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ils méconnaissent une partie essentielle de l'histoire nationale.

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Mieux instruit et moins indulgent pour luimême à cet égard, Tite-Live se serait interdit peut-être tant d'épisodes oratoires de pure vention dans la première partie de ses Annales où les documents lui manquaient pour écrire autre chose qu'un simple abrégé. Mais le défaut même de documents sur ces époques reculées avait un sens pour l'annaliste qui aurait su profiter du silence de la tradition comme de son témoignage.

En effet, si les premiers siècles de Rome ne produisirent que des lois, des formules, quelques fragments poétiques et quelques oraisons funèbres; si vers le vie siècle seulement apparaît une véritable littérature écrite, c'est qu'alors une grande révolution s'opère dans les mœurs et les institutions romaines. Les lettres grecques viennent de pénétrer à Rome avec les captifs de Tarente, et les lettres latines se transforment sous l'influence active et continue d'une civilisation étrangère.

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Il reste encore aujourd'hui des traces de relations plus anciennes entre les deux peuples, par les colonies de la Campanie, de la Calabre 1 et de la Sicile. Les lois des Douze Tables présentent assez d'analogie avec celles de Solon pour autoriser la tradition qui les rattachait à cette ori

(1) Voyez l'anecdote racontée dans Cicéron, de Senectute, c. 12.

gine. Enfin, en remontant plus haut, on voit la famille des Tarquins introduire à Rome le nom et le culte de plusieurs divinités helléniques 1.

Mais avant les guerres des Samnites, avant les lois décemvirales, avant l'arrivée de Démarate en Italie, le latin était déjà constitué dans ses élements essentiels. Tous les mots qui expriment les relations de famille, les usages de l'agriculture, de la guerre ou du commerce, devaient être acquis à la langue, et ne pouvaient plus subir que de légères altérations. Or, presque tous ces mots appartiennent évidemment aux mêmes racines que les termes qui leur correspondent en grec; mais en même temps ils se distinguent facilement des mots empruntés à cette langue depuis la conquête de la Grèce. Ainsi l'identité radicale des mots Úπνоç et somnus, et celle de tous les noms de nombre était déjà reconnue par les grammairiens

latins 2, mais elle est un fait bien distinct de ces emprunts réfléchis que firent au grec Ennius et Caton pour enrichir leur idiome national 3. Si on veut retrouver vos dans somnus, il ne suffit pas d'une transcription littérale, il faut recourir aux secrètes analogies des lettres, à des lois de permutation, qu'une critique déjà exercée peut seule apercevoir.

Voilà donc une famille de mots latins proba

(1) Beaufort, la République romaine, liv. 1, c. 2. Cf. Cicéron, Rép., II, 19, et la note de M. Villemain sur ce chapitre.

(2) Voyez plus bas, pages 58, 59. Cf. Varron, de Ling. L., V, 96 ; et VII, 1. (3) Horace, de Arte Poetica, v. 59, sq. Cf. Epist., II, 2, v. 115 sq.

blement antérieure à toutes les relations politiques entre la Grèce et Rome; et il devient probable que, même avant le règne des Tarquins, la langue latine avait déjà puisé aux sources orientales. C'est-à-dire que tout n'était pas fiction dans les récits populaires sur la philosophie de Numa, sur l'origine des fondateurs d'Albe, sur le débarquement des Troyens en Italie; c'est-à-dire que l'affinité des idiomes révèle clairement l'affinité originelle des nations.

Ainsi, d'une même origine seront descendus, et les dialectes grecs, et les dialectes italiens qui plus tard formèrent le latin. Les premiers auront grandi de bonne heure sur une terre favorable aux inspirations du génie, tandis que les autres végétaient sans gloire au milieu des dures. nécessités de la vie pastorale et guerrière, sur un sol souvent ravagé par les révolutions. Durant plusieurs siècles les deux langues auront vécu solitaires, sans influence l'une sur l'autre. Le latin surtout, mal fixé par un petit nombre de monuments, se sera plus rapidement écarté de sa forme primitive en effet, du chant des Arvales aux Douze Tables la distance est plus grande que de l'Iliade aux histoires d'Hérodote.

Aussi quand les guerres de Pyrrhus rapprochèrent de nouveau la Grèce et Rome, les deux idiomes eurent peine à se reconnaître. Celui-ci ne gardait de son passé obscur que des textes officiels, quelques fragments poétiques, bien rudes

encore et bien grossiers, comme le peuple dont ils charmaient les rares loisirs. Le grec se présentait, au contraire, avec les prestiges d'une littérature savante, aimable et riche. Comme frère ou comme étranger, il fallut l'admirer et lui donner entrée dans la cité romaine la lutte n'était pas possible.

Græcia capta ferum victorem cepit, et artes
Intulit agresti Latio '.

Puis, quand les vainqueurs eurent beaucoup appris à l'école des vaincus 2, la critique naissant de l'érudition, et la comparaison perpétuelle des deux idiomes, en faisant jaillir des ressemblances inaperçues jusqu'alors, on reconnut qu'apprendre le grec, c'était souvent rapprendre le latin sous une autre forme. Ces vieilles monnaies latines, comme dégagées de la rouille du temps par une subtile analyse, laissèrent voir dans leur première

(1) Horace, Epist., II, 1, 156 sq.

(2) Le Grec Didyme, contemporain de César, et peut-être avant lui Tyrannion et Philoxène, avaient écrit sur la langue latine, surtout en vue de ses rapports avec leur langue maternelle. V. Lersch, Sprachphilosophie der Alten, I, p. 143; III, p. 164. Le grammairien Hypsicrate, qu'on trouvera cité plus bas, p. 32, et qui avait écrit un livre Super his quæ a græcis tracta sunt, appartenait sans doute à la même école.

31;

(3) Voyez plus bas, p. 32 et passim; Varron, de Lingua L., VI, 40; Festus, s. v. Petorritum. Cf. Denys d'Halic., Antiq. rom., I, 90; Quintilien, 1, 6, Philoxene ap. Bekker, Anecd. Gr., p. 1184; Athénée, X, p. 425 A; Priscien, XIV, 1 p. 584 éd. Krehl. Plusieurs des étymologies grecques proposées par ces vieux grammairiens nous font sourire aujourd'hui; elles ne doivent pas nous faire oublier les sages paroles de Varron au commencement de son septième livre de Lingua Latina: « De originibus verborum qui multa dixerit commode, potius boni consulendum, quam qui aliquid nequiverit reprehendendum; præsertim cum dicat etymologice non omnium verborum dici posse causam. »

empreinte le signe d'une antique fraternité; mais, chose singulière, à une époque ou la vanité romaine cherchait des aïeux dans la Grèce, et commandait l'Enéide à Virgile, quant la flatterie s'ingéniait à restaurer la généalogie troyenne des Jules, pas un poëte ne songea aux découvertes des grammairiens; pas un historien n'y chercha des arguments en faveur des récits qu'il emprun-. tait aux chroniques de sa patrie1! On aima mieux répéter, d'après Timée, Hiéronyme ou Dioclès, la fable du débarquement d'Enée, la légende miraculeuse des deux jumeaux de Rhéa Silvia, ou leur éducation à l'école grecque de Gabies, que de demander aux antiquités de la langue une preuve bien plus certaine de cette noblesse de sang dont on devenait si jaloux; il semble même que l'orgueil romain ne daignât pas s'abaisser à de pareils arguments. On trouvait plus simple d'affirmer que Rome, après avoir soumis le monde au joug de ses lois, pouvait bien lui imposer aussi le joug de ses croyances et de ses vieilles traditions: c'est du moins l'aveu de Tite-Live 2.

Mais, sans s'élever jusqu'à ces hautes conséquences des faits aperçus par la philologie naissante, si quelque annaliste eût exploré méthodi

(1) Il faut prendre acte cependant de quelques lignes écrites en ce sens par Denys d'Halicarnasse, Antiq. rom., I, 90.

(2) Præfatio: Datur hæc venia antiquitati, ut miscendo humana divinis primordia urbium augustiora faciat. Et si cui populo licere oportet consecrare origines suas et ad Deos referre auctores, ea belli gloria est populo romano, ut quum suum conditorisque sui parentem Martem potissimum ferat, tam et hoc gentes humanæ patiantur æquo animo, quam et imperium patiuntur.

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