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lue qu'elle paraisse, autre chose qu'une royauté fédérale, avec des formes monarchiques au faite, mais des habitudes républicaines à la base. Creusez le sol de la Péninsule, arrivez jusqu'au tuf primitif, à travers toutes les couches secondaires que tant de conquêtes y ont déposées, et vous trouverez partout l'esprit et les mœurs du municipe, servant de base à tous les essais d'organisation qu'y a tentés le despotisme. Partout aussi, en dépit des trois siècles de monarchie unitaire qui ont cherché à niveler ce sol inégal, vous rencontrez des souvenirs et des amours-propres nationaux, toujours prêts à se révolter contre le joug, plus humiliant encore qu'oppressif, du pouvoir central. A chaque secousse, vous voyez quelqu'un des membres de ce corps mal joint chercher à s'en détacher, et le vieux levain du fédéralisme fermenter encore dans ces provinces qui se souviennent d'avoir été des royaumes.

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Certes, la monarchie a fait bien du mal à l'Espagne; mais tous ses torts sont compensés peut-être, car elle lui a donné l'unité unité factice et incomplète sans doute, car elle avait à lutter contre une loi de nature plus forte que toutes ces délimitations arbitraires que trace la politique; mais enfin la monarchie n'en a pas moins travaillé constamment depuis trois siècles à réunir en une seule les six ou sept Espagnes bien distinctes, cachées dans les replis de ces Sierras, et dans les profonds bassins de ces fleuves; elle seule a été le lien qui serrait ce faisceau toujours prêt à se dissoudre; le despotisme luimême, si pesant qu'il fût, a rapproché ce qu'il écrasait, et, sans un ciment aussi fort, la pierre n'eût pas été si bien liće.

De là ce cachet de fédéralisme empreint même sur la monar

chie compacte, sur la grande et forte monarchie de CharlesQuint et de Philippe II. Alors même que cette royauté quasi-européenne semble à son apogée, on sent encore qu'elle vacille à sa base. Toutes ces royautés secondaires qui lui ont délégué leurs pouvoirs, comme des vassaux jaloux de leur suzerain, lui marchandent leur obéissance; Charles-Quint, empereur d'Allemagne, et maître de la moitié de l'Europe, ne peut pas arracher d'impôts à ses bonnes villes de la catholique Espagne, pour faire la guerre aux Huguenots, et le souverain des deux mondes ne peut pas même destituer un alcalde de Biscaye.

Un autre résultat de cette singulière organisation de l'Espagne, c'est qu'on y chercherait vainement de ces hommes qui résument en eux un peuple et un pays, et impriment feur cachet à toute une époque. Cette fière individualité qui forme le fond du caractère espagnol n'a j'amais consenti à s'annuler elle-même et à s'effacer sous un roi, ce roi s'appelât-il Charles Quint. Sur ce sol où l'homme naît libre, en dépit de tant de servitudes, et où le sentiment de sa dignité native ennoblit jusqu'au pâtre, des souverains tels que Charlemagne le Frank, Alfred le Saxon, Théod-rich l'Ost-Goth, étaient impossibles; eussent-ils même existé, le piédestal leur eût manqué pour dominer leur époque, et le peuple ne se fût pas courbé devant eux, pour leur en servir. Ce ne sont ni les grands hommes ni les grands rois qui ont fait faute à l'Espagne; c'est cette étrange disposition des peuples à s'incarner, pour ainsi dire, dans un homme qui les résume, à se faire petits pour qu'il soit plus grand, à ne sentir, à ne penser, à n'exister qu'en lui et par lui. Charles-Quint, le fondateur de la monarchie espagnole, fut sans doute un grand roi ; mais fut-il, en Espagne du moins, un

roi populaire? Quel homme a moins que lui, par ses défauts comme par ses qualités, représenté l'Espagne? Philippe II, lui-même, avec sa sombre opiniâtreté, et ses haines impitoyables, mais désintéressées, est cent fois plus Espagnol que lui; mais cette fois, ce n'est pas le souverain qui a fait le peuple, c'est le peuple qui a fait le souverain à son image : si l'Espagne ressemble à Philippe II, ce n'est pas qu'elle ait reçu de lui l'empreinte, c'est qu'elle la lui a donnée.

L'histoire d'un pays si singulièrement façonné par la nature ne doit pas ressembler à une autre. Dans la France ou l'Alle magne féodale du dixième au quatorzième siècle, si morcelées qu'elles soient, vous avez pour guide la monarchie qui existe au moins de nom, et qui lie, ne fùt-ce que par un fil, les tiges puissantes du faisceau féodal; mais vous n'y avez pas, comme en Espagne, six ou sept souverainetés chrétiennes indépendantes, sans compter les vingt ou trente rejetons qui poussent sur les débris de la souche des Ommiades; vous n'y avez pas surtout ces deux histoires dans une seule, ces deux versions toujours contradictoires de chaque fait, ce perpétuel antagonisme des deux races et des deux religions, qui ne doit finir que quand il n'y aura plus dans toute la Péninsule un coin de terre où Dieu s'appelle Allah, et son temple une mosquée.

Puis, ajoutez à tous ces obstacles, inhérents au sujet luimême, qui n'est si beau qu'à condition d'être si complexe, les jalouses méfiances du despotisme, qui confisque pendant trois siècles l'histoire à son profit; l'histoire muette devant l'inquisition, racontant les faits sans les juger, et s'interdisant même la pensée comme une révolte; les traditions les plus saintes des franchises nationales proscrites du dogme politique, com

me l'examen l'est du dogme religieux; le silence ou l'adula tion mis partout à la place de la vérité, et la conscience publique finissant par douter d'elle-même, au milieu de tous ces démentis officiels que lui jette le pouvoir.

Si je passe ainsi en revue toutes les difficultés d'une histoire d'Espagne, ce n'est pas pour exagérer l'audace de l'entreprise, mais pour faire pardonner la faiblesse de l'exécution. Dans ce pénible travail, poursuivi sans interruption depuis trois ans, bien des erreurs ont dû se glisser, erreurs nécessaire peut-être dans un début en histoire, et qui tiennent à la diversité des sujets qu'il a fallu embrasser dans un ensemble aussi vaste. Mais ces erreurs seront miennes du moins, car, dans tout le cours de ce volume, aucune main étrangère ne m'a aidé. Seul, et sans autre appui que quelques conseils éclairés, j'ai entrepris une œuvre au dessus de mes forces peut-être, mais non de ma persévérance. Le volume que je donne aujourd'hui n'est, en quelque sorte, qu'un essai. J'aurais pu attendre, pour le publier, que le second, déjà plus qu'à moitié terminé, fùt prêt à paraître; mais j'ai été séduit par la parfaite unité du drame qu'embrasse ce premier volume, unité qui se dissout nécessairement après la conquête arabe, et ne se reformie de ses dé. bris que huit siècles plus tard.

Le second volume sera consacré à la Castille; mais l'histoire de la monarchie castillane n'est elle-même qu'un épisode détaché d'un drame bien autrement vaste que celui de la monarchie gothique. Sans cesse entrelacée avec les annales des royaumes voisins, elle touche à l'Espagne arabe par l'invasion, à l'Aragon et à la Navarre par la guerre civile ou par les alliances.

Entre toutes ces royautés, sœurs et rivales tour à tour,

j'ai choisi la Castille, parce qu'elle est le centre commun où aboutiront toutes les autres, et le noyau de la future monarchie; mais, pour peindre du VIIIe au XVIe siècle cet incessant progrès de l'Espagne vers l'unité, il fallait dominer de plus haut l'ensemble de son sujet; pour raconter la Castille, il fallait savoir en quoi elle ressemble à l'Aragon et à la Navarre, en quoi elle en diffère; pour dire les guerres des rois chrétiens avec les Arabes, il fallait avoir vu les deux faces de la médaille, et comparé le point de vue chrétien au point de vue non moins partial des historiens de l'Islam. Cette étude, plus longue et plus difficile encore, est complétement distincte de celle qu'embrasse le premier volume. C'est là ce qui m'a décidé à le publier seul, avant d'aller ramasser, dans les bibliothèques de l'Espagne, les matériaux nécessaires pour terminer le second.

Je n'avais point compté d'abord parler de l'Espagne phénicienne, carthaginoise et romaine: mon premier plan était de sauter à pieds joints par dessus ces débuts si obscurs des annales de la Péninsule, pour arriver tout droit à l'invasion gothique, où commence réellement l'histoire de l'Espagne moderne. Mais la nécessité d'étudier au berceau même de la race ibérique ses mœurs et son caractère, si fidèlement continués par la race espagnole, m'a décidé à résumer, dans une esquisse rapide, la marche des trois conquêtes successives qui ont passé sur la Péninsule avant la conquête gothique. J'ai relégué cette partie de mon travail dans une courte Introduction, où elle n'entravera pas la marche de l'histoire. Les conquêtes phéniciennes et carthaginoises, si peu et si mal connues, y sont moins racontées que jugées en passant et dans leurs résultats généraux. Quant à la conquête romaine, qui

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