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ACTE PREMIER.

SCÈNE I.

PRIDAMANT, DORANTE.

DORANTE.

Ce mage, qui d'un mot renverse la nature 2,
N'a choisi pour palais que cette grotte obscure.
La nuit qu'il entretient sur cet affreux séjour,

N'ouvrant son voile épais qu'aux rayons d'un faux jour,

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Ce qu'on n'a point assez remarqué, c'est que Corneille, quoique naturellement porté au grand et au sublime, ait pu méconnoître si long-temps la carrière où l'appeloit son génie. Un goût de préférence parut d'abord l'entraîner vers la comédie; et même après Médée, qui fut son premier essai dans le genre tragique, et dans laquelle on découvre déja des beautés d'un ordre supérieur, il y fut encore ramené par la force de l'habitude. Il donna l'Illusion, pièce plus bizarre qu'agréable, et qui, loin d'annoncer des progrès, devoit, après un ouvrage tel que Médée, être plutôt regardée comme une chute. Cette comédie parut d'abord sous le titre de l'Illusion comique.

2 VARIANTE. Ce grand mage, dont l'art commande à la nature.

De leur éclat douteux n'admet en ces lieux sombres

Que ce qu'en peut souffrir le commerce des ombres.
N'avancez pas, son art au pied de се rocher

A mis de quoi punir qui s'en ose approcher;
Et cette large bouche est un mur invisible,
Où l'air en sa faveur devient inaccessible,
Et lui fait un rempart, dont les funestes bords
Sur un peu de poussière étalent mille morts.
Jaloux de son repos plus que de sa défense,
Il perd qui l'importune, ainsi que qui l'offense;
Malgré l'empressement d'un curieux desir',
Il faut, pour lui parler, attendre son loisir :
Chaque jour il se montre, et nous touchons à l'heure
Où, pour se divertir, il sort de sa demeure.

PRIDAMANT.

J'en attends peu de chose, et brûle de le voir.
J'ai de l'impatience, et je manque d'espoir.
Ce fils, ce cher objet de mes inquiétudes,
Qu'ont éloigné de moi des traitements trop rudes,
Et que depuis dix ans je cherche en tant de lieux,
A caché pour jamais sa présence à mes yeux.

Sous ombre qu'il prenoit un peu trop de licence, Contre ses libertés je roidis ma puissance;

Je croyois le dompter à force de punir,
Et ma sévérité ne fit que le bannir.

Mon ame vit l'erreur dont elle étoit séduite:
Je l'outrageois présent, et je pleurai sa fuite;
Et l'amour paternel me fit bientôt sentir

1 VAR. Si bien que ceux qu'amène un curieux desir,
Pour consulter Alcandre, attendent son loisir.

D'une injuste rigueur un juste repentir.

Il l'a fallu chercher : j'ai vu dans mon voyage
Le Pô, le Rhin, la Meuse, et la Seine, et le Tage:
Toujours le même soin travaille mes esprits;
Et ces longues erreurs ne m'en ont rien appris.
Enfin, au désespoir de perdre tant de peine,
Et n'attendant plus rien de la prudence humaine,
Pour trouver quelque borne à tant de maux soufferts',
J'ai déja sur ce point consulté les enfers;

J'ai vu les plus fameux en la haute science
Dont vous dites qu'Alcandre a tant d'expérience:
On m'en faisoit l'état que vous faites de lui,
Et pas un d'eux n'a pu soulager mon ennui.
L'enfer devient muet quand il me faut répondre,
Ou ne me répond rien qu'afin de me confondre.

DORANTE.

Ne traitez pas Alcandre en homme du commun;
Ce qu'il sait en son art n'est connu de pas un.

Je ne vous dirai point qu'il commande au tonnerre,
Qu'il fait enfler les mers, qu'il fait trembler la terre,
Que de l'air, qu'il mutine en mille tourbillons,
Contre ses ennemis il fait des bataillons,
Que de ses mots savants les forces inconnues
Transportent les rochers, font descendre les nues,
Et briller dans la nuit l'éclat de deux soleils;
Vous n'avez pas besoin de miracles pareils :

I VAR. Pour trouver quelque fin à tant de maux soufferts.
* VAR. J'ai vu les plus fameux en ces noires sciences.

On en faisoit l'état que vous faites de lui.

Il suffira pour vous qu'il lit dans les pensées,
Qu'il connoît l'avenir et les choses passées ';
Rien n'est secret pour lui dans tout cet univers,
Et pour lui nos destins sont des livres ouverts.
Moi-même, ainsi que vous, je ne pouvois le croire:
Mais, sitôt qu'il me vit, il me dit mon histoire;
Et je fus étonné d'entendre le discours

Des traits les plus cachés de toutes mes amours 2.

PRIDAMANT.

Vous m'en dites beaucoup.

DORANTE.

J'en ai vu davantage.

PRIDAMANT.

Vous essayez en vain de me donner courage,
Mes soins et mes travaux verront, sans aucun fruit,
Clore mes tristes jours d'une éternelle nuit.

DORANTE.

Depuis que j'ai quitté le séjour de Bretagne
Pour venir faire ici le noble de campagne,

Et que deux ans d'amour, par une heureuse fin,
M'ont acquis Silvérie et ce château voisin,
De pas un, que je sache, il n'a déçu l'attente:
Quiconque le consulte en sort l'ame contente.
Croyez-moi, son secours n'est pas à négliger:
D'ailleurs, il est ravi quand il peut m'obliger;
Et j'ose me vanter qu'un peu de mes prières
Vous obtiendra de lui des faveurs singulières.

VAR. Et connoît l'avenir et les choses passées.

→ VAR. Des traits les plus cachés de mes jeunes amours.

PRIDAMANT.

Le sort m'est trop cruel pour devenir si doux.

DORANTE.

Espérez mieux : il sort, et s'avance vers nous '.
Regardez-le marcher; ce visage si grave,

Dont le rare savoir tient la nature esclave,
N'a sauvé toutefois des ravages du temps

Qu'un peu
d'os et de nerfs qu'ont décharnés cent ans;
Son corps, malgré son âge, a les forces robustes,
Le mouvement facile, et les démarches justes:
Des ressorts inconnus agitent le vieillard,
Et font de tous ses pas des miracles de l'art.

SCÈNE II.

ALCANDRE, PRIDAMANT, DORANTE.

DORANTE.

Grand démon du savoir, de qui les doctes veilles
Produisent chaque jour de nouvelles merveilles,
A qui rien n'est secret dans nos intentions,
Et qui vois, sans nous voir, toutes nos actions;
Si de ton art divin le pouvoir admirable
Jamais en ma faveur se rendit secourable,
De ce père affligé soulage les douleurs;
Une vieille amitié prend part en ses malheurs.
Rennes, ainsi qu'à moi, lui donna la naissance,
Et presque entre ses bras j'ai passé mon enfance;

· VAR. Espérez mieux : il sort, et s'avance vers vous.

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