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Que ne fait point l'amour quand il possède une ame?
Son pouvoir à ma vue attachoit tes plaisirs,
Et tu me suivois moins que tes propres desirs.
J'étois lors peu de chose, oui, mais qu'il te souvienne
Que ta fuite égala ta fortune à la mienne,
Et que pour t'enlever c'étoit un foible appas
Que l'éclat de tes biens qui ne te suivoient pas.
Je n'eus, de mon côté, que l'épée en partage,
Et ta flamme, du tien, fut mon seul avantage :
Celle-là m'a fait grand en ces bords étrangers,
L'autre exposa ma tête à cent et cent dangers.

Regrette maintenant ton père et ses richesses;
Fâche-toi de marcher à côté des princesses;
Retourne en ton pays chercher avec tes biens '
L'honneur d'un rang pareil à celui que tu tiens.
De quel manque, après tout, as-tu lieu de te plaindre?
En quelle occasion m'as-tu vu te contraindre?
As-tu reçu de moi ni froideurs, ni mépris?

Les femmes, à vrai dire, ont d'étranges esprits!
Qu'un mari les adore, et qu'un amour extrême
A leur bizarre humeur le soumette lui-même,
Qu'il les comble d'honneurs et de bons traitements,
Qu'il ne refuse rien à leurs contentements:
S'il fait la moindre brèche à la foi conjugale3,
Il n'est point à leur gré de crime qui l'égale;

VAR. Retourne en ton pays, avecque tous tes biens,
Chercher un rang pareil à celui que tu tiens.

Qui te manque, après tout? de quoi peux-tu te plaindre?

2 VAR. Fait-il la moindre brèche à la foi conjugale.

C'est vol, c'est perfidie, assassinat, poison,
C'est massacrer son père, et brûler sa maison;
Et jadis des Titans l'effroyable supplice
Tomba sur Encelade avec moins de justice.

ISABELLE.

Je te l'ai déja dit, que toute ta grandeur
Ne fut jamais l'objet de ma sincère ardeur.
Je ne suivois que toi, quand je quittai mon père;
Mais puisque ces grandeurs t'ont fait l'ame légère,
Laisse mon intérêt; songe à qui tu les dois.

Florilame lui seul t'a mis où tu te vois;

A peine il te connut qu'il te tira de peine;
De soldat vagabond il te fit capitaine :
Et le rare bonheur qui suivit cet emploi
Joignit à ses faveurs les faveurs de son roi.
Quelle forte amitié n'a-t-il point fait paroître
A cultiver depuis ce qu'il avoit fait naître?
Par ses soins redoublés n'es-tu pas aujourd'hui
Un peu moindre de rang, mais plus puissant que lui?
Il eût gagné par-là l'esprit le plus farouche;
Et pour remerciement tu veux souiller sa couche'!
Dans ta brutalité trouve quelques raisons,

Et contre ses faveurs défends tes trahisons.
Il t'a comblé de biens, tu lui voles son ame!
Il t'a fait grand seigneur, et tu le rends infame!
Ingrat, c'est donc ainsi que tu rends les bienfaits?
Et ta reconnoissance a produit ces effets?

VAR. Et pour remerciement, tu vas souiller sa couche!
Dans ta brutalité trouve quelque raison,

Et contre ses faveurs défends ta trahison.

CLINDOR.

Mon ame (car encor ce beau nom te demeure,
Et te demeurera jusqu'à tant que je meure),
Crois-tu qu'aucun respect ou crainte du trépas
Puisse obtenir sur moi ce que tu n'obtiens pas?
Dis que je suis ingrat, appelle-moi parjure;
Mais à nos feux sacrés ne fais plus tant d'injure:
Ils conservent encor leur première vigueur;
Et si le fol amour qui m'a surpris le cœur 1
Avoit pu s'étouffer au point de sa naissance,
Celui que je te porte eût eu cette puissance.
Mais en vain mon devoir tâche à lui résister 2;
Toi-même as éprouvé qu'on ne le peut dompter.
Ce dieu qui te força d'abandonner ton père,
Ton pays et tes biens, pour suivre ma misère,
Ce dieu même aujourd'hui force tous mes desirs 3
A te faire un larcin de deux ou trois soupirs.
A mon égarement souffre cette échappée,
Sans craindre que ta place en demeure usurpée.
L'amour dont la vertu n'est point le fondement

VAR. Je t'aime, et si l'amour qui m'a surpris le cœur.

2 VAR. Mais en vain contre lui l'on tâche à résister.

3 VAR. Ce dieu même à présent, malgré moi, m'a réduit
A te faire un larcin des plaisirs d'une nuit.
A mes sens déréglés souffre cette licence:
Une pareille amour meurt dans la jouissance.
Celle dont la vertu n'est point le fondement

Mais celle qui nous joint est une amour solide.

Dont les fermes liens durent jusqu'au trépas,
Et dont la jouissance a de nouveaux appas

Se détruit de soi-même, et passe en un moment;
Mais celui qui nous joint est un amour solide,
Où l'honneur a son lustre, où la vertu préside;
Sa durée a toujours quelques nouveaux appas,
Et ses fermes liens durent jusqu'au trépas.
Mon ame, derechef pardonne à la surprise
Que ce tyran des cœurs a faite à ma franchise;
Souffre une folle ardeur qui ne vivra qu'un jour,
Et qui n'affoiblit point le conjugal amour 1.

ISABELLE.

Hélas! que j'aide bien à m'abuser moi-même !
Je vois qu'on me trahit, et veux croire qu'on m'aime 2;
Je me laisse charmer à ce discours flatteur,

Et j'excuse un forfait dont j'adore l'auteur.

Pardonne, cher époux, au peu de retenue
Où d'un premier transport la chaleur est venue:
C'est en ces accidents manquer d'affection
Que de les voir sans trouble et sans émotion.
Puisque mon teint se fane et ma beauté se passe,
Il est bien juste aussi que ton amour se lasse;
Et même je croirai que ce feu passager
En l'amour conjugal ne pourra rien changer.
Songe un peu toutefois à qui ce feu s'adresse,
En quel péril te jette une telle maîtresse.

Dissimule, déguise, et sois amant discret.

Les grands en leur amour n'ont jamais de secret;

Ce grand train qu'à leurs pas leur grandeur propre attache N'est qu'un grand corps tout d'yeux à qui rien ne se cache,

VAR. Et n'affoiblit en rien un conjugal amour.

1 VAR. Je vois qu'on me trahit, et je crois que l'on m'aime.

:

Et dont il n'est pas un qui ne fìt son effort
A se mettre en faveur par un mauvais rapport.
Tôt ou tard Florilame apprendra tes pratiques,
Ou de sa défiance, ou de ses domestiques;
Et lors (à ce penser je frissonne d'horreur)
A quelle extrémité n'ira point sa fureur?
Puisqu'à ces passe-temps ton humeur te convie,
Cours après tes plaisirs, mais assure ta vie.
Sans aucun sentiment je te verrai changer,
Lorsque tu changeras sans te mettre en danger 1.

CLINDOR.

Encore une fois donc tu veux que je te die
Qu'auprès de mon amour je méprise ma vie?

Mon ame est trop atteinte, et mon cœur trop blessé,
Pour craindre les périls dont je suis menacé.
Ma passion m'aveugle, et pour cette conquête
Croit hasarder trop peu de hasarder ma tête.
C'est un feu que le temps pourra seul modérer;
C'est un torrent qui passe, et ne sauroit durer.

ISABELLE.

Eh bien, cours au trépas, puisqu'il a tant de charmes,
Et néglige ta vie aussi bien que mes larmes.
Penses-tu que ce prince, après un tel forfait,
Par ta punition se tienne satisfait?

Qui sera mon appui lorsque ta mort infame
A sa juste vengeance exposera ta femme,
Et que sur la moitié d'un perfide étranger
Une seconde fois il croira se venger?

VAR. Pourvu qu'à tout le moins tu changes sans danger.

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