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faites pour être chantées, ne doivent pas ressembler aux odes grecques et latines. La plupart, au contraire, sont des discours en vers, à peu près aussi suivis, aussi bien liés qu'ils le seraient en prose. Je ne dis pas qu'il faille nous en blâmer absolument; mais ne seraient-elles pas susceptibles d'un peu plus d'enthousiasme et de rapidité qu'on n'en remarque, même dans nos plus belles ? C'est ce qu'il sera temps d'examiner quand il sera question des lyriques modernes '.

1 Parmi eux, la première place appartient, sans contredit, à Rousseau. Mais en finissant cet article, peutêtre n'est-il pas inutile d'observer, pour l'intérêt du goût, quel tort lui font ceux qui, rédigeant au hasard des livres élémentaires, des poétiques, des rhétoriques à l'usage des jeunes gens, les induisent en erreur, en citant, à l'appui d'un nom célèbre, de très-mauvais vers, dont il ne faudrait parler que pour en faire voir les défauts, bien loin de les rapporter comme des autorités. Tous ces conpilateurs qui se copient fidèlement les uns les autres, et dont le nombre est infini, ne manquent jamais, à propos d'Horace, de transcrire le jugement qu'en a porté Rousseau dans une de ses épîtres. Le voici :

Non moins brillant, quoique sans étincelle,
Le seul Horace en tous genres excelle,
De Cythérée exalte les faveurs,
Chante les dieux, les héros, les buveurs;
Des sots auteurs berne les vers ineptes,
Nous instruisant par grucieux préceptes
Et par sermons de joie antidotés

De jeunes étudians, dont le goût ne peut pas encore

être formé, se mettent ces vers dans la memoire, parce qu'on les leur a fait répéter dans leurs exercices du collége, et les croient bons parce qu'ils sont de Rousseau. Il faudrait au contraire leur faire voir tous les vices de ce style, et combien il rassemble de fautes. Il n'est pas vrai qu'Horace soit sans étincelles : il en a de plus d'une sorte, s'il est vrai qu'on doive entendre par ce mot des traits saillans; ses odes surtout en sont pleines. Ce vers de Rousseau semblerait dire que les étincelles sont un défaut; mais jamais ce mot n'a été pris en mauvaise part; et quoiqu'un mauvais ouvrage puisse avoir des étincelles, rien n'empêche qu'il n'y en ait dans les meilleurs. Dire qu'un écrivain tel qu'Horace exalte les faveurs de Cythérée, c'est s'exprimer d'une manière froide et flasque. Le plus mince rimailleur peut exalter ces faveurs-là; mais un Horace, un Chaulieu, un Tibulle, en parlant en amans et en poëtes, les sentent et les font sentir, et ne les exaltent pas. Berner les vers ineptes est une expression basse qui ne peut passer dans un morceau sérieux, et la rime d'ineptes et de préceptes est d'une dureté choquante dans un endroit qui devrait avoir de la grâce. Instruire par préceptes et par sermons est une construction marotique très-déplacée quand on donne des leçons, et qu'on cite un modèle ; et des sermons de joie antidotés sont d'un jargon barbare qu'il faudrait réprouver par tout. Ces remarques n'empêchent pas que Rousseau ne soit, dans d'autres ouvrages, un excellent versificateur; mais c'est pour cela même qu'il ne faut pas aller chercher ce qu'il a de plus mauvais pour le placer dans des livres didactiques : c'est un piége tendu à la jeunesse, que ces livres devraient éclairer.

CHAPITRE VIII.

DE LA POÉSIE PASTORALE ET DE LA Fable chez les ANCIENS.

SECTION PREMIÈRE.

Pastorales.

Il n'y a point de poésie plus décréditée parmi nous, ni qui soit plus étrangère à nos mœurs et à notre goût. Ce n'est pas la faute du genre, qui, comme tous les autres, est bon quand il est bien traité, et qui a de l'agrément et du charme : c'est que notre manière de vivre est trop loin de la nature champêtre, et que les modèles de la vie pastorale et des douceurs dont elle est susceptible n'ont jamais été sous nos yeux. C'est dans des climats favorisés de la nature, sous un beau ciel, dans une condition douce et aisée, que les bergers et les habitans des hameaux peuvent res sembler en quelque chose aux bergers de Théocrite et de Virgile. Ce qui le prouve, c'est que les combats de la flûte, tels que nous les voyons' tracés dans les églogues grecques et latines, sont

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encore en usage en Sicile. Il ne faut donc pas croire que ce soit un jeu de l'imagination des poëtes. De tout temps la poésie a été imitatrice; et des paysans grossiers, misérables, abrutis par la misère, la crainte et le besoin, n'auraient jamais pu inspirer aux poëtes l'idée d'une églogue. Les poëtes embellissent, il est vrai, mais il faut que l'objet les ait frappés avant qu'ils songent à l'orner ils ne peignent pas le contraire de ce qu'ils voient. Sans doute nos bucoliques modernes ne sont que des imitations des anciens, ne sont des jeux d'esprit; il n'y a plus parmi nous de Corydons ni de Thyrsis: mais il y en avait en Grèce et en Italie; le goût du chant et de la poésie n'y était point étranger aux pasteurs. Il y a des climats où ce goût est naturel, et pour ainsi dire un fruit du sol et un don de la nature. Jugeons-en seulement par nos provinces du midi de la France. Qui ne connaît pas la gaieté des danses et des chansons provençales? Leurs couplets amoureux et leurs airs tendres sont venus du fond des campagnes jusque sur les théâtres de la capitale. C'est que, partout où l'on ressent les influences d'une nature riante et bienfaitrice, on se livre aisément à tous les plaisirs faciles et simples, à tous les goûts innocens qu'elle a mis à la portée de tous les hommes. Voilà dans quel esprit il faut lire les idylles champêtres de Théocrite, et les églogues de Virgile.

On sait que Théocrite était né à Syracuse. On remarque dans ses poésies du naturel et de la grâce, le talent de peindre des sentimens doux, et même, dans quelques-unes de ses pièces, des passions fortement exprimées. Celle où il représente une bergère employant les enchantemens pour ramener un amant volage a été regardée par Racine comme un des morceaux les plus passionnés qu'il y eût chez les anciens. Son caractère dominant est la simplicité et la vérité; mais cette simplicité n'est pas toujours intéressante, et va quelquefois jusqu'à la grossièreté. Il offre au lecteur trop de circonstances indifférentes, trop de détails communs, et ses sujets ont entre eux trop de ressemblance. La plupart sont des combats de flûte et des querelles de bergers. Il est vrai qu'il a fait trente églogues, et que Virgile, son imitateur, n'en a fait que dix. Mais aussi Virgile est beaucoup plus varié : il est aussi plus élégant; ses bergers ont plus d'esprit, sans jamais en avoir trop; son harmonie est d'un charme inexprimable; il a un mélange de douceur et de finesse qu'Horace regarde avec raison comme un présent particulier que lui avaient fait les Muses champêtres, molle atque facetum. Il vous intéresse encore plus vivement que Théocrite aux jeux et aux amours de ses bergers: nulle nẻ, gligence, nulle langueur; tout est vrai, et pourtant tout est choisi. Enfin cette perfection de

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