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cette phrase : « Un homme ne tire sa valeur que de son intelligence et « de son caractère, et ce qui constitue le caractère et l'intelligence, ce << sont les sentiments et les idées. Or il faut, selon nous, ranger dans « la catégorie des sentiments ces penchants primitifs, ces dispositions originelles, ces aptitudes, ces goûts que nous apportons avec nous« mêmes, ces impulsions qui en sont inséparables, et qui forment en « quelque sorte comme autant de volontés, comme autant d'habitudes «toutes faites, antérieures à tout, indépendantes de toutes vues de « l'esprit, lesquelles non-seulement nous engagent dans nos premières « déterminations, mais exercent encore sur toute la suite de nos actions << une influence irrésistible et caractéristique. Ce sont ces puissances in«térieures qui font éclore plus tard les talents et les qualités morales; «< ce sont ces instincts si divers, et quelquefois si opposés, qui préparent « à la société humaine, d'une part, tant d'appuis, d'ornements et de « charmes, et, de l'autre, tant de chocs et de perturbations malheu« reuses; d'où l'on voit que, réduit par les philosophes à un petit nombre « d'instincts très-limités, l'homme serait, au contraire, celui de tous les « êtres créés pour qui la nature a été le plus libérale, et que c'est à « la richesse, ou, si l'on veut, à la multiplicité si variée de ses ins«<tincts qu'il devrait, tout ensemble, et sa supériorité et ses infor<< tunes 1. >>

Tout le monde sent ici la confusion qui naît du mot instinct, et la méprise de l'écrivain touchant le reproche qu'il fait aux philosophes. Lorsque les philosophes disent que l'homme n'a qu'un petit nombre d'instincts, ils n'entendent pas dire que l'homme n'a qu'un petit nombre de sentiments.

<< Tout sentiment est instinct, » dit Voltaire. A la bonne heure; mais alors il y a deux choses très-distinctes, qu'on nomme instincts : les instincts-sentiments et les instincts-industries.

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Lorsque Frédéric Cuvier dit : «Si nous considérons les actions ins«<tinctives, nous trouvons qu'elles vont en augmentant de nombre et <«< d'importance, à mesure que les animaux, sous le rapport de l'organi<«<sation, s'éloignent davantage de l'espèce humaine 2; » lorsque Georges Cuvier dit : «L'instinct a été accordé aux animaux comme supplément << de l'intelligence3, » ils parlent des instincts mécaniques, des instinctsindustries et non des instincts-sentiments, des instincts moraux.

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Pariset continue : « C'est principalement dans les idiots que se mani

Comptes rendus des séances de l'Académie des sciences, t. XVII, p. 1296. Dictionnaire des sciences naturelles, art. Instinct, t. I, p. 46 (2o édition).

532. P.

Le règne animal,

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<< festent les dispositions primordiales qui font le caractère proprement «dit. Là elles ne sont point masquées par les suggestions de l'esprit. «La nullité de l'intelligence les met dans tout leur relief; et, pour peu ་ que l'on se familiarise avec les idiots, on ne tarde point à découvrir <«< que, si l'un est doux, modeste, simple, docile, naïf, généreux, ouvert, «<l'autre est dur, opiniâtre, dissimulé, trompeur, envieux, rapace, cruel, « et, qui le dirait? plein de vanité, de hauteur et d'orgueil, dernier sen<< timent, qui, de tous les vices, est le plus dangereux et le plus anti« social 1. »

Ces instincts moraux qui, dans l'homme, font le caractère, constituent, dans les bêtes, ce qu'on appelle le naturel; et, sous ce rapport, il est curieux de voir que Réaumur et Buffon se sont partagé, et certes bien à leur insu, le domaine psychique du règne animal. Réaumur, qui n'avait étudié que les insectes, n'a vu que les instincts mécaniques, et Buffon, qui n'a connu que les animaux supérieurs, n'a vu que les qualités morales. L'un n'a peint que l'instinct proprement dit des bêtes, et l'autre n'en a peint que le naturel.

Personne n'a jamais moins compris l'instinct proprement dit des bêtes que Buffon. Il veut que les cellules des abeilles ne soient que le résultat d'une compression réciproque. « Qu'on remplisse, dit-il, un vaisseau « de pois, ou plutôt de quelque autre graine cylindrique, et qu'on le << ferme exactement après y avoir versé autant d'eau que les intervalles qui <«< restent entre ces graines peuvent en recevoir; qu'on fasse bouillir cette « eau, tous ces cylindres deviendront des colonnes à six pans. On en voit <«< clairement la raison, qui est purement mécanique; chaque graine, dont «la figure est cylindrique, tend, par son renflement, à occuper le plus « d'espace possible dans un espace donné; elles deviennent donc toutes «nécessairement hexagones par la compression réciproque. Chaque << abeille cherche à occuper de même le plus d'espace possible dans un << espace donné ; il est donc nécessaire aussi, puisque le corps des abeilles « est cylindrique, que leurs cellules soient hexagones, par la même raison « des obstacles réciproques 2. »

Buffon ne se doutait pas que chaque cellule est un petit édifice particulier, taillé et ajusté pièce à pièce, qu'il y a des cellules de plusieurs sortes, pour les larves des neutres, pour les oeufs qui doivent donner des mâles, pour la femelle qui doit devenir la reine, etc. il ne réfléchissait pas que la puérile imagination de la compression réciproque ne

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Comptes rendus des séances de l'Académie des sciences, t. XVII, p. 1297. 2 Discours sur la nature des animaux.

pouvait expliquer, d'ailleurs, ni le cocon du ver à soie, ni la toile de l'araignée, etc. etc. Mais, s'il n'a rien compris aux instincts mécaniques des animaux, en revanche avec quel talent n'a-t-il pas dépeint ces autres instincts, les instincts moraux, qui font le naturel et le caractère?

Je ne rappellerai ici que deux de ces beaux tableaux, et je les choisis parmi ceux qui se rapportent à nos animaux domestiques, animaux que Buffon avait pu complétement observer. «Ses remarques les plus utiles, << dit Bernardin de Saint-Pierre, lui ont été inspirées par les animaux << qu'il avait lui-même étudiés, et ses tableaux les mieux coloriés sont <«< ceux qui les ont eus pour modèles, car les pensées de la nature portent << avec elles leur expression 1. »

Buffon dit du chien: «Un naturel ardent, colère, même féroce et << sanguinaire, rend le chien sauvage redoutable à tous les animaux, et « cède, dans le chien domestique, aux sentiments les plus doux, au << plaisir de s'attacher et au désir de plaire; il vient, en zampant, mettre « aux pieds de son maître son courage, sa force, ses talents; il attend «<ses ordres pour en faire usage; il le consulte, il l'interroge, il le sup«plie, un coup d'œil suffit; il entend les signes de sa volonté; sans «< avoir, comme l'homme, la lumière de la pensée, il a toute la chaleur <«< du sentiment, il a de plus que lui la fidélité, la constance dans ses « affections: nulle ambition, nul intérêt, nul désir de vengeance, nulle «< crainte que celle de déplaire; il est tout zèle, tout ardeur et tout obéis<< sance; plus sensible au souvenir des bienfaits qu'à celui des outrages, «< il ne se rebute pas par les mauvais traitements, il les subit, les ou<< blie, ou ne s'en souvient que pour s'attacher davantage; loin de s'irriter <«< ou de fuir, il s'expose de lui-même à de nouvelles épreuves, il lèche <«< cette main, instrument de douleur, qui vient de le frapper; il ne lui « oppose que la plainte, et la désarme enfin par la patience et la sou<< mission. >>

Buffon dit du chat: « Quoique ces animaux, surtout quand ils sont «jeunes, aient de la gentillesse, ils ont en même temps une malice <«< innée, un caractère faux, un naturel pervers que l'âge augmente en«< core et que l'éducation ne fait que masquer. De voleurs déterminés, <«< ils deviennent seulement, lorsqu'ils sont bien élevés, souples et flat<< teurs comme les fripons; ils ont la même adresse, la même subtilité, «<le même goût pour faire le mal, le même penchant à la petite rapine; « comme eux, ils savent couvrir leur marche, dissimuler leur dessein, épier les occasions, attendre, choisir, saisir l'instant de faire leur coup,

1 Mémoire sur la nécessité de joindre une ménagerie au Jardin des plantes de Paris.

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«< se dérober ensuite au châtiment, fuir et demeurer éloignés jusqu'à ce « qu'on les rappelle. Ils prennent aisément des habitudes de société, ❝ mais jamais des mœurs; ils n'ont que l'apparence de l'attachement, on « le voit à leurs mouvements obliques, à leurs yeux équivoques; ils ne << regardent jamais en face la personne aimée; soit défiance, soit faus«<seté, ils prennent des détours pour en approcher, pour chercher des « caresses auxquelles ils ne sont sensibles que pour le plaisir qu'elles leur « font. Bien différent de cet animal fidèle dont tous les sentiments se << rapportent à la personne de son maître, le chat paraît ne sentir que « pour soi, n'aimer que sous condition, ne se prêter au commerce que « pour en abuser; et, par cette convenance de naturel, il est moins incompatible avec l'homme qu'avec le chien, dans lequel tout est

« sincère. »

Buffon a donc fait, pour le naturel des animaux, c'est-à-dire pour leurs instincts moraux, ce que Réaumur a fait pour leurs instincts mécaniques; et, je n'ai pas besoin d'insister, rien n'est plus évident que la différence profonde qui sépare ces deux ordres d'instincts.

Après cette première analyse peu difficile, passons à une autre plus délicate. A côté des instincts mécaniques, il y a les instincts moraux, et je viens de les séparer les uns des autres; mais, à côté de ces mêmes instincts, soit mécaniques, soit moraux, il y a l'intelligence, et c'est maintenant ce qu'il s'agit de bien démêler.

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Bossuet se plaignait déjà du vague que présente le mot instinct. Après avoir prouvé, dit-il1, que les bêtes n'agissent point par raisonne<«<ment, examinons par quel principe on doit croire qu'elles agissent. « Car il faut bien que Dieu ait mis quelque chose en elles pour les faire << agir convenablement comme elles font, et pour les pousser aux fins auxquelles elles sont destinées. Cela s'appelle ordinairement instinct. « Mais, comme il n'est pas bon de s'accoutumer à dire des mots qu'on « n'entende pas, il faut voir ce qu'on peut entendre par celui-ci.

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«Le mot d'instinct en général, continue Bossuet, signifie impulsion; <«< il est opposé à choix, et on a raison de dire que les animaux agissent << par impulsion plutôt que par choix2. »

Bossuet définit le mot, et s'en tient là. La question est de savoir s'il est des choses que les animaux fassent par seule impulsion, s'il en est d'autres qu'ils fassent par choix, et s'il n'en est point quelques-unes qu'ils fassent tout à la fois par impulsion et par choix, ou, pour me servir d'un terme plus général, par intelligence.

1 De la connaissance de Dieu et de soi-même, p. 351. Édition de Versailles, 1818. 2 Ibid.

Le premier pas solide qui ait été fait, en cette matière, l'a été de nos jours, et l'a été par Frédéric Cuvier. Frédéric Cuvier a prouvé, par les exemples les plus décisifs, que l'instinct, pris en soi, est absolument dépourvu d'intelligence.

Le castor bâtit sa cabane, l'araignée tisse sa toile, l'oiseau construit son nid, par pur instinct, sans aucun apprentissage, par un art inné. L'intelligence n'entre point dans l'art inné, mais elle peut influer sur lui, veiller sur lui, le modifier selon les circonstances, et c'est ce concours distinct de l'instinct et de l'intelligence qu'il faut bien entendre.

Frédéric Cuvier lui-même dit: «Le caractère d'invariabilité qui est << attaché aux actions instinctives ne doit pas cependant être pris dans << un sens tout à fait absolu. L'animal conserve toujours l'exercice de ses << sens et le degré d'intelligence qui lui est propre, et il les emploie l'un « et l'autre de la manière la plus favorable à l'action instinctive à laquelle «< il est porté1.>>

Dans un de ces raisonnements abstraits auxquels il s'arrête trop souvent, Buffon avait dit: « Pourquoi chaque espèce ne fait-elle jamais que « la même chose, de la même façon ? Et pourquoi chaque individu ne << fait-il ni mieux ni plus mal qu'un autre individu? Y a-t-il de plus forte « preuve que leurs opérations ne sont que des résultats mécaniques et << purement matériels? Car, s'ils avaient la moindre étincelle de la lumière qui nous éclaire, on trouverait au moins de la variété, si l'on ne voyait « pas de la perfection, chaque individu de la même espèce ferait <«<quelque chose d'un peu différent de ce qu'aurait fait un autre individu; << mais non, tous travaillent sur le même modèle; l'ordre de leurs actions « est tracé dans l'espèce entière. ».

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Plus tard, Buffon voit un fait; et aussitôt son excellent jugement le ramène à une conclusion moins absolue.

Les moineaux nichent ordinairement sous les tuiles, dans les trous de muraille, etc. Néanmoins il y en a quelques-uns qui font leur nid sur les arbres, et alors ils y ajoutent une espèce de calotte par-dessus, laquelle couvre le nid, et empêche l'eau de la pluie d'y pénétrer, << tandis que, dit Buffon, quand ils établissent leur nid dans des trous << ou dans des lieux couverts, ils se dispensent avec raison de faire cette << calotte, qui devient inutile, puisqu'il est à couvert. L'instinct, ajoute « Buffon, se manifeste donc ici par un sentiment presque raisonné et qui « suppose au moins la comparaison de deux petites idées2. »>

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1 Dictionnaire des sciences naturelles, article Instinct, p. 534. - Histoire du moi

neau.

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