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time pour la personne que je réfute. Je trouve seulement en ceci un grand exemple de l'infirmité humaine, qui fait que des esprits, fort éclairés d'ailleurs et fort pénétrants, peuvent tomber en de fort grandes erreurs en philosophant sur ces matières abstraites, sitôt qu'ils se sont laissés aller par mégarde à suivre comme vrai un principe commun qu'ils n'ont pas pris assez de soin d'examiner, qui se trouve n'être pas vrai; car la fausseté est féconde aussi bien que la vérité : un faux principe qu'on aura admis pour vrai, faute d'y avoir pris garde d'assez près, n'étant pas moins capable de nous engager en des opinions très-absurdes qu'un seul principe véritable et important est capable de nous découvrir beaucoup d'autres vérités.

CHAPITRE IV.

Que ce que l'auteur de la Recherche de la Vérité dit de la nature des

idées, dans son troisième livre, n'est fondé que sur des imaginations qui nous sont restées des préjugés de l'enfance.

Comme tous les hommes ont été d'abord enfants, et qu'alors ils n'étaient presque occupés que de leur corps et de ce qui frappait leurs sens, ils ont été longtemps sans connaître d'autre vue que la vue corporelle, qu'ils attribuaient à leurs yeux; et ils n'ont pu s'empêcher de remarquer deux choses dans cette vue: l’une, qu'il fallait que l'objet fût devant nos yeux afin que nous le pussions voir, ce qu'ils ont appelé présence; et c'est ce qui leur a fait regarder cette présence de l'objet comme une condition nécessaire pour voir; l'autre , qu'on voyait aussi quelquefois les choses visibles dans les miroirs ou dans l'eau , ou d'autres choses qui nous le représentaient; et alors ils ont cru, quoique par erreur, que ce n'était pas les corps mêmes que l'on voyait, mais leurs images. Voilà la seule idée qu'ils ont eue longtemps de ce qu'ils ont ap

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pelé voir, d'où il est arrivé qu'ils se sont accoutumés, par une longue habitude, à joindre à l'idée de ce mot l'une ou l'autre de ces deux circonstances : de la présence de l'objet dans la vue directe, ou de voir seulement l'objet par son image, dans la vue réfléchie par des miroirs. Or, on sait assez la peine qu'on a de séparer les idées qui ont accoutumé de se trouver ensemble dans notre esprit, et que c'est une des causes les plus ordinaires de nos erreurs.

Mais les hommes, avec le temps, se sont aperçus qu'ils connaissaient diverses choses qu'ils ne pouvaient voir par leurs yeux, ou parce qu'elles étaient trop petites, ou parce qu'elles n'étaient pas visibles comme l’air, ou parce qu'elles étaient trop éloignées, comme les villes des pays étrangers où nous n'avons jamais été. C'est ce qui les a obligés de croire qu'il y avait des choses que nous voyions par l'esprit, et non par les yeux. Ils eussent mieux fait s'ils eussent conclu qu'ils ne voyaient rien par les yeux, mais tout par l’esprit, quoiqu'en différentes manières ; mais il leur a fallu bien du temps pour en venir jusque-là. Quoi qu'il en soit, s'étant imaginé que la vue de l'esprit était à peu près semblable à celle qu'ils avaient attribuée aux yeux,

ils n'ont pas manqué, comme c'est l'ordinaire, de transférer ce mot à l'esprit, avec les mêmes conditions qu'ils s'étaient imaginé qui l'accompagnaient quand ils l'appliquaient aux yeux.

La première était la présence de l'objet; car ils n'ont point douté, et ils ont pris pour un principe certain, aussi bien au regard de l'esprit que des yeux, qu'il fallait qu'un objet fût présent pour être vu. Mais quand les philosophes, c'est-à-dire ceux qui croyaient connaître mieux la nature que le vulgaire, et qui n'avaient pas laissé de se laisser prévenir par ce principe sans l'avoir jamais bien examiné, ont voulu s'en servir pour expliquer la vue de l'esprit, ils se sont trouvés bien empêchés ; car quelques-uns avaient reconnu que l'âme était immatérielle, et les autres, qui la croyaient corporelle, la regardaient comme une matière subtile en

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fermée dans le corps , dont elle ne pouvait pas sortir pour aller trouver les objets de dehors, ni les objets de dehors s'aller joindre à elle. Comment donc les pourra-t-elle voir, puisqu’un objet ne peut être vu s'il n'est présent? Pour sortir de cette difficulté, ils ont eu recours à l'autre manière de voir, qu'ils avaient aussi accoutumé d'appliquer à ce mot au regard de la vue corporelle, qui est de voir les choses non par elles-mèmes, mais par leurs images, comme quand on voit des corps dans des miroirs; car, comme j'ai déjà dit, ils croyaient, et presque tout le monde le croit encore , que ce n'est pas alors les corps que l'on voit, mais seulement leurs images. Ils s'en sont tenus là , et ce préjugé a eu tant de force sur leur esprit qu'ils n'ont pas cru qu'il y eût seulement le moindre sujet de douter que cela ne fût ainsi; de sorte que, le supposant comme une vérité certaine et incontestable, ils ne se sont plus mis en peine que de chercher quelles pouvaient être ces images ou ces étres représentatifs des corps, dont l'esprit avait besoin pour apercevoir les corps.

Une autre chose, qui revient néanmoins à ce que nous venons de dire et n'en est guère différente, a encore fortifié ce préjugé: c'est que nous avons une pente naturelle à vouloir connaitre les choses par des exemples et des comparaisons, parce que, si on y prend garde, on reconnaîtra que l'on a toujours de la peine à croire ce qui est singulier, et dont on ne peut donner d'exemple. Lors donc que les hommes ont commencé à s'apercevoir que nous voyions les choses par l'esprit, au lieu de se consulter eux-mêmes et de prendre garde à ce qu'ils voyaient clairement se passer dans leur esprit quand ils connaissaient les choses, ils se sont imaginé qu'ils l'entendraient mieux par quelque comparaison; et parce que, depuis la plaie du péché, l'amour que nous avons pour le corps nous y applique davantage, ce qui nous fait croire que nous connaissons beaucoup mieux et plus facilement les choses corporelles que les spirituelles ; c'est dans

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les corps qu'ils ont cru devoir chercher quelque comparaison propre à leur faire comprendre comment nous voyons par l'esprit tout ce que nous concevons, et principalement les choses matérielles; et ils n'ont pas pris garde que ce n'était pas le moyen d'éclaircir, mais plutôt d'obscurcir ce qui leur eût été très-clair , s'ils se fus ent contentés de le considérer en eux-mêmes; car l'esprit et le corps étant deux natures tout à fait distinctes et comme opposées, et dont par conséquent les propriétés ne doivent rien avoir de commun, on ne peut que se brouiller en voulant expliquer l'une par l'autre; et c'est aussi une des sources les plus générales de nos erreurs de ce qu'en mille rencontres nous appliquons au corps les propriétés de l'esprit, et à l'esprit les propriétés

du corps.

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Quoi qu'il en soit, ils n'ont pas été assez éclairés pour éviter cet écueil : ils ont voulu à toute force avoir une comparaison prise du corps, pour mieux faire entendre (à ce qu'ils croyaient) et à eux-mêmes et aux autres, comment notre esprit pouvait voir les choses matérielles ; car c'est ce qu'ils trouvaient et ce qu'on trouve encore de plus difficile à comprendre; et ils n'ont pas eu de peine à la trouver. Elle s'est offerte comme d'elle-même, par cette autre prévention qu'il doit y avoir au moins beaucoup de ressemblance entre les choses qui ont un même nom. Or, ils avaient donné, comme j'ai déjà remarqué, le même nom à la vue corporelle et à la vue spirituelle, et c'est ce qui les a fait raisonner ainsi : Il faut qu'il se passe quelque chose d'à peu près semblable dans la vue de l'esprit que dans la vue du corps; or, dans cette dernière, nous ne pouvons voir que ce qui est présent, c'est-à-dire ce qui est devant nos yeux; ou si nous voyons quelquefois les choses qui ne sont pas devant nos yeux, ce n'est que par des images qui nous les représentent; il faut donc que c'en soit de même dans la vue de l'esprit. Il ne leur en a pas fallu davantage pour se faire un principe certain de cette maxime : que nous ne voyons par notre esprit

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que les objets qui sont présents à notre âme; ce qu'ils n'ont pas entendu d'une présence objective, selon laquelle une chose n'est objectivement dans notre esprit que parce que notre esprit la connaît; de sorte que ce n'est qu'exprimer la même chose diversement que de dire qu'une chose est objectivement dans notre esprit (et par conséquent lui est présente) et qu'elle est connue de notre esprit. Ce n'est pas ainsi qu'ils ont pris ce mot de présence ; mais ils l'ont entendu d'une présence préalable à la perception de l'objet, et qu'ils ont jugée nécessaire afin qu'il fût en état de pouvoir être aperçu, comme ils avaient trouvé, à ce qu'il leur semblait, que cela était nécessaire dans la vue. Et de là ils ont passé bien vite dans l'autre principe : que tous les corps que notre âme connaît ne pouvant pas lui être présents par eux-mêmes, il fallait qu'ils lui fussent présents par des images qui les représentassent. Et les philosophes se sont encore plus fortifiés que le peuple dans cette opinion , parce qu'ils avaient la même pensée au regard de la vue corporelle, s'étant imaginé que nos yeux mêmes n'aperçoivent leurs objets que par des images qu'ils ont appelées des espèces intentionnelles, dont ils croyaient avoir une preuve convaincante par ce qui arrive dans une chambre lorsque, l'ayant toute fermée, à la réserve d'un seul trou, et ayant mis au devant de ce trou un verre en forme de lentille, on étend derrière à certaine distance un linge blanc, sur qui la lumière qui vient de dehors forme ces images qui représentent parfaitement, à ceux qui sont dans la chambre, les objets de dehors qui sont visà-vis.

Ils ont donc reçu encore cet autre principe comme incontestable : que l'âme ne voit les corps que par des images ou espèces qui les représentent. Et ils ont tiré de la différentes conclusions, selon leur différente manière de philosopher, et quelques-uns de fort méchantes ; car voici comme raisonnne M. Gassendi, ou plutôt ceux dont il propose les pensées comme des objections auxquelles il souhaitait que M. Des

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