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ont jugé des poëmes hébreux d'après les facéties de Voltaire, comme ils parlaient des pièces de Voltaire lui-même d'après les feuilles de Fréron.

On ne se flatte pas d'imposer silence à cette espèce d'hommes, sur qui la raison a perdu ses droits, surtout depuis que la déraison est, de toutes les puissances, la plus accréditée. Mais, comme un des vices de l'esprit français est d'être plus susceptible qu'aucun autre de la contagion du ridicule, bien ou mal appliqué, il n'est pas inutile de rétablir la vérité, du moins pour ceux qui, étant capables encore de l'entendre, n'ont besoin que de la connaître. Il faut leur donner une juste idée de ce qu'on leur a présenté comme un objet de risée, et réduire à leur juste valeur les plaisanteries et les objections également mal fondées, qui tiennent si souvent lieu de critique et de raisonnement. C'est ici seulement que je me permettrai quelque discussion littéraire, parce qu'elle est d'une utilité générale, et qu'elle tient à un intérêt réel, celui d'ôter à l'irréligion le mobile de l'amour-propre, en faisant voir que ce qu'elle prend pour une preuve de supériorité, en fait de critique et de goût, n'est qu'une preuve d'ignorance; en faisant voir combien il est aisé de confondre un mépris aussi injuste en lui-même que pernicieux dans ses conséquences, et de détruire des préventions qui n'ont été répandues que par la mauvaise foi, et adoptées que par la légè

reté. D'ailleurs, si ce discours n'est pas en tout, comme le reste de l'ouvrage, à la portée de toutes les classes de lecteurs, il peut au moins servir à ceux qui influent naturellement sur l'esprit général.

On peut dire d'abord aux contempteurs sur parole : « Si vous déférez au nom et à l'autorité, Voltaire est ici seul contre tous, et son jugement est en lui-même suspect, comme tout jugement ab irato, puisque sa hame forcenée contre la religion l'a jeté dans des écarts qui ont fait rire plus d'une fois jusqu'à ses amis. Et puis, lequel vaut le mieux, s'il s'agit d'esprit et de talens, ou de n'avoir vu dans l'Écriture, comme Voltaire, que de quoi égayer sa muse par des impiétés, ou d'y avoir vu, comme Racine, de quoi faire Esther et Athalie, et, comme Rousseau, des odes sacrées, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus parfait dans la poésie française? Réfléchissez, et jugez. »

Ensuite, quel artifice plus grossier et plus méprisable que celui dont Voltaire et ses imitateurs se sont servis pour donner le change sur des ouvrages écrits dans la plus ancienne de toutes les langues connues? Ils les ont offerts dépouillés de leurs couleurs natives, et habillés de la troisième ou quatrième main, dans des versions platemen littérales, ou même odieusement infidèles ; et qu'y a-t-il au monde qu'il ne soit aisé de défigurer ainsi? Traduisez mot à mot Virgile lui-même, quoique

bien moins ancien et bien moins éloigné du goût de notre langue, et vous verrez ce qu'il deviendra. On se souvient encore combien tous les gens de lettres du dernier siècle se moquèrent de Perrault, qui, ne sachant pas un mot de grec, voulait absolument qu'on jugeât Pindare sur un plat français traduit d'un plat latin '. Quoi de plus inepte, en effet, que de juger une poésie grecque sur le latin littéral d'un scoliaste; et comment un homme tel que Voltaire, qui avait tant de fois bafoué ce geure d'ineptie dans les censeurs de l'antiquité, en faitil lui-même le principe de sa critique des livres saints, au risque de faire rire tous les lecteurs in

le mot

1 Il fut assez maladroit pour choisir précisément un morceau sublime, le début de la première Pythique, qu'il trouvait extrêmement ridicule; et c'est à lui que le ridicule est resté. Il avait lu, dans un latin fait pour des écoliers, optimum quidem aqua, et il a traduit de même, l'eau est très-bonne à la vérité. Il ne savait pas que grec offre ici l'idée de l'eau élément; et que celui qui répond au latin optimum n'exprime point ici la bonté, mais la prééminence; que la particule grecque qui répond à quidem, et qu'il traduit, à la vérité, n'est qu'une explétive qui marque à l'esprit l'ordre des idées, et qui souvent ne doit pas se traduire, surtout par ces mots, à la vérité, qui feraient tomber parmi nous le vers d'ailleurs le plus sublime. Que de choses tiennent au génie d'une langue, et qui défendent de juger, à moins de la savoir!

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struits? C'est que la haine ne voit rien que son but, qui est de se satisfaire et de tromper. On a beau lui crier : << Mais tu ne tromperas que les sots et les ignorans. » Elle répond : « Que m'importe? n'estce pas le grand nombre ? »

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Enfin, depuis quand la parodie, dont l'objet n'est que de divertir, est-elle une méthode pour juger? Voltaire jetait les hauts cris quand on parodiait ses tragédies : il n'a pas assez d'expressions pour faire sentir combien c'est un genre détestable, l'ennemi du génie et le scandale du goût; et il est très-vrai que ce qu'il y a de plus sublime est précisément ce qui prête le plus au plaisant de la parodie, comme les taches marquent davantage sur l'étoffe la plus riche et sur la couleur la plus brillante. Voltaire le savait mieux que personne, et il fait le drame de Saül, où il parodie, entre autres choses, la manière dont le prophète Nathan arrache à David l'aveu et la condamnation de son crime, et le force de prononcer lui-même sa sentence ; c'est-à-dire que Voltaire livre au ridicule ce qui, en tout temps et en tout pays, indépendamment de toute croyance religieuse, frappera d'admiration sous tous les rapports. Faites prononcer devant les hommes rassemblés, quelque part que ce soit, ces mots si simples et si foudroyans: Tu es ille vir, «Vous êtes cet homme, » et tout retentira d'acclamations. Je voudrais bien qu'on me dît ce qu'il peut y avoir de mérite et d'esprit à

trouver cela risible, et je suis sûr qu'aujourd'hui même personne ne me le dira. Et qu'aurait dit Voltaire, si l'on avait jugé Zaïre sur la parodie des Enfans trouvés, et Andromaque sur la Folle Querelle? C'est pourtant ce qu'il faisait et ce qu'il voulait qu'on fît pour David; et David lui aurait suffisamment répondu par ce mot si connu d'un de ses psaumes: Mentita est iniquitas sibi, « L'i>> niquité a menti contre elle-même. »

Il savait bien nous dire, quand il voulut justifier son 1 Cantique des Cantiques, contre l'autorité qui l'avait condamné, « qu'il ne fallait pas ju» ger des mœurs des Orientaux par les nôtres, ni » de la simplicité des premiers siècles par la cor» ruption raffinée de nos temps modernes; que nos petites vanités, nos petites bienséances hypo>> crites, n'étaient pas connues à Jérusalem, et >> qu'on pensait et qu'on s'exprimait autrement à >> Jérusalem que dans la rue Saint-André-des» Arts 2. » Rien n'est plus vrai ni plus juste. Pourquoi donc oublie-t-il cette vérité et cette justice

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1 On peut bien dire son cantique, car ce n'est pas celui de Salomon.

2 Ce sont là à peu près, autant qu'il m'en souvient, les termes de sa Lettre à M. Clocpitre, et c'en est très-certainement la substance, quoique que je ne puisse citer ici que de mémoire, n'ayant point les ouvrages sous mes yeux, et obligé souvent de travailler sans livres. C'est mon excuse, quand mes citations ne seront pas tout-à-fait exactes dans les mots; mais je garantis les choses.

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