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le modèle aura devancé d'un demi siècle au moins l'imitation. C'est d'ailleurs l'opinion de M. Grimm 1), et c'est lui aussi qui a fait cette réflexion: » Quand l'idée vint à un ecclésiastique de traiter, dans un poëme latin, un épisode de tout un cycle, ce cycle devait bien depuis longtemps avoir eu cours dans la tradition ou les chansons en langue vulgaire" "). Longtemps avant 1100!

Le même raisonnement peut s'appliquer à la 20° branche du Roman de Renart de l'édition de Méon, qui raconte en détail la guerre du loup et du renard.

M. Paris en place la composition en 1147 3). S'il était démontré que la rédaction que nous connaissons n'est aussi qu'un remaniement d'un poëme antérieur, celui-ci remonterait bien à 1100, et la tradition où il a été puisé devrait avoir été connue au moins dès le onzième siècle.

Or, en effet, dans un des chapitres suivants, j'espère prouver que la branche 20 est une imitation d'un poëme plus ancien.

Enfin » un passage célèbre de Guibert de Nogent, écrivain mort en 1124, nous apprend que déjà l'usage existoit en 1112 de donner au loup le surnom d'Ysengrin" 4).

Je vais plus loin, et je pense que de ce passage résulte aussi que la guerre entre Ysengrin et Renart était déjà une tradition populaire à cette époque.

1) Reinhart Fuchs, p. LXV-LXVI.

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2) Wenn ein geistlicher darauf verfiel, eine aus einem ganzen cyclus genommene einzelne materie lateinisch zu dichten, muste wol jener in tradition oder liedern der volkssprache lange umgegangen sein." Ibidem, p. LXVI.

3) Nouvelle étude etc., à la suite de Les aventures de maître Renart, etc. p. 337.

4) M. Paulin Paris, Ibidem, p. 329.

L'abbé Guibert écrivit son autobiographie (de vita sua). Dans le livre I, chap. 8, il raconte 1) le meurtre de Gualdricus ou Waldricus, évêque de Laon en 1112. Les meurtriers cherchèrent l'évêque partout, jusque dans la dans la cave où il s'était caché. >> Cum itaque per singula eum vasa disquirerent, iste (Teudegaldus, le chef de la bande) pro fronte tonnulae illius, in qua latebat homo, substitit, et retuso obice sciscitabatur ingeminando » quis esset?" Cumque vix, eo fustigante, gelida jam ora movisset, captivus" inquit. Solebat autem episcopus eum Isengrinum irridendo vocare, propter lupinam speciem: sic enim aliqui solent appellare lupos. Ait ergo scelestus ad praesulem: » hiccine est dominus Isengrinus repositus ? Renulfus igitur, quamvis peccator, christus [=unctus] tamen domini, de vasculo cappillis detrahitur."

Ce passage est assez connu. Si je l'ai transcrit en entier, c'est qu'il donne lieu à une observation critique.

La fin de ce passage, c'est M. Grimm qui en a fait la remarque 2), est obscure, et l'on ne voit pas pourquoi l'évêque y est appelé Renulfus 3). J'ajouterai que je ne comprends pas pourquoi le chef des meurtriers, auquel l'évêque avait coutume d'appliquer le surnom d'Ysengrin, lui rétorque ce sobriquet. M. Grimm se demande si Guibert, au lieu de Renulfus,

1) Dans l'édition de ses Opera omnia, publiée par d'Achéry, Paris 1651, p. 507 suiv.

2) Reinhart Fuchs, p. CXCVI, note 2.

3) M. Édélestand du Méril, en reproduisant une partie du passage cité, Poésies inédites du moyen âge, p. 127, note 3, donne à l'évêque le nom de Renulfus, sans dire qu'il s'appelait proprement Waldricus.

n'a pas ecrit Renardus, à moins que Renulfus n'eût pour lui le même sens? Dans ce cas, il faudrait aussi corriger la demande précédente et y lire: dominus Renardus.

Rien ne me semble plus naturel que de corriger la phrase incompréhensible de manière à ce que le scélérat, que l'évêque appelait Ysengrin, l'ait apostrophé par le nom du mortel ennemi du goupil, comme pour lui faire pressentir le sort qu'il lui réservait. Du reste la situation du prélat traqué jusque dans les recoins obscurs de sa cave, devait lui suggérer la pensée que l'auteur de la Chanson des Lorrains exprimait ainsi à propos d'une situation analogue 1):

Renart resenble qu'en la taisnière est mis.

Il faudra donc corriger le texte de cette manière: » Ait ergo scelestus ad praesulem: »Hiccine est dominus Reinardus repositus?" Reinardus igitur.

vasculo capillis detrahitur."

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de

Ce récit nous démontre non-seulement que vers 1112 un homme violent et méchant pouvait être désigné par le surnom du loup, mais encore que l'antagonisme entre Renart et Ysengrin était chose connue. N'en peut-on pas conclure que cette tradition était déjà familière aux populations du Nord de la France pendant un certain nombre d'années? N'est-on pas en droit de présumer qu'elle existait au moins dès la seconde moitié du xre siècle?

Toutes ces considérations ne semblent-elles pas plaider en faveur de l'opinion qui donne à la légende de Renart une origine populaire?

Fauriel a déjà répondu péremptoirement à cette

1) Li Romans de Garin le Loherain, publ. par M. Paulin Paris, tom. II, p. 53.

question. »>Il est bien difficile, dit-il 1), pour ne pas dire impossible, de concevoir que des fables qui avoient une prise si forte sur l'imagination de la multitude, ne fussent pas écrites dans la langue du peuple, dans un des dialectes français."

Or, la tradition où se trouvent mêlés les noms de Renart et d'Ysengrin une fois admise, n'est-il pas naturel de la faire remonter à un temps où ces noms significatifs furent donnés aux héros qui les immortalisèrent depuis?

M. Paris s'oppose à ce qu'on remonte si haut. Rien ne nous y autorise, dira-t-il, parce que ces noms n'ont pas la signification que vous leur attribuez.

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Sauf les noms de Hersent, la louve, et de Richeut, la » gorpille", qui » semblent bien la propriété exclusive" du trouvère qui écrivit la première branche française, les noms des autres animaux introduits dans Renart, ou sont empruntés aux hommes, ou rappellent l'apparence, le caractère, la démarche ou la voix de ceux auxquels on les donne" 2). Ces derniers >> furent parlans", tandis que » les premiers furent de pure fantaisie, ou le reflet d'une impression passagère." Car pour les uns, comme pour les autres, il n'y eut, dans le choix qu'on en fit, aucun système, aucun parti pris à l'avance; comme il n'y a pas dans celui que font de leurs personnages nos auteurs de comédies" 3).

en

Je ne comprends pas la logique de ce raisonnement. Il n'y eut dans le choix des noms » aucun système, aucun parti pris à l'avance": cependant

1) Histoire Littéraire de la France, tom. XXII, p. 901.

2) Nouvelle étude sur le Roman de Renart, à la suite de Les aventures de maître Renart, etc. p. 348 ct 352.

3) Ibidem, p. 352.

il y en a pas mal qui sont » parlans." Est-ce le hasard qui a fait nommer le taureau Bruiant, le mouton Belin, le coq Chantecler, l'ours Brun, le limaçon Tardif? Et aurait-on, en choisissant sans système, pu appeler le taureau Chantecler et le mouton Brun, comme par exemple Mathilde de Pierreval, dans » La Joie fait peur" aurait pu s' appeler de tout autre nom, si madame de Girardin l'eut voulu?

M. Paris est le dernier qui en conviendrait, car il avoue que ces noms sont » si ingénieusement trouvés." Alors que signifie l' assertion qu' ils furent choisis. sans aucun système, sans aucun parti pris à l'avance?

Si les noms » parlans" furent » ingénieusement trouvés," est-il vraisemblable que les autres, empruntés aux hommes, »> furent de pure fantaisie," ou simplement » le reflet d'une impression passagère?" L'un est aussi peu probable que l'autre.

Ils seraient le reflet d'une impression passagère, c'est-à-dire qu' » il a pu suffire qu' au temps de nos poëtes des individus du nom de Theodebert ou Tibert, Grimbert, etc. aient été surnommés le Chat, le Blaireau, etc. pour que les auteurs de Renart aient retourné les surnoms en faveur des animaux qu'ils mettoient en scène" 1).

Il y aurait là plus que le reflet d'une impression passagère: ce serait de la satyre personnelle. Elle a joué son rôle dans le Renart, et c'est probablement la raison qui nous empêche de nous rendre compte de la portée de certains noms 2). Mais de la satyre à un choix de pure fantaisie il y a loin.

Au reste, les noms empruntés à des hommes dans

1) Nouvelle étude sur le Roman de Renart, à la suite de Les aventures de maître Renart, etc. p. 352.

2) Voyez M. Grimm, Reinhart Fuchs, p. CCXLV-CCXLVI.

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