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CHAPITRE XIV.

POÈTES PLATONICIENS: JEROME BENIVIENI.

LAURENT DE MÉDICIS.

L'ALTERCAZIONE.

Suivons la trace des systèmes dans la poésie qu'ils inspirent. Futur disciple de Savonarole, Jérôme Benivieni alambique ces stances adressées à Pic:

CHANSON D'AMOUR

composée par JEROME BENIVIENI, citoyen florentin, selon l'esprit et la doctrine des Platoniciens1.

STANCE I.

« Amour, dont la main tire le frein suspendu de mon cœur, et dans le règne sacré duquel ce cœur n'a pas dédaigné de nourrir la flamme qui par lui déjà y fut allumée, Amour meut ma langue, force mon esprit à dire de lui ce que mon sein ardent enferme; mais mon cœur s'alanguit, ma langue répugne à une si grande entreprise. Elle ne peut ni dire ce qui est en moi, ni s'en défendre, et pourtant il faut qu'elle exprime ma conception. Force ne tient pas contre plus grande force. Mais, parce qu'Amour a promis à mon paresseux génie ces ailes avec lesquelles il descendit tout d'abord dans mon cœur, bien qu'à la cime, je crois, pour ne se jamais séparer de ses plumes, il y fasse son nid, moi, aussi longtemps que la lumière de sa

1. Œuvres de Pic de la Mirandole, p. 746.

vive splendeur sera de mon cœur le guide, j'espère découvrir le trésor caché qu'il me donne à cette heure à porter.

STANCE II.

>> Je dis comme Amour s'infuse ici-bas, sortant de la divine source du Bien Incréé, quand il est né d'abord, et d'où il meut le ciel, il informe les âmes et régit le monde; puis, quand il s'est caché dans le cœur humain, combien sont promptes et habiles à frapper ses armes, et comme à lever le front, de la terre au ciel, il force l'humain troupeau; comme il brûle, enflamme, consume, et par quelles lois tantôt il élève au ciel celui-ci et abaisse à terre celui-là, tantôt entre les deux il nous incline et nous arrête. Mes rimes débiles, et vous, vers languissants et infirmes, qui est-ce, maintenant, sur la terre, qui priera pour vous? de telle manière qu'Apollon s'incline vers les plus justes prières du cœur enflammé? Un joug trop dur opprime mon cou; Amour, donne maintenant à mes pauvres ailes les plumes que tu leur promis, et éclaire mon obscur chemin.

STANCE III.

» Quand, venant du vrai ciel, descend dans l'esprit angélique le divin Soleil, qui illumine et informe sous le vivant feuillage sa première progéniture, elle qui recherche et veut son premier bien par le désir inné qu'en elle il allume, se réfléchissant en lui, elle prend la vertu qui forme et orne le riche cœur. De là vient le premier désir qui la transforme. Au vivant Soleil de la lumière incréée, admirablement alors il s'allume et s'enflamme. Cette ardeur, cet incendie, cette flamme, qui, dérivée de l'esprit mystérieux et de la lumière reçue du ciel, reluit dans l'intelligence angélique, est le premier et véritable Amour, pieux désir né de disette et de richesse, à l'heure où le ciel produisait de lui-même celle qui honore Chypre. »

Dans ses fantaisies quintessenciées, cette école de poètes, qu'on a vue poindre avec la Vita Nuova de Dante,

poursuit, jusqu'aux gloires de la Triade sacro-sainte, l'Amour, comme un syllogisme transcendant.

A l'instar des peintres ombriens du Moyen-Age, ces extatiques de la Canzone ou du sonnet s'attachent à un thème unique. A travers l'azur infini, aux lueurs d'or du soleil mystique, ils contemplent, Vierge Mère ou Vénus céleste, l'Incoronata, l'Éternel Féminin trônant sur les hiérarchies divines.

STANCE IV.

<< Celui-ci, parce qu'il est né d'abord dans les bras amoureux de la belle Cypriote, il lui plaît toujours de suivre l'ardent soleil de sa vivante beauté. De là, le premier désir qui gisait en nous, par lui, s'enlace d'un nouveau fil, qui, suivant sa trace honorée, nous mène au premier bien. De lui le feu, par lequel de lui dérive ce qui vit en lui, s'allume en nous, et le cœur, tandis qu'il brûle en mourant, croît en brûlant. Par lui, déborde la source immortelle d'où sort ce qui ensuite, créant ici-bas, meut le ciel... En nous, par lui, respire ce Soleil incréé, d'une telle splendeur qu'il enflamme notre âme de l'éternel

amour.

STANCE V.

» Comme, du premier bien, l'éternelle intelligence vit et entend, ainsi, par elle, l'âme entend, meut et forme; elle explique et dépeint le soleil qui illustre le sein de la divinité. Par là elle répand ce que ce pieux sein conçoit et enserre; et ce qui, ensuite, se meut et sent, admirablement mû par elle, sent, vit et opère avec tout son effet. D'elle, comme du ciel dans l'intellect, naît ici-bas Vénus, dont la beauté resplendit au ciel, vit sur terre, et ombrage le monde. L'autre, qui dans le soleil se mire, à l'ombre de celui dans la contemplation duquel elle se forme, comme elle puise toute sa richesse au vivant soleil qui brille en elle, ainsi LES MÉDICIS.

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elle octroie sa lumière à celle-ci; et, comme le céleste amour aspire à elle, ainsi le vulgaire suit la seconde. »

Et dans les stances suivantes, comme la pensée de l'école s'accentue! Quel effort pour accorder l'idée alexandrine de la dégradation, subie par les âmes dans leur émanation de l'absolu et la notion chrétienne de la chute ! Quelle appropriation des dogmes de la grâce et de la rédemption à la théorie néo-platonicienne des âmes remontant par la béatification et l'extase les degrés qui les séparent de leur source divine!

Quando, formata in pria dal divin volto,
Per descender quà giù l'alma si parte

Dalla più eccelsa parte

Ch' alberghi el Sol, nel cor human s'imprime,

Dov' esprimendo con mirabil arte

Quel valor poi che da sua stella ha tolto,

E che, nel grembo accolto,

Vive di sue celesti spoglie prime,

Quanto nel seme human posson sue lime

Forma suo albergo, in quel fabrica, e stampa,

C'hor più, hor men, repugna al divin culto.

Talhor poi reformando

Quell' al lume divin che 'n lui n' impresso,

Raro e celeste don, quinc' elevando

Di grado in grado se nell'increato

Sol torna, ond' è formato.

Volto divin raccende ogni beltate...

STANCE VI.

« Quand, formé d'abord du divin visage, pour descendre ici

bas, l'âme part de la plus sublime partie qu'habite le Soleil, elle s'imprime au cœur humain, où, exprimant avec un art admirable cette valeur qu'elle a ravie à son étoile, et qui, recueillie en son sein, vit de ses premières dépouilles célestes, autant que peuvent ses efforts dans l'humaine semence, elle forme son gîte, le façonne et l'imprime. Demeure qui, tantôt plus, tantôt moins, répugne au culte divin. Puis, quand du soleil, qui a en elle son empreinte, la marque infuse descend dans un autre cœur, l'âme, si elle lui est conforme, s'enflamme. Ensuite, d'autant qu'elle la tient plus en elle, plus belle elle la rend aux divins rayons de sa vertu, et de là vient que, aimant, le cœur se repaît d'une erreur douce.

STANCE VII.

» Le cœur se repaît d'une douce erreur, regardant l'objet aimé en lui-même comme en son œuvre. Puis, parfois le reformant à la lumière divine qui est imprimée en lui, don rare et céleste, il s'élève de là, de degré en degré, et retourne dans le Soleil incréé, d'où est formée l'empreinte marquée dans le divin objet. Par trois brillants miroirs, une seule lumière, venue de ce visage divin, rallume toute beauté qui orne la raison, l'esprit et le corps; de ce dernier les yeux, et, par les yeux où séjourne son autre servante1, le cœur prend les belles dépouilles reformées en elle, mais non exprimées. D'où, de beautés variées et nombreuses détachées du corps, il forme un concept, dans lequel elle dépeint et figure en un seul objet ce que la nature a divisé entre tous. >>

C'est la pure théorie du Banquet, le procédé de Platon pour s'élever de la contemplation des beautés physiques au culte de l'idéale beauté !

Quinc' Amor l'alm' in quest' el cor deletta,

In lui, com' in suo parto, anchor vaneggia,

1. L'âme animale, concupiscente, sans doute.

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