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ainsi. Æmilius entreprit de l'enlever, persuadé qu'après ce succès plusieurs anciens alliés de Rome, que Démétrius avait entraînés dans son parti, se trouveraient heureux de rentrer sous la protection de la république. Tels furent les efforts et l'activité du consul, qu'après sept jours de siége il se rendit maître de la place; et, en effet, au premier bruit de sa victoire, les cités illyriennes lui envoyèrent à l'envi des députés chargés de lui offrir des témoignages de dévouement, de lui protester qu'elles aimaient mieux cent fois obéir à un sénat équitable qu'à un usurpateur avare et hautain; qu'au surplus, elles ne l'avaient accepté pour maître que parce que Rome elle-même le leur avait donné. Voilà, Messieurs, les résipiscences qui ne manquent jamais d'arriver après les événements qui ont déplacé le pouvoir. La veille encore, on jurait au dominateur du moment une fidélité à toute épreuve; on lui resterait inviolablement attaché, quand la fortune, la terre et le ciel viendraient à se déclarer contre sa cause. Le lendemain, on proclame qu'on l'a toujours abhorré; qu'on ne l'a servi que pour le tromper; et l'on se presse autour du vainqueur qui vient de l'ébranler ou de l'abattre. Faiblesse honteuse, lâcheté insigue, que les difficultés mêmes et la mobilité des circonstances ne sauraient jamais excuser; car il est toujours possible de se contenir dans les bornes des devoirs civils que des événements impérieux imposent, et de se résigner aux décrets du sort sans y applaudir avec ce bruyant éclat, à moins qu'en effet on ne s'en réjouisse au fond de sa conscience.

Disons pourtant que Démétrius avait trop mérité qu'on l'abandonnât, et que les Illyriens pouvaient for

mer contre lui des vœux fort sincères, quand Æmilius courut l'attaquer dans l'île de Pharos. Cette entreprise exigeait des soins, et devait se tenter à la fois par mer et par terre. Mais les consuls avaient une flotte bien équipée et deux armées aguerries: une partie des troupes resta sur les vaisseaux, l'autre descendit à terre pendant la nuit, se cacha dans les bois et derrière des rochers, à l'insu de l'ennemi. Les officiers qui la commandaient avaient ordre de ne se montrer et de ne rejoindre le principal corps d'armée que lorsqu'ils en auraient été avertis par des signaux. Ces dispositions étant prises, un détachement de la flotte romaine se présenta devant Pharos, comme pour y débarquer; et soudain Démétrius, impatient d'y mettre obstacle, s'avança sur le rivage: les bataillons illyriens sortaient de la ville l'un après l'autre, et la laissaient sans défense. A l'instant même, les légionnaires, embusqués dans l'intérieur de l'ile, marchèrent sans bruit sur une hauteur dont ils s'emparèrent, et qui était située entre la ville et le port. Investi ainsi des deux côtés, Démétrius dirigea ses soldats contre la troupe postée sur la hauteur. « On nous craint, s'écriait-il, puisqu'on a re<«<cours à l'artifice. Non, Rome n'a triomphé que de << Teuta, de cette régente qui causa tous vos malheurs; «<et, sans moi encore, les Romains n'auraient pas vaincu <«< une femme : avec moi, vous allez les exterminer eux«mêmes. » Il trouva bientôt plus de résistance qu'il n'avait feint de le croire. Les légionnaires soutinrent avec intrépidité le choc des Illyriens, et donnèrent ainsi aux consuls le temps d'achever la descente. Les troupes du régent, assaillies en front et en queue, s'échappèrent par les côtés, et s'enfuirent en pleine déroute. Démé

trius se jeta dans une barque qu'il avait eu la précaution de tenir prête; et, en toute hâte, il se réfugia chez son ami le roi de Macédoine, que depuis il entraîna dans une guerre fatale. Appien et quelques autres disent au contraire que, vaincu par l'effet d'une trahison, il périt dès 219. Les consuls, maîtres de la ville de Pharos, la livrèrent au pillage, et la rasèrent ensuite. L'Illyrie rentrait au pouvoir des Romains, qui s'abstinrent toutefois de la réduire en province, par égard apparemment pour les malheurs du jeune roi Pinée, que ses tuteurs avaient entraîné dans de si mauvaises affaires. On lui rendit une partie de ses États, en le soumettant à des tributs et aux conditions d'un nouveau traité, plus dures, à ce que disent les historiens, que celles qui avaient été imposées à Teuta et à Démétrius, en 230 et 229. Nous manquons d'ailleurs de tout détail sur les clauses de cette convention nouvelle.

On touchait à la saison où la mer n'aurait plus été praticable à des vaisseaux romains. Les consuls revinrent pour recevoir les honneurs du triomphe. Cette cérémonie eut lieu à la fin de l'été; et, puisqu'il est dit qu'elle fut commune aux deux magistrats, nous avons lieu d'en conclure que Salinator avait coopéré aux succès de la campagne, quoique le nom d'Emilius paraisse seul dans les récits que nous font, des combats de Dimale et de Pharos, Polybe, Appien et Zonaras. Dès les jours de ces triomphes, il s'éleva des plaintes assez graves contre les consuls, qui obtenaient de si grands hommages on les accusait d'avoir détourné à leur profit une partie considérable des dépouilles enlevées aux Illyriens, et trop peu suivi les lois de l'équité. dans la distribution du butin entre les soldats. Il fallut,

pour les mettre en jugement, attendre la fin de leur magistrature. Mais, pour ne pas couper le récit de cette affaire, je vais le continuer en empiétant de quelques mois sur l'ordre rigoureux des temps. Traduits devant les comices par tribus, Æmilius et Livius Salinator se défendirent assez mal, à ce qu'il paraît. Æmilius lui-même eut peine à obtenir une absolution peu honorable; on lui fit grâce en considération de ses services, qui avaient été plus actifs et plus glorieux que ceux de son collègue, et peut-être aussi parce qu'on le trouvait un peu moins coupable. Toutes les tribus, excepté la Mécia, condamnèrent Salinator, sans doute à une amende, dont la valeur ne nous est pas indiquée. Profondément blessé de cet affront, il se séquestra dans sa maison de campagne, laissant croître sa barbe et ses cheveux, et prenant des habitudes si sauvages, que ses amis autrefois les plus intimes n'osaient plus l'approcher. Dans la suite, il sortit de sa retraite, reprit les armes, combattit vaillamment pour sa patrie, devint censeur en 204, et abusa de cette fonction pour tirer des tribus une vengeance indigne d'un citoyen sage. I osa les dégrader toutes, à l'exception de la Mécia; étrange attentat, sur lequel nous aurons occa

sion de revenir.

Il faut maintenant porter nos regards sur l'Espagne, où Annibal, poursuivant ses vastes desseins, venait de commencer sa troisième campagne. Il n'avait pas encore passé l'Èbre; mais il lui tardait d'occuper la ville de Sagonte, quoique l'accès lui en fût aussi interdit par les traités. C'était, dit Tite-Live, une cité fort opulente, à mille pas de la mer, originairement fondée par des colons partis de l'île de Zacynthe, et mêlés à des Rutules

venus d'Ardée. La population s'y était rapidement accrue; et l'on y jouissait d'une prospérité due à la fertilité du territoire, à la sagesse des lois, et à une fidélité constante aux conventions sociales. Annibal ne dissimula plus le projet d'en former le siége. Les Sagontins implorèrent de nouveau l'assistance de Rome, qui envoya en Espagne une seconde députation pour s'assurer sur les lieux de l'état des affaires, et pour réitérer les sommations déjà faites au général carthaginois. Ces députés ou commissaires étaient Publius Valerius Flaccus et Quintus Babius Tamphilus il leur répondit que s'ils avaient des plaintes à former contre lui ils n'avaient qu'à les porter au sénat de Carthage. Pour lui, il continuait son entreprise avec une impétueuse ardeur : il assaillit Sagonte de trois côtés. La plus vive attaque eut lieu près d'un angle des murailles, où un vallon lui offrait les moyens de disposer ses troupes en bataille. Cette première tentative n'eut pas de succès l'angle était dominé par une tour assez haute, d'où l'on accablait de traits les assaillants; et l'élite des jeunes guerriers du pays défendait les murs plus élevés en cet endroit. Les assiégés faisaient des sorties fréquentes et meurtrières : Annibal s'étant trop avancé, un javelot l'atteignit à la cuisse. Sa blessure causa un mouvement soudain autour de lui; et peu s'en fallut que ses soldats n'abandonnassent leurs batteries. Du moins fallut-il interrompre les attaques; et, tandis que le général africain se guérissait, les Sagontins eurent quelques jours de répit. Après ce court délai, les Carthaginois revinrent plus menaçants, avec de nouvelles forces et de meilleures machines. Ils étaient au nombre de cent cinquante mille guerriers, et accompa

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