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éternel printemps, Aristote y mène le chœur des sages du paganisme :

Je vois le maître de ceux qui savent
Siéger parmi sa philosophique famille;
Tous l'admirent, tous lui font honneur.

Je vois là Socrate et Platon,

Qui, avant tous autres, sont près de lui, le plus près'.

Enchanteurs des antiques sagesses, Dante vous salue, et, s'il vous damne, c'est en créant pour vous, par tempérament au dogme rigide, un paradis dans l'enfer.

Nous vînmes au pied d'un noble château
Sept fois cerclé de hauts murs,

Défendu en dedans par un beau petit fleuve.

Nous le passâmes comme terre dure:

Par sept portes j'entrai auprès de ces sages;

Nous les joignîmes en un pré de fraîche verdure 2.

Mais, à l'abri du nom d'Aristote, la libre-pensée n'en maintint pas moins sa tradition à travers le Moyen-Age. Les purs scholastiques se bornèrent à chercher dans la

1. DANTE, Enfer, c. IV, v. 131-135.

2.

Venimmo al piè d'un nobile castello,
Sette volte cerchiato d'alte mura,
Difeso intorno da un bel fiumicello.
Questo passammo come terra dura :
Per sette porte entrai con questi savi;
Giugnemmo in prato di fresca verdura.

(DANTE, Enfer, ch. IV, t. 36-37.)

métaphysique du Lycée la preuve rationnelle des dogmes chrétiens. D'autres esprits comprirent mieux le « maître de ceux qui savent ». Une chaîne continue de ces penseurs pleinement affranchis se rattache par Averroès à la science, à la morale indépendante du Lycée.

Les averroïstes n'admettaient pas d'âme raisonnable, mais une raison impersonnelle commune à l'humanité. En d'autres termes, ce qui, d'après eux, constitue Socrate, c'est une portion de la matière passagèrement revêtue de la forme socratisée.

Cette forme est l'âme sensible ou animale qui se dissout avec la matière dont elle partage la condition périssable. Immortelle au contraire comme l'Être dont elle est le suprême aspect, la Raison demeure indépendante de l'homme, bien que de son vivant il se l'approprie en quelque sorte, il participe à elle, il y trouve la source de ses conceptions intellectuelles.

Plus orthodoxe que Dante, dans son appréciation d'Averroès, Orcagna, le peintre catholique, met l'auteur du Gran Comento au premier rang des damnés.

Dans la Divine Comédie, le docteur arabe apparaît au milieu des sages païens dont le seul supplice est la privation de Dieu 1. Dans l'Enfer d'Orcagna, au Campo santo de Pise, Averroès figure près de Mahomet et de l'Antéchrist. Il représente à côté du faux prophète, » l'incrédule blasphémateur, celui qui a osé envelopper

1. DANTE, Inferno, c. IV, t. 48.

» dans une triple injure la religion de Moïse, du Christ » et de Mahomet 1».

Taddeo Gaddi, dans sa fresque de la chapelle des Espagnols à Florence, l'associe aux hérétiques Arius et Sabellius; il paraît aussi au Musée du Louvre dans un tableau de Benozzo Gozzoli: Le triomphe philosophique de saint Thomas d'Aquin. Le docteur angélique tient un livre ouvert sur ces redoutables paroles: Labia mea detestabuntur impium. L'impie est à ses pieds feuilletant son commentaire 2.

Venise était au quatorzième siècle un des foyers principaux de l'Averroïsme. « On s'y moquait, dit Pétrarque, » de Moïse et de la Genèse. Serait-il possible, disaient»ils, que l'architecte du monde fût resté si longtemps >> les bras croisés sans rien faire? Non, le monde existe » de toute éternité... Ils avaient un grand mépris pour » Jésus-Christ, ses apôtres, les Pères de l'Église, et >> tous les adversaires d'Aristote et de son commenta» teur Averroès. Les dogmes du christianisme étaient » pour eux des fables, le paradis et l'enfer des contes... >> Ils pensaient comme leur maître que Dieu ne se mêle >> pas de ce qui se passe sous la lune 3.

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Ces propos étaient moins dangereux pour leurs auteurs

1. Averroes et l'Averroïsme, par E. RENAN, 2 partie, ch. II, 8 16, p. 304.

2. N° 133. Second tableau à gauche en entrant dans la grande galerie.

3. Mémoire sur la vie de Pétrarque, par l'abbé DE SADDE, t. III, livre VI, p. 751-752; Amsterdam, 1777.

à Venise qu'en toute autre contrée. La Sérénissime République fut toujours tolérante en tout ce qui ne touchait point la raison d'État. L'incrédulité, malgré ses périls, comptait d'ailleurs d'assez nombreux adeptes dans les autres villes d'Italie et même dans le reste de la chrétienté. A Florence un astrologue du duc de Calabre, Cecco d'Ascoli, venait d'être brûlé vif par ordre de l'Inquisition (1328).

Ce personnage résume en lui le savoir encyclopédique de son temps. Il est médecin, astrologue, il pratique la magie, c'est-à-dire, selon les lumières de l'époque, la science opposée à la théologie. Le prêtre attendrit Dieu par la prière : le magicien s'approprie par la conjuration les puissances de la Nature.

Il ne faut pas s'y tromper, ces adeptes de chimériques doctrines, l'astrologie, l'alchimie, furent, quant au point de vue où ils se plaçaient, les ancêtres du savant moderne. Leurs théories, en effet, reposaient sur l'enchaînement de tous les faits de la nature et de l'histoire, depuis les plus généraux jusqu'aux plus particuliers. Reliés de l'un à l'autre dans un ordre hiérarchique de dépendance, soumis à des liens inflexibles, les phénomènes moraux ou physiques échappaient ainsi à toute direction d'une volonté divine arbitraire. Quelle était l'erreur de ces précurseurs de l'esprit moderne? La loi qui régit les astres, n'a-t-elle aucune influence sur l'humanité? Elle en exerce une incontestable, mais indirecte, en vertu des conditions chimiques auxquelles est assu

jettie sur ce globe l'existence des individus et des espèces végétales et animales. Mais ces conditions chimiques, nécessaires au développement de la vitalité, dépendent des conditions physiques, plus générales et moins complexes, soumises elles-mêmes aux lois mathématiques commandant aux astres. L'astrologue supprimait ces intermédiaires : il attribuait directement à l'action de ces astres, à leurs conjonctions apparentes dans le ciel, des actes, des événements qui ne subissent que de trèsloin l'influence astronomique. D'où les étranges imaginations de ce Cecco et ses hardiesses antichrétiennes. Il affirma dans son Traité de la Sphère qu'en vertu « du cours du firmament » le Christ vint en ce monde où il vécut avec ses disciples comme un fainéant (poltrone)1.

Le destin de cet astrologue ne ralentit pas l'essor de la libre-pensée. A côté de Venise, où les averroïstes scandalisaient Pétrarque, ce poète signale l'université de Padoue comme livrée aux doctrines incrédules. Pierre d'Apone, professeur de médecine et d'astronomie, se moque ouvertement de la résurrection de Lazare et des autres miracles de l'Évangile. « Averroès, ce chien » enragé, aboie contre Jésus-Christ et contre le Chris» tianisme 3.)

Dans ses lettres de Venise, l'amant de Laure invective

1. G. VILLANI, Histor., lib. X, cap. XLI.

TIRABOSCHI, Stor. della

letteratura ital., t. V, parte I, lib. I, cap. III, 3 2, p. 48, 49.
2. Mémoire sur Pétrarque, t. III, livre VI, p. 152.
3. Ibid., p. 761.

LES MÉDICIS.

I. 2

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