plus grands et de plus petits ? Le rapport de trois à quatre n'est-il pas égal au rapport de quinze à vingt? Le rapport de trois à cinq n'est-il pas plus grand que le rapport de quatre à sept; et le rapport de cinq à onze plus petit que le rapport de six à treize ? On ne peut donc pas dire qu'un rapport ne soit rien de réel. Que si on dit que ce n'est pas un étre réel, en prenant le mot d'être pour celui de substance , les nombres abstraits ne sont pas non plus des étres réels ;

[ocr errors]

car trois aunes en tant qu'aunes sont un étre réel; mais le nombre de trois, abstrait de toutes les choses nombrées, pour parler ainsi , n'est point un élre réel, n'étant point hors de notre pensée; et ainsi on ne voit pas que ce soit quelque chose de plus réel qu'un rapport. Pourquoi donc y aurait-il plutôt des idées de nombres que des idées de rapports?

Quoi qu'il en soit, selon ce qu'il dit en cet endroit, on ne voit point en Dieu ni les rapports, ni les vérités, parce que ce ne sont que des rapports. Cependant, il semble dire le contraire dans les Éclaircissements (page 535): « Je vois, « dit-il, que deux fois deux font quatre, qu'il faut préférer « son ami à son chien; et je suis certain qu'il n'y a point « d'homme au monde, qui ne le puisse voir aussi bien que « moi. Or, je ne vois point ces vérités dans l'esprit des au« tres, comme les autres ne le voient point dans le mien : il « est donc nécessaire qu'il y ait une raison universelle qui « m'éclaire, et tout ce qu'il y a d'intelligences. » N'est-ce pas dire que chacun de

nous,

ne voyant pas ces choses dans l'esprit des autres, nous les voyons tous en Dieu? Or, il vient de dire que deux fois deux font quatre n'est qu'un rapport, et la préférence de mon ami à mon chien n'est qu'un rapport aussi. On voit donc les rapports en Dieu, selon ce dernier endroit.

CHAPITRE XIII.

Qu'il a varié aussi dans l'explication des manières dont nous voyons les

choses en Dieu. Que la première était par les idées. Qu'il ne s'en est départi qu'en niant qu'il y ait dans le monde intelligible des idées qui représentent chaque chose en particulier, ce qui ne se peut nier sans

erreur.

Il a encore bien plus varié, en expliquant la manière dont il prétend que nous voyons les choses en Dieu. Après en avoir proposé une, dans le chapitre 6 de la deuxième partie du troi

[ocr errors]

:

sième livre, il s'en rétracte dans les Eclaircissements; et il y prend un tour tout différent, qu'il a cru meilleur, quoiqu'il soit incomparablement plus mauvais et moins propre à nous faire entendre ce qu'il veut que nous croyions de l’union de notre âme avec Dieu, pour voir en lui toutes choses.

On en jugera, en comparant ensemble ces deux endroits : voici le premier, page 200. Après avoir supposé deux choses très-vraies : l'une, « que Dieu a en lui-même les idées de « tous les êtres qu'il a créés; » l'autre, « que Dieu est très« intimement uni à nos âmes par sa présence, » il en conclut, « que l'esprit peut voir en Dieu les ouvrages de Dieu , « supposé que Dieu veuille bien lui découvrir ce qu'il y a en « lui qui les représente. » Remarquez cette condition, elle enferme deux choses : l’une, que Dieu veuille découvrir à l'homme ce qu'il suppose sans fondement lui être nécessaire pour connaitre les ouvrages de Dieu ; l'autre, que ce que Dieu lui doit découvrir pour cela, est ce qui en Dieu représente chacun de ses ouvrages, c'est-à-dire les idées selon lesquelles il les a faits, comme saint Augustin l'enseigne, et saint Thomas après lui. On ne doute pas que si Dieu voulait découvrir à l'homme ses divines idées pendant cette vie, ce ne lui fùt un moyen de connaître les créatures très-parfaitement; mais on nie qu'il n'ait point d'autre moyen de les lui faire connaître; et il y a bien des raisons qui font voir qu'il n'use point de ce moyen pour nous en donner la connaissance, surtout pendant cette vie; car il faudrait pour cela qu'il se fit voir à nous face à face, comme il se fait voir aux bienheureux.

Il a bien prévu cette objection; et voici ce qu'il dit pour la prévenir (page 200):

« Mais il faut bien remarquer qu'on ne peut pas conclure « que les esprits voient l'essence de Dieu, de ce qu'ils voient « toutes choses en Dieu de cette manière; parce que ce qu'ils « voient est très-imparfait, et que Dieu est très-parfait. Ils « voient de la matière divisible, figurée, etc. ; et en Dieu il « n'y a rien qui soit divisible ou figuré; car Dieu est tout

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

« être, parce qu'il est infini et qu'il comprend tout : mais il « n'est aucun être en particulier. Cependant, ce que nous « voyons n'est qu'un ou plusieurs ètres en particulier, et nous « ne comprenons point cette simplicité parfaite de Dieu , qui « renferme tous les êtres. Outre qu'on peut dire qu'on ne voit « pas tant les idées des choses, que les choses mêmes que les « idées représentent; car, lorsqu'on voit un carré, par exem« ple, on ne dit pas que l'on voit l'idée de ce carré qui est « unie à l'esprit, mais seulement le carré qui est au dehors.»

S'il pouvait y avoir quelque vraisemblance dans une opinion mal fondée, c'est tout ce qu'on pourrait dire de mieux, pour ne rien attribuer à Dieu qui soit indigne de lui, supposé qu'il ait voulu se servir de ces étres représentatifs. Mais c'est mal connaître notre esprit , que de s'imaginer qu'une idée, qui serait en Dieu, et que notre esprit ne verrait pas, lui pût servir à connaître ce que cette idée représente. C'est comme qui dirait que le portrait d'un homme, que je ne connaîtrais que de réputation, étant mis si proche ou si loin de mes yeux que je ne le pourrais voir, ne laisserait pas de me pouvoir servir à connaître le visage de cet homme.

C'est peut-être aussi ce qui lui a fait abandonner cette voie pour en prendre une autre qui lui fait éviter cet inconvénient, mais qui le fait tomber en plusieurs infiniment plus grands, comme nous le verrons plus bas.

Mais je me contenterai de considérer ici que, voulant changer sa première manière de voir les choses en Dieu , il l'a fait en niant une chose très-véritable, qu'il avait reconnue auparavant; car il avait assez fait entendre que cette manière consistait en ce que Dieu nous découvrait chacune de ses idées; et c'est de quoi il ne veut plus demeurer d’accord dans ses Éclaircissements, comme il le déclare en ces termes (page-548):

« Lorsque j'ai dit que nous voyons les différents corps, par « la connaissance que nous avons des perfections de Dieu , « qui les représentent, je n'ai pas prétendu précisément qu'il

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

« y eût en Dieu certaines idées particulières, qui représen« tassent chaque corps en particulier : » ce qui a rapport à ce qu'il avait dit auparavant : « Il ne faut pas s'imaginer que le « monde intelligible ait un tel rapport avec le monde maté« riel et sensible, qu'il y ait, par exemple, un soleil, un « cheval, un arbre intelligibles, destinés à nous représenter « le soleil, un cheval et un arbre. »

Et moi je dis, qu'en ôtant le mot de nous (car les idées de Dieu ne sont pas pour nous rien représenter, au moins tant que nous sommes en cette vie, mais c'est à Dieu même, selon notre manière de concevoir, qu'elles représentent ses ouvrages), ôtant donc ce mot de nous, je soutiens que ce n'est pas une imagination, mais une certitude, « que le a monde intelligible a un tel rapport avec le monde matériel « et sensible, qu'il y a, par exemple, un soleil, un cheval, « un arbre intelligibles, qui représentent un soleil, un cheval, « un arbre. » Et il est impossible que cela ne soit pas

ainsi. Car le monde intelligible n'est autre chose que le monde matériel et sensible, en tant qu'il est connu de Dieu, et qu'il est représenté dans ses divines idées. Et par conséquent, il est impossible qu'il n'y ait pas un parfait rapport de l'un à l'autre, et que tout ce qui est matériellement dans le monde matériel ne soit pas intelligiblement dans le monde intelligible. C'est cela même que l'on doit entendre par les idées qu’on admet en Dieu, et qu'on ne peut pas n'y point admettre, dit saint Augustin; puisque, pour les nier, il faudrait croire que Dieu eût créé le monde sans raison et sans connaissance : de sorte que Platon, ajoute ce Saint, a pu être le premier qui a donné le nom d'idée à ce que nous devons concevoir avoir été en Dieu, lorsqu'il a pris le dessein de créer le monde ; mais ce qu'il a entendu par ce mot, a toujours été reconnu par tous ceux qui ont eu une véritable connaissance de Dieu. Or, de cela même que les idées sont en Dieu la forme et l'exemplaire, selon lequel il a créé chacun de ses ouvrages, parce qu'il n'y en a aucun, pour petit qu'il soit, qu'il n'ait créé avec

[ocr errors]
« IndietroContinua »