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ques auteurs ont supposé même qu'Annibal avait été alors élevé à l'éminente dignité de suffète. Vous savez, Messieurs, que l'on désigne par ce nom, et quelquefois par ceux de dictateurs et de rois, les deux premiers magistrats de la république carthaginoise; ils exerçaient une autorité à peu près pareille à celle des deux consuls de Rome; et ce qui donne lieu de prétendre qu'Annibal était revêtu de cette fonction ou de ce titre en 221, c'est un texte de Cornélius Népos ainsi conçu : Hic, ut rediit, prætor factus est, postquam rex fuerat anno secundo et vigesimo. « A son retour, il fut fait préteur, la vingt-deuxième année après qu'il avait été « roi, c'est-à-dire suffète.» Mais l'examen que nous aurons à faire un jour des petites notices biographiques attribuées à Cornélius Népos vous prouvera, Messieurs, qu'elles fourmillent d'inexactitudes comme de puérilités, et qu'elles sont loin d'avoir le mérite et l'authenticité dont on leur a fait honneur en les inscrivant au nombre des livres classiques. Du reste, qu'Annibal fût alors à la tête des affaires civiles et militaires de sa république en Espagne, il n'y a pas moyen d'en douter. Il y attirait les regards de toute l'armée, qui croyait, dit Tite-Live, revoir en lui Amilcar tel qu'il avait brillé dans sa jeunesse : Omnem exercitum in se convertit; Hamilcarem juvenem redditum sibi veteres milites credere même feu dans les yeux, même expression dans les traits, mêmes signes d'énergie et d'ardeur: Eumdem vigorem in vultu, vimque in oculis, habitum oris lineamentaque intueri. Mais bientôt il se montra si grand, que sa moindre recommandation était d'être né d'un tel père: Dein brevi effecit ut pater in se minimum momentum ad favorem conciliandum esset.

Un génie propre aux plus divers exercices, capable également d'obéir et de commander; l'audace qui affronte les périls, la prudence qui les conjure; un corps infatigable; une âme invincible; la plus héroïque patience; la plus austère sobriété; l'habitude de tous les travaux et de toutes les privations; le mépris des vains honneurs et de toutes les distinctions attachées au commandement, sinon d'être le premier des fantassins, le premier des cavaliers, et le dernier à sortir du champ de bataille: Vestitus nihil inter æquales excellens.... equitum peditumque idem longe primus erat.... ultimus conserto prælio excedebat. Tels sont les traits dont Tite-Live peint ce grand capitaine, en ajoutant que ses vices égalaient ses vertus : cruauté plus qu'homicide, perfidie plus que punique, nul respect pour la vérité ni pour la justice, nulle crainte des dieux vengeurs du parjure et de l'irréligieuse déloyauté: Has tantas viri virtutes ingentia vitia æquabant: inhumana crudelitas, perfidia plus quam punica, nihil veri, nihil sancti, nullus deorum metus, nullum jusjurandum, nulla religio.

Disposé ainsi à rallumer la guerre entre Carthage et Rome, Annibal attaqua les Olcades, peuples voisins de ce fleuve de l'Ebre que les traités lui défendaient de passer. Où étaient situés les Olcades? les uns les placent à peu de distance de Carthage la Neuve; les autres, dans la partie de la Bétique où se trouvait Cartéia, aujourd'hui Tariffa. Cependant Polybe donne à la principale ville des Olcades le nom d'Althéa, qui semble avoir été voisine de l'endroit où est Ocagna, dans le royaume de Tolède. L'embarras est de comprendre comment ce pays des Olcades avoisinait l'Ebre ou l'Ibérus,

dont le cours est beaucoup plus septentrional, Tolède est sur le Tage peut-être y avait-il quelque autre rivière qui s'appelait aussi Ibérus; mais, alors, cette expédition d'Annibal n'aurait point annoncé une disposition si prochaine à violer les conventions. Voilà, Messieurs, encore un exemple des obscurités que les anciens ont laissées dans l'histoire, surtout en ce qui concerne les positions géographiques. Ils nous apprennent du moins que le général carthaginois prit d'assaut la ville d'Althéa; que les villes voisines, frappées d'effroi, se soumirent à lui; que cette conquête le rendit maitre de plusieurs mines d'argent, et agrandit sa réputation; qu'il alla passer l'hiver à Carthage la Neuve; qu'il y paya ses troupes avec les trésors qu'il venait d'enlever aux Olcades; et que ses largesses redoublèrent l'affection que les soldats lui avaient déjà vouée. Rome ne pouvait pas encore se plaindre: aucune des conditions expresses des traités n'était transgressée. Nous n'aurons pas, Messieurs, d'autres faits à placer sous le consulat de Scipion Asina et de Minucius Rufus, sinon pourtant ce que dit Orose, que Fabius Maximus, ancien censeur, usant de la puissance paternelle, mit à mort son fils Fabius Butéo, convaincu de vol. Le silence des autres historiens autorise à douter de ce fait, dont en effet la plupart des auteurs modernes n'ont fait aucune mention dans les recueils ou précis d'annales romaines.

Le 17 avril 220, deux nouveaux consuls s'installent, Lucius Véturius Philo et Caius Lutatius Catulus. Mais, avant d'entamer l'histoire de leur magistrature, deux questions se présentent à éclaircir: l'une, si l'on a créé en ces temps-là un dictateur; l'autre, si l'on a forcé les deux consuls d'abdiquer, et si on les a remplacés par

Marcus Æmilius Lépidus et Marcus Valérius Lévinus. Tite-Live dit que, lorsque Quintus Fabius fut investi de la dictature après la fatale bataille de Trasimène, c'était pour la seconde fois qu'il se voyait appelé à cette fonction. Ou lit d'ailleurs dans Valère-Maxime que, ce même dictateur ayant nommé Caius Flaminius général de la cavalerie, le cri d'une souris se fit entendre, et parut d'un si funeste augure, qu'à l'instant même on annula l'élection de ces deux officiers; et Plutarque raconte la même anecdote, sauf quelques changements dans les noms. Enfin une inscription, citée par Onofrio Pauvini, relate deux dictatures parmi les dignités échues à Fabius. On conclut de là que ce personnage a dû être une première fois dictateur; et l'on ne voit pas de meilleure date à donner à ce prétendu fait que les premiers mois de 220. Si vous demandez pourquoi on l'investissait alors de cette puissance suprême, les savants vous répondront que les consuls Asina et Rufus ne devaient pas être revenus de l'Istrie au moment de l'élection de leurs successeurs, et qu'il fallut faire un dictateur pour présider les comices. Vous insisterez peutêtre, en demandant ce qui advint lorsque le cri de la souris eut fait casser la nomination de Fabius et de son commandant de sa cavalerie. Si vous exigez absolument qu'on vous nomme le dictateur créé en remplacement de Fabius, les mêmes savants proclameront Æmilius Barbula, parce qu'une inscription trouvée sur un piédestal le qualifie dictateur, et que l'année 220 paraît la plus commode pour le mettre en exercice de ce pouvoir. Je persiste à penser, Messieurs, que l'histoire serait la dernière et la plus vaine des sciences, si elle pouvait sé composer de divinations de cette espèce.

En vous parlant du dictateur de 223, Cécilius Métellus, je vous ai annoncé qu'il ne s'en rencontrerait plus jusqu'en 217; et la vérité est que ni les Fastes, ni les livres, ni les inscriptions mêmes, n'en désignent aucun pour 220. A la vérité, je ne sais point comment il convient d'expliquer ce qui est dit des deux dictatures de Fabius, du cri de la souris, et de la promotion de Barbula; mais l'ignorance invincible où nous sommes de ces choses-là et de bien d'autres n'autorise point, ce me semble, les historiens modernes à créer des dictateurs de convenance : c'est un droit que les lois romaines réservaient au sénat et aux consuls; nous ne devons pas l'usurper, mais dire, d'après des indications positives, quand et comment il a été exercé. D'anciens écrivains et des rédacteurs d'inscriptions ont fort bien pu se tromper dans le compte des dignités de Fabius et de Barbula; et la particularité de la souris criarde ne rend pas le résultat plus croyable. Ainsi nous ne nous arrêterons point à cette prétendue dictature, de laquelle nous n'aurions, au reste, rien de plus à raconter.

J'en dis autant du consulat de Marcus Æmilius Lépidus et de Valérius Lévinus, substitués, dit-on, à Véturius Philo et à Lutatius Catulus. C'est encore une conjecture imaginée par Sigonio, et suggérée par des lignes de Tite-Live, où il est dit que Lépidus et Lévinus ont été chacun deux fois consuls, quoique chacun de leurs noms ne se lise qu'une seule fois dans les Fastes Consulaires. Il faut de nécessité, dit-on, les faire quelque part consuls subrogés; mais de quel droit, pourtant, et à quel titre cassez-vous l'élection de Catulus et de Philo? Quel grief avez-vous contre eux?. Lisez-vous dans quelque livre ou sur quelque marbre

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