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CHAPITRE XI.

MARSILE FICIN.

DE IMMORTALITATE ANIMORUM LIBRI XVIII'.

La Théologie platonicienne, ou De l'immortalité des âmes, expose en dix-huit livres la philosophie de Ficin dans sa pleine indépendance.

Dans une dédicace à son protecteur Laurent, Marsile formule l'intime connexité qui rattache au dogme chrétien la philosophie académique: « Platonicos, mutatis paucis, Christianos fore. » Ce n'est pas qu'il ait besoin d'initier à ces hautes connaissances le docte patron du platonisme renaissant. Mais, en lui dédiant son œuvre, Ficin veut honorer celui qui, selon les vœux du Maître, unit la science du sage à l'autorité de l'homme d'État.

Le titre de ce traité: De l'immortalité des âmes, est déjà un programme. Réaliste comme nous l'avons vu, accordant aux entités métaphysiques une existence plus certaine que celle que l'expérience révèle, Marsile pose dans ce premier énoncé les bases d'une proposition qu'il développera longuement.

1. MARSILII FICINI FLORENTINI, insignis Philosophi Platonici, Medici, atque Theologi clarissimi, Opera, etc. - Basilea, ex officina Henricpetrina, MDLXXVI, 2 vol. in-folio.

<< Comme le genre humain, dit-il, à raison de son inquiétude d'esprit, de sa débilité corporelle et de l'indigence de toutes. choses, mène sur la terre une vie plus dure que celle des bêtes, si la nature avait assigné à son existence le même terme qu'il attribue à la vie des bêtes, nul animal ne serait plus infortuné que l'homme. Mais, pour que, malgré cette mort du corps, il puisse être plus heureux, il paraît nécessaire que nos âmes, en quittant leur prison charnelle, obtiennent la jouissance d'une lumière supérieure. Par malheur, enfermées dans les ténèbres de leur aveugle cachot, les âmes humaines regardent en vain à cette lumière. D'où souvent nous sommes contraints de manquer de foi à la divinité elle-même. Ames célestes, je vous adjure, rompons, rompons tout d'abord ces entraves terrestres, afin que, portés sur les ailes dont parle Platon, ayant Dieu pour guide, nous volions plus libres vers la demeure éthérée où nous contemplerons dans la béatitude l'excellence de notre espèce1. »

Outre la masse des corps, existe la vertu efficace, la qualité. Au-dessus de la qualité soumise à la division par son union avec la matière, il est une forme supérieure qui, bien qu'elle change en quelque manière, n'admet pas néanmoins de division dans le corps. Dans cette forme est le siége de l'âme raisonnable. Au-dessus est l'esprit angélique, qui est non-seulement indivisible, mais encore immuable. Le soleil divin est l'objet des contemplations de cet esprit, qui appelle et saisit la lumière du vrai : ce soleil préside à tout, il est la fin et le couronnement de l'Étre.

1. FICIN., Oper., t. I, De Imm. anim., lib. I, cap. 1, p. 79.

2. De Imm. anim., lib. I, cap. 1, p. 79.

<< Ainsi, remontant à ce terme suprême, nous comparons successivement la MASSE OU MATIÈRE, la QUALITÉ, l'AME, l'ANGE et DIEU. Or l'essence de l'âme raisonnable, qui occupe dans cette échelle le degré mitoyen, apparaît comme le lien de toute la nature, régissant les qualités et les corps. Unie à l'ange et à Dieu, nous découvrons qu'elle est indissoluble, puisqu'elle jouit de ces divers degrés; très-éminente, puisqu'elle préside à la machine du monde; bienheureuse, puisqu'elle peut participer au Divin1. »

Le corps est de sa nature parfaitement passif. En tant que corps, il n'agit en rien, mais est seulement «< sujet à la passion ». La matière est une sous tous les corps. Si donc l'action provenait de la matière, l'opération de tous ces corps serait une. Il n'en est pas ainsi par suite des qualités qui la diversifient. Ils n'opèrent donc pas en vertu de la Masse une, mais en raison de la Qualité, qui n'a rien de commun avec elle. Deux corps en effet ne peuvent occuper le même lieu, tandis que deux qualités peuvent appartenir au même corps.

Marsile déduit de sa définition de la qualité l'existence de la Forme, supérieure à celle-ci, puisque, les qualités diverses attachées à la matière diminuant et disparaissant avec la Forme, elles ne peuvent être conçues que ramenées à une entité supérieure, à ce qu'elles ont de commun et d'indépendant, l'idée de la Forme.

D'entité en entité (substantielle, individuelle ou de l'âme, etc.), Ficin se lance ainsi à perte de vue sur la

1. De Immort. animorum, lib. I, cap. 1, p. 79.

piste des causes. Il s'arrête pourtant,- «ne fiat tandem » in infinitum progressio », — à la forme qui n'est mêlée à aucun corps. A cette borne arbitraire (il le faut bien), il retient cabré devant le vide asphyxiant l'hippogriffe de sa logique à outrance. Cette argumentation serrée, dont nous ne pouvons qu'indiquer les chaînons principaux, fait bien saisir et la puissance et l'inanité de la vieille métaphysique. « «La logique, dit excellemment >> M. Littré, peut sans difficulté fonctionner à vide: on » l'a vu durant tout le règne scolastique du syllogisme ; >> elle recevait de pures figures et ne rendait que des fi>gures; mais les conditions mentales de la connaissance

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n'y étaient pas moins fidèlement observées. Il n'y » manquait que la réalité objective1. »

Curieux spectacle, preuve de la grandeur et des misères de notre esprit! En présence de l'infini l'enserrant de toute part, il peut se restreindre à abstraire les lois du réel, ou, dédaigneux de l'expérience, tenter de réaliser l'idéal. C'est ce qu'a fait Marsile après les scolastiques, ce qu'entreprirent après lui, avec la confiance d'édifier une doctrine positive, ces poètes de l'hypothèse subjective, Spinoza, Leibniz, Hegel.

Je crois entendre le dernier: «- En ce qui tient à l'ordre universel, s'écrie Ficin, tout ce qui peut être est déjà ou sera! »

Quel est le passage du corps et des qualités inférieures

1. Auguste Comte et la philosophie positive, par M. LITTRÉ, p. 566. 2. De Immortal. anim., lib. I, cap. 1, p. 83 bis.

à la forme supérieure? Quelle est cette forme en ellemême ?« Il y a d'abord les corps matériels composés » des quatre éléments: la Terre, l'Eau, l'Air et le Feu. » Les cosmographes placent dans cet ordre, au-dessous du ciel de la Lune, « les sphères matérielles », réservoirs respectifs de chacun de ces éléments matériels, - réservoirs matériels aussi, mais simples. Puis on s'élève aux corps célestes, simples et immatériels. A ces trois espèces de corps correspondent trois espèces de formes. Ici, Marsile développe, d'après Averroès, l'unité nécessaire de la forme supérieure.

<< Ou le tout unit les parties, ou les parties unissent le tout, ou quelque chose de supérieur, qui n'est partie de rien, ni tout d'un nombre de parties, unit entre elles les parties en un tout. Dans le premier cas, si l'on admet que le tout unit les parties, il faut qu'il soit incorporel; car, autrement, il serait divisible et aurait lui-même besoin d'un autre principe d'union. Dans le second cas, les parties unissant le tout, il est absurde que l'unité soit faite par la multiplicité opposée à l'union qui doit résulter de l'unité. Finalement, outre chaque partie et le tout, il reste quelque chose d'un, cause de l'union, et qui doit être incorporel; autrement, il aurait besoin lui-même d'un principe unificateur, et ainsi de suite à l'infini1. »

Ce principe subsistant par soi, cette forme supérieure est l'âme raisonnable qu'accompagne l'âme irraisonnable et sensible, associée elle-même du corps.

De même que la forme individuelle ou l'âme est audessus de la forme divisée ou la qualité, l'âme a au-dessus

1. De Immortal. anim, lib. I, cap. 1, p. 84 bis.

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