ses regards. Il nous apprend lui-même qu'il a extrait plus de deux mille volumes. En rassemblant ainsi dans un seul corps d'ouvrage une multitude prodigieuse de faits qui ne se trouvent pas ailleurs, d'observations et de découvertes éparses dans un si grand nombre de livres, il a sauvé de l'oubli les noms d'une foule d'auteurs qu'il cite avec autant de franchise que de reconnoissance, et nous a mis en état de juger, non seulement les opinions de son siècle, mais encore celles de tous les temps, et de suivre la marche, les erreurs et les progrès de l'esprit humain. Aussi Pline est-il celui des anciens que les savants citent le plus, et cependant c'est peut-être celui que les littérateurs lisent le moins. Il a été obligé, pour remplir son objet, d'entrer dans une infinité de détails relatifs à l'anatomie, à la botanique, à la médecine, à la minéralogie. Ces détails instructifs intéressent les hommes studieux qui veulent remonter aux sources des connoissances, et voir par eux-mêmes ce que les modernes ont ajouté aux travaux des anciens; mais ils n'offrent rien d'agréable au grand nombre des lecteurs. Rebutés d'ailleurs par la difficulté du texte, la plupart abandonnent bientôt un auteur qui ne les dédommage pas toujours de la peine qu'ils se sont donnée pour l'entendre. En effet, si l'on admire en lui la hardiesse des pensées, l'énergie des expressions, la vivacité des mouvements, cette fécondité d'imagination qui rend sensibles tous les objets qu'il décrit, il faut avouer aussi qu'on n'y trouve pas la pureté, la simplicité, l'élégance qui caractérisent les écrivains du siècle d'Auguste. Il y a de la dureté dans son style; et pour vouloir être toujours pressant et serré, il est souvent obscur. Quelques censeurs lui ont reproché un goût trop décidé pour la pointe et l'épigramme; d'autres l'accusent d'avoir mis l'exagération et l'emphase à la place de la hardiesse, et le regardent comme un déclamateur. Je n'examinerai pas à quel point ces reproches sont mérités. Il me suffira de dire que les critiques les plus sévères ont du moins admiré ses préambules comme des chefs-d'œuvre d'éloquence et de philosophie. Ses détracteurs même, car il en a eu jusque dans ce siècle, ne lui ont pas contesté cette partie de sa gloire. Ces morceaux de morale, dont il a embelli le commencement de presque tous ses livres, ont été le principal objet de mon travail. Je les présente au public séparés du reste de l'ouvrage. Ils sont de tous les temps, de tous les lieux; ils conviennent à toutes les classes de lecteurs. Eh! qui n'aimera pas à reconnoître dans ces pages éloquentes l'ame d'un citoyen passionné pour la vertu ? Quel lecteur honnête ne partagera pas son indignation, lorsque, portant un regard observateur sur les richesses de la nature, il s'élève avec tant de force contre les abus que nous faisons de ses présents? J'ai fait aussi, dans les différentes parties de l'ouvrage, un choix des descriptions et des récits les plus vifs et les plus animés, et je me suis attaché sur-tout à ceux qui marquent l'origine et les progrès du luxe chez les Romains. Aux anecdotes les plus curieuses, aux singularités les plus piquantes, l'auteur a su joindre par- tout des réflexions brillantes et solides, qui ne font pas moins d'honneur à la sensibilité de son ame qu'à la force de son génie. J'ai pensé qu'on ne verroit pas sans intérêt la peinture de tant d'excès et d'abus qui appartiennent à notre siècle autant qu'à celui de Pline. En parcourant ces tableaux, peut-être oubliera-t-on qu'on lit une traduction, et sera-t-on quelquefois tenté de croire que l'auteur a choisi ses modèles dans le siècle où nous vivons. Pour tout ce qui concerne les poids, les mesures et les monnoies des anciens, j'ai suivi le savant auteur du Voyage d'Anacharsis. |