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millions de têtes. Tombés à deux millions et demi dans le dix-septième siècle, ils remontèrent, vers la fin du même siècle, à quatre millions, et s'élèvent aujourd'hui à cinq, c'est-à-dire la moitié de tout le bétail de l'Espagne. La Mesta a un tribunal spécial qui lui appartient, et où se jugent toutes les contestations nées entre les bergers nomades et les propriétaires du sol. Il va sans dire que les décisions de ce tribunal, juge et partie à la fois, sont rarement contraires aux intérêts de l'association. La Mesta a ses alcades, ses entregadores, ses achagueros (fermiers des amendes), qui, au nom de la corporation, harcellent et accablent les fermiers 1.

Ces troupeaux voyageurs, distribués par bandes de dix mille, avec un mayoral, cinquante bergers et cinquante chiens pour les conduire, sillonnent en tous sens le sol de l'Espagne, qu'ils dévastent impunément. Mais c'est surtout dans les plaines nues et brûlantes de l'Estramadure qu'ils viennent hiverner d'ordinaire. Là où ils passent, le sol est balayé comme par un nuage de sauterelles. Aucun arbre ne croît dans ces plaines désolées, qui appartiennent plus aux troupeaux qu'aux cultivateurs. Les bergers, en passant par des endroits habités, ont le droit de cueillir, pour faire du feu, une branche de chaque arbre qu'ils rencontrent. Si le che

1 A year in Spain, by an American, 1832.

2 Voici l'origine peu connue de ce nom de merinos, tirée du Dictionnaire de l'académie de Madrid. Merino est le titre d'un fonctionnaire rural équivalent à peu près à notre maire; merindad est le nom du district qu'il administre. Ces deux noms ont été transférés aux conducteurs en chef des troupeaux et aux districts assignés à chacun d'eux. Par une sorte d'ellipse on a dit ensuite ganado merino d'un troupeau conduit par un merino, puis ovejas merinas, lana merina, et enfin merino tout seul, pour désigner cette race remarquable par la blancheur et le soyeux de sa laine, d'ailleurs assez courte. La beauté de la race espagnole vient de ce qu'elle a été croisée avec des béliers d'Afrique.

min des troupeaux les amène vers un champ cultivé, il faut leur frayer un passage, qu'on rétrécit autant que possible, mais où, pressés par les chiens, ils foulent aux pieds tout ce qu'ils ne dévorent pas 1.

Les chevaux de l'Andalousie sont renommés par leur agilité, leur feu et la douceur de leur allure; mais la forme busquée de leur tête n'est pas gracieu

se,

et ils manquent de trot. Les taureaux d'Espagne sont également célèbres par la beauté de leurs formes, la pureté de leur race et leur férocité : aussi le combat des taureaux est-il, en Espagne, une fête nationale, que le roi s'empresse de partager avec le dernier de ses sujets. Le théâtre espagnol est déchu ; mais le vrai théâtre de l'Espagne, la corrida de toros, a toujours le privilége d'attirer la foule.

Le gibier est tellement abondant en Espagne, que, dans les auberges, les oeufs de perdrix, dans la saison de la ponte, remplacent souvent les œufs de poule. On trouve dans les montagnes beaucoup de loups, et quelques ours dans les Pyrénées, mais de petite taille, car l'espèce semble dégénérer à mesure qu'elle s'approche de l'équateur. Un des fléaux qui dévorent l'Espagne, cette terre tout africaine, ce sont les sauterelles, que les vents emportent quelquefois par nua- : ges si épais, que l'air en est obscurci. Il ne leur faut qu'un instant pour dévorer la moisson la plus riche; aucun végétal, sauf la pomme d'amour (lycopersicon solanum), n'échappe à leur voracité.

La population de la Péninsule n'est nullement en rapport avec son immense étendue : les guerres contre

1 Voyez à ce sujet des détails très curieux dans Bowles, Histoire naturelle de l'Espagne, traduite de l'anglais.

les Maures, l'expulsion de ce peuple et celle des Juifs au quinzième siècle, la conquête du Nouveau-Monde, et plus que tout cela peut-être la misère, les impôts et le manque d'industrie ont tari les sources où se renouvelle une nation. En 1724, on ne donnait à l'Espagne que 7,500,000 habitants; un recensement fait en 1767 en donna 9,142,000; en 1803, on en comptait 10,351,000, et en 1826 enfin à 13,953,000, tandis que l'Espagne pourrait en nourrir deux ou trois fois autant.

Ce rapide coup d'oeil suffit pour faire apprécier les immenses ressources que possède ce pays, si richement doté par la nature. Si jamais il était donné à la malheureuse Espagne d'être, pendant quelques années, libre et paisible à la fois, et de rompre enfin ce cercle vicieux d'oppression et d'anarchie alternatives où elle tourne depuis un quart de siècle; si un gouvernement honnête seulement, sans même être habile, la consolait de tout ce qu'elle a souffert sous tant de gouvernements ou dépravés ou stupides, une ère nouvelle commencerait pour elle. On s'étonnerait de l'immense développement moral, industriel et agricole, que prendrait tout d'un coup cette Péninsule, comptée pour si peu dans le mouvement politique de l'Europe. La place qu'elle y reprendrait serait grande et belle, comme le furent naguère les destinées de l'Espagne ; et les peuples qui l'ont laissée en arrière dans la voie de la civilisation seraient surpris de s'y voir si tôt rejoindre par elle 1.

1 Nous croyons devoir compléter cette esquisse de la géographie physique de l'Espagne par un résumé des données de la statistique moderne sur ce pays, données que nous empruntons à l'excellent ouvrage de M. Moreau de Jonnès, Statistique de l'Espagne, 1 vol. in-8°, Paris, 1834.

On compte en Espagne 738 habitants par lieue carrée, mais fort inégalement

répartis sur la surface de la Péninsule : ainsi la riche Province de Guipuscoa en a 2,100 par lieue, comme l'Alsace et les Pays-Bas ; les plateaux déserts de la Manche et de l'Estramadure n'en ont que 350 ou 320, comme la Valachie.

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L'augmentation sensible de la population pendant les vingt premières années du siècle, malgré les longues guerres qui ont désolé l'Espagne, vient de la diminution du nombre des moines et de l'émancipation des colonies. Cependant l'Espagne paraîtra bien pauvre et bien déserte si on la compare aux temps de sa prospérité déchue. Tolède, en 1525, avait 200,000 habitants; elle en a 25,000 aujourd'hui. Séville en avait 300,000, il lui en reste 90,000. Cordoue, sous les Maures, avait huit lieues de longueur (trois de moins que l'ancienne Rome) et deux de largeur, on y comptait 283,000 maisons et 60,000 palais; elle n'a pas aujourd'hui 30,000 habitants. Le nombre des endroits habités a diminué dans la même proportion. Le diocèse de Salamanque renfermait 125 villes ou bourgades, et n'en a plus que 13. En 1778 on comptait 1514 villes ou villages abandonnés en Espagne. Séville, sous les Maures, avait 60,000 métiers pour la soie seulement; on n'en comptait en 1742 que 10,000, dans toute l'Espagne, pour la soie et la laine.

En 1740 le nombre des ecclésiastiques s'élevait, pour toute la Péninsule, à 250 mille, 1 sur 30 habitants; en 1826 il était tombé à 150 mille, 1 sur 90, plus 45 mille personnes qui vivaient dans la dépendance du clergé. Les revenus fonciers de l'église espagnole, en 1788, s'élevaient à 150 millions de francs, non compris les dîmes, qui en 1817 montaient encore, pour le clergé, à 81 millions, et pour la couronne, à 32; et, en y joignant le casuel, comme messes, quêtes, sermons et droits d'étole, le revenu total du clergé s'élevait à 262 millions, à peu près la moitié du renvenu foncier de l'Espagne.

En 1809 la valeur du capital territorial de l'Espagne s'évaluait à 12,500,000,000 de francs. En 1826 on comptait dans la Péninsule 1440 mille individus appartenants à la noblesse, 1 sur 9 habitants; 1579 mille bourgeois, 1 sur9; 8,613,000 agriculteurs, 2 sur 3; 2,318,000 industriels, 1 sur 6.

Quant au commerce de l'Espagne, les importations s'élevèrent en 1827 à 95 millions de francs, et en 1829 à 114; les exportations en 1827 à 71 millions, et en 1829 à 65: état de déclin que les malheurs de la guerre civile ont dû aggra

ver encore.

Il n'y a guère que 40 mille enfants en Espagne qui jouissent des bienfaits de l'éducation, 4 sur 3 et 172; 1466 mille ne reçoivent aucune instruction.

Voilà l'Espagne telle que le despotisme et l'inquisition l'ont faite de pareils chiffres n'ont pas besoin de commentaire.

CHAPITRE II.

LANGAGE ET HABITANTS PRIMITIFS DE L'ESPAGNE.

Par quelque côté qu'on aborde l'histoire des races primitives, soit qu'on étudie les origines des Goths ou celles des Ibères, il faut toujours en revenir à l'Asie, cet antique berceau des races et des idiomes européens. A vrai dire, d'ailleurs, ce vaste continent de l'Asie n'est pas réellement distinct du nôtre : une barrière de montagnes comme celle de l'Oural peut séparer des peuples; mais la seule limite réelle qui sépare les continents, c'est la mer.

Aussi tout annonce-t-il que le continent européen, simple appendice de l'Asie, a reçu d'elle ses habitants, par ce mouvement de migration de l'est à l'ouest que ces races voyageuses semblent avoir emprunté au soleil. Les peuples émigrés les premiers de l'Asie n'ont pas dû, au premier abord, s'éloigner beaucoup du point central d'où ils étaient sortis. L'espace alors ne manquait pas, et l'espèce humaine était à l'aise sur le globe; puis la population, augmentant sans cesse à cette source méditerranéenne des races, a débordé en

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