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de l'ambition romaine, comme Sagonte de la perfidie de Carthage. Ainsi se perpétue à tous les âges de l'histoire d'Espagne ce dur et patient génie de la race ibérique ; et Sagonte, après vingt siècles, se retrouve encore dans la moderne Saragosse, s'ensevelissant sous ses ruines fumantes plutôt que de se rendre.

La domination de Carthage, concentrée surtout sur le littoral, paraît avoir laissé peu de traces dans l'intérieur de la Péninsule. Cette domination fut dure, comme toutes les tyrannies de seconde main : les colonies carthaginoises, strictement asservies au joug de la métropole, le firent peser plus lourd sur la race indigène. Les Phéniciens avaient civilisé la Bétique; Carthage se contenta de l'exploiter. Des peuplades entières, coupables d'avoir défendu leur liberté, furent condamnées au travail des mines. Les immenses sommes d'argent que Carthage retira de l'Espagne prouvent à la fois et la richesse du pays et l'avidité de ses maîtres. C'est avec les trésors de la Péninsule qu'Hannibal achetait à Carthage le droit de faire la guerre aux Romains, et alimentait cette longue et terrible guerre1.

Quant à la constitution intérieure des colonies carthaginoises, il n'en reste pas plus de traces que de celle des colonies phéniciennes. On a comparé avec raison les colonies éparses de Carthage à cette chaîne de forts et de comptoirs que les Hollandais et les Portugais possédaient dans l'Inde, avec cette différence

1 L'Espagne, dit Tite-Live, était, sans en excepter l'Italie, la province la plus propre de toutes à y maintenir la guerre pendant long-temps, soit que l'on considère la nature du pays ou l'esprit guerrier de ses habitants; elle fut aussi la première qu'attaquèrent les Romains, et la dernière qu'ils soumirent. (L. XXVIII, c. IV. )

qu'elles étaient bien plus rapprochées de la métropole, et en quelque sorte sous sa main. La position de Carthage, comme cité conquérante et commerçante, était admirable: au centre de toutes ses colonies et du bassin de la Méditerranée, sur cette pointe de l'Afrique qui touche à la Sicile, elle trônait pour ainsi dire comme une reine sur toutes ces mers qu'on peut apercevoir du sommet de l'Etna, et sur les régions les plus riches et les plus civilisées du monde ancien ; par le golfe Arabique, elle touchait aux mers de l'Inde et du fabuleux Ophir; par le détroit d'Hercule, à l'Océan atlantique. L'instinct de la domination, qu'aucun peuple n'a possédé à un plus haut degré, lui avait appris à explorer long-temps d'avance par le commerce les côtes qu'elle voulait subjuguer, et à s'établir dans les îles, de préférence aux continents, plus accessibles à ses ennemis. Comme l'araignée au centre de sa toile, Carthage, au centre de ses colonies, voyait tout partir d'elle et tout y aboutir. Le gouvernement réel et central de ses immenses possessions était dans ses murs. Aucune de ses colonies ne brisa son joug, comme elle avait brisé celui de Tyr, et sa domination n'y finit qu'avec elle; aucune ne trafiquait pour son compte, mais bien pour celui de Carthage. Souvent même, comme en Corse et en Sardaigne, elle défendait aux habitants de cultiver leurs terres, et faisait noyer les étrangers qui venaient y commercer. Les gouverneurs qu'elle y plaçait, armés des pouvoirs civils et militaires les plus étendus, ne rendaient de comptes qu'à elle. La religion était pour elle un moyen de plus d'asservir le peuple conquis: elle leur donnait ses dieux en même temps que ses lois. Elle fondait toujours plusieurs villes à la fois sur

une même côte, et la plus puissante, comme Gadès en Espagne, lui répondait de l'obéissance des autres. Agricole plus encore que commerçante, elle avait en elle-même la source de ses richesses, et pouvait se passer de ses colonies, qui ne pouvaient pas se passer d'elle.

Deux puissants auxiliaires secondèrent Carthage dans ses projets de domination sur la Péninsule. Ce furent d'abord les Bastades, métis nés du mélange des colons carthaginois et des indigènes, alliés naturels qu'elle avait semés sur le sol de l'Espagne pour en préparer la conquête. Ce furent aussi les mercenaires espagnols qui servaient dans ses armées. On sait que la cavalerie andalouse, l'infanterie celtibérienne et les frondeurs baléares, composaient la principale force de l'armée d'Hannibal, et contribuèrent puissamment au gain de la bataille de Cannes. De retour dans leur patrie, ces mercenaires y ouvraient à Carthage une foule de relations qu'elle sut exploiter au profit de son commerce comme de sa politique. Nous avons vu cependant que, dans la Bétique même, la race indigène n'avait pas perdu toute son indépendance, et que les Tartessiens, au centre des colonies de Carthage, se révoltèrent plus d'une fois contre la république libyenne, moins redoutée encore que haïe de ses sujets espagnols.

L'Espagne, une fois subjuguée, devint le point d'appui de la faction démocratique des Barca, dont le chef, Hamilcar, l'avait conquise pour son parti plus encore que pour Carthage. La possession de la Péninsule avait enrichi Carthage, mais ce fut elle aussi qui la perdit. Les immenses richesses qu'elle en tira lui permirent seules de recommencer avec Rome cette

lutte où elle succomba. Hannibal, en Italie, tira toujours ses renforts de l'Espagne, fief militaire des Barca. Ce parti des Barca, puissant par les richesses et la gloire de ses chefs, lutta constamment dans le sénat contre le parti aristocratique d'Hannon, qui voulait la paix avec Rome; grâce à lui, il n'y eut pas une seule négociation entre les deux républiques pendant toute la seconde guerre punique'; et, quand Carthage fut vaincue, l'Espagne, qui déjà ne s'appartenait plus, se sentit vaincue avec elle, et essaya en vain de s'arrêter sur la pente qui entraînait Rome à soumettre le monde, et le monde à lui obéir.

1 << Hannibal existimabat non melius res se suas amicorumque in tuto posse collocare, quam si arduis diuturnisque rebus implicaret patriam. » (Appien, liv. VI, parag. 11.) La clé de toute la politique d'Hannibal est dans ces deux lignes d'Appien.

CHAPITRE IV.

ESPAGNE ROMAINE 1.

Nous avons trop de hâte d'arriver à l'invasion des Goths, point de section entre l'Espagne ancienne et l'Espagne moderne, pour raconter dans tous ses détails l'histoire de la domination romaine dans la Péninsule. Plus cette domination a été longue, plus son empreinte a été profonde sur les mœurs et le caractère social de la race conquise, et moins il entre dans notre plan de nous en occuper. Du moment, en effet,

1 Pour éviter des citations continuelles, nous inscrirons ici la liste des auteurs qui nous ont guidé dans l'histoire de l'Espagne romaine : nous mettrons au premier rang Tite-Live et Plutarque; viennent ensuite Appien et Polybe; puis les fragments de Salluste, Florus, Orose, Dion Cassius, Justin, Aurelius Victor, Corn. Nepos. Nous avons aussi consulté avec fruit, parmi les modernes, Michelet, Depping et Dunham.

Qu'on nous permette d'ajouter ici quelques réflexions sur ces sources auxquelles nous avons puisé. Quand on n'a lu pendant long-temps d'autre latin que celui des chroniques, il y a sans doute un vif plaisir à rentrer avec Tite-Live et Salluste dans cette belle latinité, où toutes les phrases semblent être sculptées en bronze, et où, comme dans un bas-relief antique, la pensée saillit aux yeux par son côté le plus noble et le plus poétique. Mais, cette première impression de plaisir une fois passée, au milieu de ces périodes si sonores et si pleines et de cette pompe majestueuse du style et de la pensée, le dirai-je ? on se prend à re

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