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je ne pusse savoir que par cette étendue intelligible ? Prenez donc votre parti , ou ne vous moquez point de mon invention, ou ne faites pas plus d'état de celle de cet auteur, d'ailleurs si habile, que de la mienne. La conversation finit de la sorte, et le peintre ne fut pas fâché qu'on lui eût ouvert les yeux sur cet endroit de la Recherche de la Vérité, qu'il avait lu autrefois avec respect , et qu'il n'avait osé approfondir, le croyant trop mystérieux et trop haut pour lui.

Voilà mon histoire ou ma parabole. Je n'ai rien à y ajouter, sinon que je trouve un endroit dans ce même auteur sur cette même matière des idées , qu'il ne faut qu'appliquer à ce qu'il dit de cette étendue intelligible , pour confirmer ce que nous venons de dire, qu'elle ne nous peut faire connaître que ce que l'on supposerait que nous connaîtrions déjà.

C'est dans le chapitre 3 de la deuxième partie du troisième livre, où il combat l'opinion de ceux qui disent que l'âme a la puissance de produire ses idées : « Quand on accorderait, u dit-il, à l'esprit de l'homme une puissance souveraine pour a anéantir et pour créer les idées des choses, avec tout cela « « il ne s'en servirait jamais pour les produire. »

J'en dis de même de ce qu'il fait faire à l'esprit, pour trouver les idées des choses dans son étendue intelligible. Quand notre esprit pourrait borner, comme il lui plairait, cette étendue intelligible', il n'y pourrait trouver l'idée d'aucune figure qu'il ne connaîtrait pas encore, et qu'il voudrait connaître. Et les raisons qu'il apporte pour prouver sa proposition seront encore plus fortes pour prouver la mienne.

« Car, de même, dit-il, qu'un peintre, quelque habile qu'il « soit dans son art, ne peut pas représenter un animal qu'il « n'aura jamais vu, et duquel il n'aura aucune idée, de sorte a que le tableau qu'on l'obligerait d'en faire ne peut pas être « semblable à cet animal inconnu; ainsi un homme ne peut « pas former l'idée d'un objet, s'il ne le connait auparavant, « c'est-à-dire s'il n'en a déjà l'idée, laquelle ne dépend point « de sa volonté. Que s'il en a déjà une idée, il connaît cet

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« objet; et il lui est inutile d'en former une nouvelle. Il est « donc inutile d'attribuer à l'esprit de l'homme la puissance « de produire ses idées. »

Il est donc inutile aussi d'attribuer à l'esprit de l'homme la puissance de borner l'étendue intelligible infinie, pour y trouver l'idée d'une figure qu'il a besoin de connaître; car, de même qu'un peintre, quelque habile qu'il soit en son art, ne peut pas représenter un animal qu'il n'aura jamais vu , et dont il n'aura aucune idée, de sorte que le tableau qu'on l'obligera d'en faire ne peut pas être semblable à cet animal inconnu: ainsi un homme ne peut pas borner l'étendue intelligible en la manière qu'il faudrait qu'elle fût pour être l'idée de cette figure qu'il a besoin de connaître, telle que serait la figure d’un verre qui doit grossir les objets, s'il ne connaît auparavant cette figure, c'est-à-dire s'il n'en a déjà l'idée. Et s'il en a déjà une idée, il connaît cet objet, et il lui est inutile d'en former une nouvelle dans cette étendue intelligible infinie.

Il se fait sur cela une objection; et la solution qu'il lui donne sera la même qu'on lui donnera, s'il en fait une semblable : « On pourrait peut-être dire que l'esprit a des idées « générales et confuses, qu'il ne produit pas, et que celles « qu'il produit sont particulières, plus nettes et plus distinc«« tes; mais c'est toujours la même chose; car, de même qu'un « peintre ne peut pas tirer le portrait d'un homme particu« lier, de sorte qu'il soit assuré d'y avoir réussi , s'il n'en a « une idée distincte, et même si la personne n'est présente; « ainsi l'esprit, qui' n'aura, par exemple, que l'idée de l’ètre « ou de l'animal en général, ne pourra pas se représenter « un cheval, ni en former une idée bien distincte, et être « assuré qu'elle est parfaitement semblable à un cheval, s'il « n'a déjà une première idée avec laquelle il confère cette « seconde. Or, s'il en a une première, il est inutile d'en for« mer une seconde, et la question regarde cette première; « donc, etc. »

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On voit sans peine qu'on lui peut dire la même chose; car, de même qu’un peintre, etc. Ainsi l'esprit, qui n'aura que l'idée d'une figure en général, ne pourra borner l'étendue intelligible de la manière qu'il serait nécessaire pour y trouver l'idée de la figure d’un verre propre à grossir les objets , et ètre assuré que cette idée est parfaitement semblable à celle qu'il cherche, s'il n'a déjà une première idée de cette figure avec laquelle il confère cette seconde. Or, s'il en a une première, il lui est inutile d'en chercher une seconde dans l'étendue intelligible.

Je serai fort surpris, Monsieur, si on me peut montrer que ce qu'il dit est concluant contre ceux qu'il combat, et que je dis à son exemple ne le soit pas encore plus contre luimême.

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que ce

CHAPITRE XVI.

Que ce que cet auteur fait faire à notre esprit pour trouver ses idées

dans son étendue intelligible infinie, est contraire à l'expérience et aux lois générales que Dieu s'est prescrites à lui-même pour nous donner la connaissance de ses ouvrages.

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Après avoir fait voir, dans le chapitre 14, que cette étendue intelligible infinie, en la manière que cet auteur la représente, est tout à fait inintelligible, et n'est qu'un amas de contradictions; et après avoir montré, dans le chapitre 15, que, quand on la supposerait telle qu'il veut qu'elle soit, il serait impossible que notre esprit y pût trouver les idées des choses qu'il ne connaîtrait pas, et qu'il aurait besoin de connaître : il ne me reste plus, pour un entier renversement de cette nouvelle philosophie des idées, qu'à montrer que, quand ce qu'il fait faire à notre esprit, pour lui faire trouver ses idées dans cette élendue intelligible infinie, pourrait lui servir à les y trouver (ce qui ne peut être, comme nous venons de le faire voir), on n'en devrait pas moins rejeter, comme des chimères,

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tout ce qu'il dit sur cela , parce qu'il est manifestement contraire à ce que nous savons certainement se passer dans notre esprit, qui est la plus certaine des expériences, et aux lois gé. nérales

que Dieu s'est prescrites à lui-même, pour nous donner la connaissance de ses ouvrages.

Il n'est besoin , pour le reconnaître, que de faire deux réflexions. La première est que cet auteur n'a pas entrepris d'expliquer comment notre esprit pourrait voir les corps dans quelque cas extraordinaire, comme serait la supposition fantastique que Dieu n'en eût point créé, et qu'ils fussent seulement possibles ; mais que son dessein est d'expliquer la manière générale et ordinaire dont notre esprit voit effectivement les corps que Dieu a créés, et sans laquelle il lui serait impossible de les voir. Or, quand on a un dessein tel que celui-là, il ne suffit pas de dire des choses purement possibles, et se piquer de subtilité en inventant des systèmes imaginaires : il faut surtout prendre garde de ne rien supposer de contraire à ce qui est certainement; puisque rien n'est plus capable de faire rejeter ces ingénieuses méditations, que quand on peut dire : Vous vous tourmentez en vain pour m'apprendre comment je fais une telle chose; puisque je suis assuré, par une expérience que je ne puis démentir, que je ne la fais pas, mais que je fais tout le con. traire.

La deuxième réflexion est que, quand il s'agit, non de quelque effet extraordinaire et sans suite, mais d'un effet commun, naturel, ordinaire, et qui est une suite de ce que Dieu a voulu qui arrivât dans le monde, selon les lois qu'il y a établies, il ne faut pas s'imaginer qu'il suffise d'avoir bien prouvé, à ce que l'on croit, que Dieu en est l'auteur, pour prétendre qu'il dépend tellement de sa volonté, qu'il n'y ait qu'à supposer qu'il fait cela à propos de rien, et parce seulement qu'il le veut, sans qu'on ait besoin d'en rechercher d'autre raison. L'auteur do la Recherche de la Vérité n'a garde de contredire cela ; puisque c'est sa grande maxime,

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qu'il pousse quelquefois plus loin qu'il ne faut, mais qui est incontestable, quand Dieu agit selon le cours ordinaire des choses de la nature. Or, il n'est point ici question de ce que Dieu fait dans les illuminations extraordinaires et surnaturelles de la grâce, mais de ce qu'il fait au regard de nos plus ordinaires et plus naturelles perceptions des objets les plus

communs.

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Ces perceptions sont de deux sortes, selon cet auteur, liv. Jer, chapitre 1. Les premières nous représentent quelque chose hors de nous, comme un carré, une maison, etc. Les secondes ne nous représentent que ce qui se passe dans nous comme nos sensations de la lumière, des couleurs, des sons. Je commencerai par les dernières.

Il veut que Dieu en soit l'auteur : on en demeure d'accord ; mais il faut de son côté qu'il avoue, comme il fait aussi, que Dieu ne les cause pas dans notre âme à propos de rien; mais qu'il ne le fait que par un ordre très-réglé, selon les desseins qu'il a eus en joignant notre âme à un corps; car, pour me restreindre à la lumière et aux couleurs, il enseigne luimême, après M. Descartes', « que les sentiments de la lu« mière et des couleurs ne nous sont nécessaires que pour « connaître plus distinctement les objets : et que c'est pour « cela que nos sens nous portent à les attribuer seulement « aux objets. » D'où il conclut, « que ces jugements, aux« quels les impressions de nos sens nous portent, sont très« justes si on les considère par rapport à la conservation de « nos corps. »

Il ajoute, dans le chapitre d'après, « que la raison pour « laquelle toutes les sensations ne peuvent pas bien s'expli« quer par des paroles, comme toutes les autres choses, c'est « qu'il dépend de la volonté des hommes d'en attacher les « idées à tels noms qu'il leur plaît; mais que ces mêmes « hommes n'attachent pas comme il leur plait leurs sensa

· Liv. I, chap. 12.

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