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j'avais, pour justifier la sagesse et la bonté de Dieu dans la construction de son ouvrage, étaient appuyés sur des idées qui ne sont pas assez communes ; je gardais mes sentiments pour moi et pour quelques amis convaincus des mêmes principes ; et principalement pour faire taire certains philosophes qui outrent la métaphysique, et qui rejettent sur la volonté absolue de Dieu tous les déréglements qui se trouvent non-seulement dans la nature, mais dans leur propre conduite.

VII. Cependant, comme il est difficile de retenir long. temps la vérité captive et de régler toujours ses paroles selon ses desseins, une dispute que j'eus comme par hasard avec une personne extrêmement remplie des sentiments de Jansénius, et tout à fait prévenue en sa faveur, trahit heureusement le désir que j'avais de conserver la paix, comme aux dépens de la vérité, et fut la cause de quelques mouvements qui m'ont donné bien de l'exercice, quelques mesures que j'aie prises pour conserver mon repos, sans abandonner ce que je dois à la vérité connue.

VIII. Car cette personne et quelques autres, après plusieurs éclaircissements, ayant enfin reconnu la solidité de mes principes, et la fausseté des sentiments qu'ils s'imaginaient auparavant être conformes à ceux de saint Augustin , dont l'Église a toujours approuvé la doctrine contre les ennemis de la grâce de Jésus Christ, eurent la générosité de déclarer que j'étais la cause de leur changement; générosité certainement extraordinaire : car rien n'est plus généreux que l'humilité chrétienne par laquelle non-seulement on reconnaît de bonne foi ses erreurs, mais encore qu'on doit ses meilleurs sentiments à une personne

éclairée que je le suis. Lorsqu'on est désabusé par des personnes dont le mérite et la science sont connus, on le dit sans peine, car l'amour-propre y trouve son compte. Mais on a honte de devoir quelque chose qu'on estime à une personne pour laquelle il semble que bien des gens n'aient que du mépris.

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IX. Lorsqu'on est frappé par l'évidence de la vérité , on s'imagine facilement que tous les autres en seront frappés de la même manière, et certainement cela devrait être. Ainsi ces personnes qui étaient tout nouvellement convaincues de mes sentiments, ne cessaient point de me presser que je misse sur le papier mes pensées, prétendant qu'elles feraient sur bien des gens le même effet. qu'elles avaient fait sur leur esprit, quelque prévenus qu'ils fussent des sentiments contraires. Mais pour moi , faisant peut-être d'abord plus de réflexion qu'eux sur la disposition où je voyais les esprits, je ne croyais pas que le temps de parler fût encore venu. L'aversion naturelle que j'ai pour les contestations, la crainte d'exciter les passions des hommes, source féconde de maux et présents et futurs, et sur le tout un chagrin mortel qui me désole lorsqu'il faut monter sur le théâtre et parler au monde, me fit quelquefois mettre en colère contre leurs sollicitations importunes. Néanmoins, après environ un an de refus et de combats, fatigué par leurs raisons, et, je vous l'avoue, Monsieur, pressé par les mouvements de ma conscience, je me mis à composer les trois discours qui font tout le Traité de la Nature et de la Grâce , que l'équité voudrait qu'on ne regardåt encore que comme un essai , ainsi que j'en ai averti dans l’Avis au lecteur. Je fis ces trois discours dans le dessein de n’en point permettre l'impression, et j'évitai avec un soin particulier tout ce qui pouvait blesser les personnes les plus chagrines et les plus délicates.

X. En effet , Monsieur, si vous y prenez garde, bien loin d'offenser personne dans ce Traité, j'y parle comme si on n'avait jamais disputé sur les matières de la grâce. J'y parle comme si j'écrivais pour les hommes du nouveau monde : et quoique j'y aie inséré bien des choses pour contenter ceux qui ne sont point de mon sentiment, je défie qu'on me montre que j'y attaque ni directement, ni indirectement ceux qui ont troublé la paix de l'Église par leurs contestations indis

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crètes. Je défie qu'on me montre dans ce Traité un seul mot qui marque de l'aigreur ou du mépris pour personne, quoique, dans le temps que je le composais, j'eusse déjà assez de sujet de mécontentement contre ceux qui dans la suite s'en sont si étrangement formalisés.

XI. Vous savez, Monsieur, que quelque temps après qu'il fut composé, je vous en envoyai une copie, afin que vous la fissiez tenir à M. Arnauld; et que je vous priai en même temps de lui écrire, que s'il voulait se donner la peine de le lire et d'en dire son avis, j'exigeais de lui cette condition, qu'il n'en jugeât qu'après l'avoir examiné de telle manière qu'il fût assuré qu'il l'entendait parfaitement. Car je savais bien ce que fait sur l'esprit une prévention de cinquante années, la considération où il est dans un parti qui l'a toujours regardé comme le généreux défenseur des sentiments contraires aux miens, et tant d'autres qualités qui ne donnent que du mépris pour tout ce qui peut venir d'une personne qui me ressemble. Il voulut bien accepter cette condition. Néanmoins, si vous vous souvenez de ses lettres, il fut six ou sept mois sans en rien lire, quoique vous eussiez la bonté de l’en solliciter de ma part. Enfin, au lieu de vous écrire, ou à moi, comme il aurait bien pu le faire, et observer la condition qu'il avait acceptée et sur laquelle il avait pris sujet de différer si longtemps, il écrivit à Paris : « qu'il avait été obligé de parcourir le Traité avec beaucoup de précipitation, et que les conséquences lui en paraissaient terribles. » Je ne doutais nullement pour les raisons que je viens de vous dire, et pour plusieurs autres, que s'il n'observait point la seule condition que j'avais exigée, il en jugerait comme il avait fait; et je n'avais même guère d'espérance qu'il en jugeat autrement, quand il l’aurait observée.

XII. Le prétexte que prit M. Arnauld pour « parcourir le Traité avec beaucoup de précipitation, » c'est, dit-il, « qu'il savait de bonne part qu'on songeait à l'impression. »

Cela est vrai, Monsieur, et en voici la raison. Que M. Ar

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nauld ait ou n'ait point jugé du Traité avant la lettre qu'il écrivit, à cause de l'impression qu'on en voulait faire, je n'en puis rien assurer. Je sais néanmoins de personnes dignes de foi , qu'il en avait parlé avec le dernier mépris, et j'ai quelque peine à croire tout ce qu'on m'en a dit. Mais si M. Arnauld n'en parlait point où il est, on n'en parlait que trop à Paris. Car on me rapporta alors tant d'impertinences que ses amis m'attribuaient, et on me sollicita de telle manière que j'en permisse l'impression, afin que chacun pùt se désabuser des bruits qu'on faisait courir, qu'enfin j'écrivis, car j'étais pour lors à la campagne depuis quelque temps, qu'on fit ce qu'on jugerait à propos. Je croyais devoir cela à la vérité et à la justice que chacun se doit à soi-même.

XIII. Mais, Monsieur, pour lire le Traité avec attention, il ne faut pas assurément six heures : et pour le comprendre parfaitement, certainement il ne faut pas six jours à une personne qui a autant d'étendue et de pénétration d'esprit que M. Arnauld. Cependant il oublie sa promesse ; il le par

; court avec précipitation ; il en juge; et enfin il en écrit, non à vous, Monsieur, ou à moi, mais à un ami , qui pouvait dire à ses amis ce que je voulais qu'il n'y eût que vous et moi qui sussions. Mais de plus, quoique je ne puisse dire précisément combien de temps il s'est passé depuis la lettre de M. Arnauld jusqu'à ce que le Traité fût imprimé, je pense que du moins il s'est écoulé trois mois, temps assez considérable pour

examiner un livret, dont les principes sont, ce me semble, assez simples et faciles à concevoir pour ceux qui ont autant d'avances qu'en a M. Arnauld. Mais enfin, il maintenant plus de quatre ans qu'il demeure dans le silence par rapport à vous et à moi touchant ce petit ouvrage.

Il n'est pas nécessaire, Monsieur, que je vous fasse penser, ni ceux qui liront ceci, à la conduite du monde la plus irrégulière que les amis de M. Arnauld ont tenue à mon égard touchant le Traité de la Nature et de la Grâce; cela n'a point directement de rapport à mon sujet. Bien loin de pren

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dre plaisir à réveiller certaines idées, je voudrais plutôt les ensevelir dans un éternel oubli. Plùt à Dieu que moi-même j'en pusse perdre entièrement le souvenir ! Mais j'ai cru devoir vous représenter en peu de mots tout ce qui s'est passé entre M. Arnauld et moi, par rapport au Traité qui le rend d'une humeur fâcheuse, afin que vous reconnaissiez que je n'ai point manqué en cela à aucun des devoirs de l'estime et de l'amitié, et que chacun tâche de découvrir quel peut être le principe de son chagrin et de sa grande délicatesse.

CHAPITRE II. — M. Arnauld n'a pas dù sous un faux prétexte prendre

le change ni le donner aux autres, examinant du livre de la Recherche de la Vérité ce qu'il y a de plus abstrait et ce qui n'a nul rapport au Traité de la Nature et de la Grâce, pour prévenir contre moi le grand nombre de ceux qui aimeront mieux le croire sur sa paroie que de se fatiguer sur un procés de métaphysique.

I. Quoique ce soit uniquement le Traité de la Nature et de la Grâce qui ait mis M. Arnauld de mauvaise humeur, qu'il y ait plus de quatre ans qu'il en a marqué son chagrin, et qu'il ait même engagé sa parole, non-seulement dans le livre auquel je réponds présentement, mais encore dans des lettres à ses amis, qu'il le combattrait par un écrit public : cependant ce n'est point cela aujourd'hui. Il a cherché le sentiment le plus métaphysique et le plus abstrait qui soit dans la Recherche de la Vérité, et qui certainement, au sens qu'il le combat, n'a nul rapport au Traité de la Nature et de la Gráce, ainsi que je ferai voir dans ce chapitre. Et cela apparemment pour amuser le tapis, et faire croire cependant à ceux qui sont prévenus en sa faveur, qui pour la plupart ne se donneront pas la peine d'examiner dans le fond qui aura raison, que je suis un visionnaire qui me perds « dans ma nouvelle philosophie des idées, » et qui au lieu de « chercher l'intelligence des mystères de la grâce dans la lumière des saints, la cherche dans mes propres pensées. » Mais voici le prétexte dont il se sert pour prendre le change, ou pour le donner aux autres.

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