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Et si je ne m'abuse à lire dans son ame,

Il vous commandera de répondre à sa flamme.
CHIMENE.

Dis-moi donc, je te prie, une seconde fois

Ce qui te fait juger qu'il approuve mon choix;
Apprends-moi de nouveau quel espoir j'en dois prendre;
Un si charmant discours ne se peut trop entendre;

Tu ne peux trop promettre aux feux de notre amour
La douce liberté de se montrer au jour.

Que t'a-t-il répondu sur la secréte brigue

Que font auprès de toi don Sanche et don Rodrigue?
N'as-tu point trop fait voir quelle inégalité

Entre ces deux amants me penche d'un côté?

ELVIRE.

Non, j'ai peint votre cœur dans une indifférence
Qui n'enfle d'aucun d'eux, ni détruit l'espérance,
Et sans les voir d'un œil trop sévère ou trop doux,
Attend l'ordre d'un père à choisir un époux.

ELVIRE.

Deux mots dont tous vos sens doivent être charmés :

Il estime Rodrigue autant que vous l'aimez.

CHIMENE.

L'excès de ce bonheur me met en défiance.

Puis-je à de tels discours donner quelque croyance?

ELVIRE.

Il passe bien plus outre; il approuve vos feux,

Et vous doit commander de répondre à ses vœux.

Jugez, après cela, puisque tantôt son père,

Au sortir du conseil, doit proposer l'affaire,

S'il pouvoit avoir lieu de mieux prendre son temps.

de Chimène plus développé, le caractère du comte de Gormas déja annoncé; et qu'enfin, malgré tous les défauts qu'on reprochait à Corneille, il eût encore mieux valu laisser la tragédie comme elle était que d'y faire ces faibles changements: c'était l'amour de l'infante qu'il devait retrancher; c'étaient les fautes dans le détail qu'il eût fallu corriger. (V.)

Ce respect l'a ravi, sa bouche et son visage
M'en ont donné sur l'heure un digne témoignage;
Et puisqu'il vous en faut encor faire un récit,
Voici d'eux et de vous ce qu'en hâte il m'a dit :

<< Elle est dans le devoir, tous deux sont dignes d'elle, «< Tous deux formés d'un sang noble, vaillant, fidéle,' Jeunes, mais qui font lire aisément dans leurs

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« L'éclatante vertu de leurs braves aïeux.

« Don Rodrigue sur-tout n'a trait en son visage,

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yeux

Qui d'un homme de cœur ne soit la haute image,

« Et sort d'une maison si féconde en guerriers,

Qu'ils y prennent naissance au milieu des lauriers. « La valeur de son père en son temps sans pareille, « Tant qu'a duré sa force, a passé pour merveille ' ; « Ses rides sur son front ont gravé ses exploits2,

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A passé pour merveille a été excusé par l'Académie : aujourd'hui cette expression ne passerait point; elle est commune, froide, et lâche. Les premiers qui écrivirent purement, Racine et Boileau, ont proscrit tous ces termes de merveille, sans pareille, sans seconde, miracle de nos jours, soleil, etc.; et plus la poésie est devenue difficile, plus elle est belle. (V.)

2

Voyez le jugement de l'Académie, auquel nous renvoyons pour la plupart des vers qu'elle a censurés ou justifiés.

Racine se moqua de ce vers dans la farce des Plaideurs; il y dit d'un vieux huissier :

Ses rides sur son front gravoient tous ses exploits. Cette plaisanterie ne plut point du tout à l'auteur du Cid. (V.)

Racine ne se moqua point de ce vers; il se permit de le parodier plaisamment dans la comédie, et non dans la farce des Plaideurs, comme Voltaire l'appelle; mais on parodie de beaux vers sans ́avoir l'intention de s'en moquer; et, si cette liberté déplut à Corneille, il fut injuste envers Racine, qui savoit mieux que personne apprécier le mérite de ce grand poëte. (P.)

Et nous disent encor ce qu'il fut autrefois.

« Je me promets du fils ce que j'ai vu du père;

« Et ma fille, en un mot, peut l'aimer et me plaire. »
Il alloit au conseil, dont l'heure qui pressoit
A tranché ce discours qu'à peine il commençoit;
Mais à ce peu de mots je crois que sa pensée
Entre vos deux amants n'est pas fort balancée.
Le roi doit à son fils élire un gouverneur,
Et c'est lui que regarde un tel degré d'honneur;
Ce choix n'est pas douteux, et sa rare vaillance
Ne peut souffrir qu'on craigne aucune concurrence.
Comme ses hauts exploits le rendent sans égal,
Dans un espoir si juste il sera sans rival :
Et puisque don Rodrigue a résolu son père
Au sortir du conseil à proposer l'affaire',
Je vous laisse à juger s'il prendra bien son temps,

Et si tous vos desirs seront bientôt contents.

CHIMENE.

Il semble toutefois que mon ame troublée
Refuse cette joie, et s'en trouve accablée,

Un moment donne au sort des visages divers",

1

Proposer l'affaire est encore du style comique; mais observons que le Cid fut donné d'abord sous le titre de tragi-comédie. (V.)

1 Ces pressentiments réussissent presque toujours. On craint avec le personnage auquel on commence à s'intéresser. Mais il faudrait peut-être une autre cause à ce pressentiment que le lieu commun des changements du sort, et une autre expression que les visages divers. Ce morceau est traduit de Diamante :

El alma indecisa
Teme llegar á anegarse
En ese profundo abismo

Et dans ce grand bonheur je crains un grand revers.

ELVIRE.

Vous verrez cette crainte heureusement déçue '.

CHIMENE.

Allons, quoi qu'il en soit, en attendre l'issue.

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1 VARIANTE. Vous verrez votre crainte heureusement déçue.

2 C'est ici un défaut intolérable pour nous. La scène reste vide, les scènes ne sont point liées, l'action est interrompue. Pourquoi les acteurs précédents s'en vont-ils? pourquoi ces nouveaux acteurs viennent-ils ? comment l'un peut-il s'en aller et l'autre arriver sans se voir? comment Chimène peut-elle voir l'infante sans la saluer? Ce grand défaut était commun à toute l'Europe, et les Français seuls s'en sont corrigés. Plus il est difficile de lier toutes les scènes, plus cette difficulté vaincue a de mérite; mais il ne faut pas la surmonter aux dépens de la vraisemblance et de l'intérêt. C'est un des secrets de ce grand art de la tragédie, inconnu encore à la plupart de ceux qui l'exercent. Non seulement on a retranché cette scène de l'infante, mais on a supprimé tout son rôle; et Corneille ne s'était permis cette faute insupportable que pour remplir l'étendue malheureusement prescrite à une tragédie. Il vaut mieux la faire beaucoup trop courte : un rôle superflu la rend toujours trop longue. (V.)

3 VAR. Va-t'en trouver Chimène, et lui dis de ma part.

Qu'aujourd'hui pour me voir elle attend un peu tard, Et que mon amitié se plaint de sa paresse.

LÉONOR.

(Le page rentre.)

Madame, chaque jour même desir vous presse;
Et dans son entretien je vous vois chaque jour 1
Demander en quel point se trouve son amour.

L'INFANTE.

Ce n'est pas sans sujet; je l'ai presque forcée
A recevoir les traits dont son ame est blessée :
Elle aime don Rodrigue, et le tient de ma main,
Et par
moi don Rodrigue a vaincu son dédain;
Ainsi de ces amants ayant formé les chaînes,
Je dois prendre intérêt à voir finir leurs peines 2.

LÉONOR.

Madame, toutefois parmi leurs bons succès
Vous montrez un chagrin qui va jusqu'à l'excès 3.
Cet amour, qui tous deux les comble d'alégresse,
Fait-il de ce grand cœur la profonde tristesse?
Et ce grand intérêt que vous prenez pour eux
Vous rend-il malheureuse alors qu'ils sont heureux?
Mais je vais trop avant et deviens indiscrète.

VAR. Et je vous vois, pensive et triste chaque jour,
L'informer avec soin comme va son amour *.

L'INFANTE.

J'en dois bien avoir soin; je l'ai presque forcée
A recevoir les coups dont son ame est blessée.

2 VAR. Je dois prendre intérêt à la fin de leurs peines.

3 VAR. On vous voit un chagrin qui va jusqu'à l'excès.

Yoilà une nouvelle excuse du titre de tragi-comédie; comme va son amour! Qu'auraient dit les Grees, du temps de Sophocle, à une telle demande? Nous ne ferons point de remarques sur les défauts de ce rôle, qu'on a retranché entièrement. (V.)

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