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LIBERTÉ DE PENSER.

Quelles bornes doit-on lui donner?

LA liberté de penfer eft un privilege de l'homme.

Ses opinions dépendent de fon efprit; perfonne n'a droit de les gêner. Mais les Philofophes de ce fiècle donnent un fens bien plus étendu à ce privilege. Parlà ils entendent la liberté de produire au grand jour leurs fentimens les plus hardis, fans qu'aucune autorité humaine puiffe les réprimer: principe aufli faux, qu'il eft pernicieux.

Quoique l'homme foit maître des opérations de fon efprit & des mouvemens de fon cœur. il a des regles immuables, auxquelles il doit fe conformer. La vérité eft la regle de fon efprit, & la Loi de Dieu eft la regle de fon cœur. S'il s'en écarte volontairement, il eft coupable. En ne confidérant ces écarts que dans lui-même, il n'en eft comptable qu'à Dieu. Les hommes ne peuvent ni juger, ni réformer ce qui est purement intérieur. Mais fi non content de mal penfer, un génie hardi veut infinuer fes erreurs aux autres, l'autorité légitime a droit de le punir. Oferoiton donner aux Savans le privilége d'attaquer impunément la vérité & la vertu, de débiter des leçons du crime & de l'erreur? Funefte liberté! On ne peut faire des Loix trop féveres pour la réprimer.

Il est vrai que fi tous les Auteurs étoient guidés par la raifon, ils pourroient développer toute l'étendue de leur génie; mais la plupart fuivant plutôt leurs préjugés que la raifon, on eft forcé de les retenir par un frein falutaire. Il eft donc faux que, pour former un Philofophe, il faille laiffer aux hommes la liberté de penfer. Ce principe qui d'abord paroît fpécieux, ouvriroit la porte à une infinité d'abus. L'Ìmpie s'en ferviroit pour femer fes noires leçons d'Athéifme, dans un Dictionnaire Philofophique; le Débauché, pour répandre l'infâmie de fon cœur, dans une Pucelle; le Rebelle, pour fouffler le feu de la fédition dans tous fes écrits; le Cauftique, pour dé

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chirer cruellement les objets de fa haine, dans fes Facéties Parifiennes; en un mot, il n'eft aucun écart qu'on ne puiffe appuyer fur cette maxime. Mais, dirat-on, il faut l'adopter, & en écarter les abus : & fur quelles regles en difcernera-t-on les abus? Tous les efprits qui fe verront gênés, crieront toujours à l'injuftice. Les Auteurs les plus déteftables voudroient perfuader qu'ils difent la vérité, & qu'il ne faut pas les contraindre à la cacher. Leur prétention feroit jufte, fi on admettoit fans reftriction la liberté de penfer. Il faut donc néceffairement reftreindre ce principe fi goûté dans ce fiécle d'indépendance, & réprimer les plumes téméraires qui en abufent.

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M. de V. nous cite fans ceffe l'exemple des Anglois, qui, libres dans leurs productions, fe font mis au-deffus de tous les autres Peuples; mais je lui demande en quoi confifte cette fupériorité du génie des Anglois? Eft-ce fur la Religion? Il feroit aifé de prouver que leur liberté n'a abouti qu'à établir la tolérance qu'à fournir des armes aux Incrédules & aux Athées, qu'à énerver la pureté de la Morale. Eft-ce fur les fciences naturelles? En rendant justice à leurs recherches & à leurs découvertes, l'on ne peut nier que les François n'ayent beaucoup contribué au progrès des Sciences. Cette queftion littéraire n'eft point de mon reffort; je dois feulement montrer que la liberté des Anglois, & la contrainte prétendue des François, n'ont aucun rapport avec ces progrès. Cette contrainte n'a lieu que dans les points qui, étant fixés par la révélation, ne peuvent plus être l'objet de nos conjectures. Il feroit téméraire & même abfurde, de prétendre examiner philofophiquement la vérité des oracles qu'on reconnoît émanés de la bouche de Dieumême. C'eft le feul frein que la foi & la Religion opposent à la raifon ; & quoi de plus équitable? A l'égard des Sciences naturelles, la Religion ne reftreint en rien leurs refforts; les Savans peuvent librement les approfondir & les perfectionner. Plus leurs travaux feront pénibles ou leurs fuccès brillans & utiles, plus ils mériteront d'éloges. Newton auroit pu enfanter fes fublimes fyftêmes à Paris comme à Londres.

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On ne veut donc pas gêner les Sciences, mais on veut que la Religion foit refpectée. L'abandonnera-t-on à la langue des impies? Lá liberté de penfer, ira-t-elle jufqu'à autorifer l'Atheisme & le libertinage? Les Philofophes les plus modérés ne pourront nier, que, fi un Savant faifoit un ufage auffi déteftable de fes talens, il faudroit réprimer fon audace, & lui arracher la plume, comme on arrache l'épée de la main d'un furieux, Si M. de V. penfe autrement, c'eft qu'apparemment il a fes raifons:

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Mais, dit-il, vous êtes furs que votre Religion est divine & vous n'avez rien à craindre pour elle. Nous Pavouons; mais c'eft précisément parce que cette Religion eft véritable, que la raifon exige qu'on la foutienne. Les écrits qui la combattent féduifent facilement les fimples mal affermis; & s'ils ne peuvent rien contre la Religion, ils peuvent influer fur la façon de penfer de ceux qui la profeffent. 11 eft de la prudencé du Gouvernement de prévenir cet écueil.

M. de V. infifte, & dit, que la Religion Chrétienne ne s'étant formée que par la liberté de penfer, il eft injufte & contradictoire de vouloir anéan tir cette liberté, fur laquélfe feule elle eft bâtie.. Mais ce raifonnement eft fondé fur une fauffe fuppo fition. La liberté de penfer qu'il donne aux premiers Chrétiens, eft une chimère, que nous avons détruite dans les Articles CHRISTIANISME & MARTYRS. (Voyez auffi les Articles PERSECUTION & TOLERANCE.)

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LICENCE DU STYLE.

Combien elle eft opposée à la vraie Philofophie?

A licencé du ftyle eft une fuite de la liberté de penfer. M. de V. après avoir parlé très-bien contre, cette licence dans fa jeuneffe, a voulu la canonifer, (ce qui eft bien étrange) dans fes vieux jours. I s'éleve avec jufte raifon dans fon Epitre dédicatoire de Zaïre, contre l'indécence du Théâtre Anglois. If dit que fi c'est là la pure nature, c'est précisément catié

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nature qu'il faut voiler avec foin, & que ce n'eft pas conò noître le cœur humain de penfer qu'on doive plaire d'avantage, en préfentant des images licencieufes. Mais comme Il aime à foutenir les contraires, il a voulu prouver qu'il falloit découvrir ce qu'on voile ordinairement. Il falloit en effet débiter une pareille morale, après avoir produit la Pucelle & le Cantique des Cantiques, Montrons en peu de mots le peu de jufteffe de ce Paradoxe.

Employer un ftyle libre & indécent, c'eft manquer de refpect au Public. On ne doit rien lui présenter, qui ne foit châtié; le Théâtre même n'ofe s'écarter de cette regle. S'il eft des bienféances dans les converfations, ne font elles pas beaucoup plus rigides dans les écrits? Ce n'eft plus un fon, une image rapide, c'eft une peinture licencieufe & durable. La préfenter à fes Lecteurs, c'eft les fuppofer fans pudeur & fans retenue. Je fais que ce ftyle plaît à cerrains efprits; mais ces hommes qui n'ont ni mœurs, ni décence, font-ils le vrai public? Faut-il, en faveur d'une claffe vile, fcandalifer, outrager tout ce qu'il y a de fage & de judicieux parmi les Lecteurs qui forment la partie choifie de la nation. & de la litté

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rature.

Ce caractére de licence eft déplacé, même dans les Romans. Eft-il fupportable dans un Ouvrage de Philofophie deftiné à former les mœurs? Quoi! les anciens Philofophes auroient cru dégrader leurs leçons, s'ils les avoient revêtues d'images voluptueufes, leur nom même indiquoit les préceptes & l'amour de la fageffe! & dans un fiécle de vertu & de fumiére, en prétendant inftruire, on ne gardera aucune réferve! Les paffions ont d'autres maîtres, d'autres écoles: tout ce qui préfente la morale, doit porter le caractére de la gravité & de la décence,

La liberté du ftyle eft un préjugé violent contre un Auteur i fe peint dans fon. Ouvrage. On peut écrire modeftement, & penfer mal. Mais comment, fous des Ouvrages déréglés, annoncer fa vertu? Une production ténébreufe eft un jugement fecret, un monument d'opprobre, où font imprimés les fentimens d'une ame terreftre.

Delà naît une conféquence fimple & decifive. Ces

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Philofophes, malgré la licence de leurs écrits, pretendent tracer des maximes de fageffe; ils ofent crit tiquer la Morale & le culte de la Religion. Eft-il à préfumer qu'un Dieu qui eft la pureté par effence, come munique fes lumiéres de prédilection à un cœur qui n'eft que boue? Dans tous les tems les ténébres ont été le châtiment de la volupté. Ce voile fombre & contagieux cache l'éclat de la vérité. On ne voit que par les fens; on ne juge, on n'aime que par les fens : faut-il s'étonner fi on n'avance que des erreurs? L'indécence dans un Ouvrage eft une preuve du men fonge qui y régne

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D'ailleurs, quel écueil pour la jeuneffe? ennemie du férieux, avide d'amufemens & de plaifirs, elle dévoré ces malheureufes brochures qui portent dans fon ame le feu 'des pallions. Elle y cherche, non pas les traits de littérature & d'hiftoire, les régles d'é2 quité, mais les images licencieufes. Oui je le fuppo fe: les Auteurs au-deffus des foibles humains, aftermis dans la gravité & la vertu "traitent ces matieres avec détachement & réferve; ils ne veulent que dé tourner du vice, en le dépeignant au naturel. Ces motifs prétendus ne les juftifient point; comptables à Dieu feul de leurs cœurs, ils font comptables à l'Univers enfier de leurs écrits. En féduifant la jeunéffe, ils ravagent non-feulement la Religion, mais encore la Société.

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Dieu l'a gravée dans tous les cœurs. IL n'y a point d'autre Dieu, dit Spinofa, que la fubftance univerfelle & aveugle; & par conféquent point d'autre regle des mœurs que les forces & les defirs de chaque individu. Il n'y a rien de com mandé ni de prohibé. Tout eft bon, dès qu'on le peut impunément. Tout eft une fuite inévitable d'un deftin néceffaire & de la mécanique de la nature. Cela eft clair. Ses difciples de mauvaise foi tiennent le même principe; mais ils cachent & entortillent

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